Depuis dix ans, Michel, agent SNCF de 55 ans, est assesseur près le tribunal pour enfants de Bobigny qui compte environ 30 assesseurs pour 8 juges. C'est donc avec une oreille plus attentive que celle de ses collègues ou voisins qu'il suit les propositions de réforme de la justice présentées par Elisabeth Guigou et notamment celles concernant la promotion et le développement des mesures de médiation ou de réparation pour les mineurs (1). « C'est un ami, militant comme moi dans une association de parents d'élèves qui m'en a parlé. J'ai posé ma candidature et j'ai eu un entretien avec le président du tribunal pour enfants. » Michel a ensuite dû attendre que son dossier suive la voie hiérarchique de la chancellerie et de la direction de la protection judiciaire de la jeunesse avant de pouvoir prêter serment et venir grossir les rangs des 1 688 assesseurs qui officient dans les 137 tribunaux pour enfants de France (2).
La fonction, très mal connue, n'est pourtant pas récente. L'ordonnance du 2 février 1945 sur l'enfance délinquante prévoit en effet un tribunal des enfants composé du juge des enfants qui préside, et de deux assesseurs issus de la société civile qui l'assistent. Nommés par arrêté du ministre de la Justice pour quatre ans renouvelables, ils sont, dans l'exercice de leur fonction, assimilés aux magistrats. Ils participent à l'audience et à la délibération, statuant à voix égale avec le juge sur la culpabilité et sur la peine. Et si la participation des citoyens à l'administration de la justice est plutôt pratique courante (jurés d'assises, prud'hommes...), ce n'est ici ni la voix du peuple, ni le jugement des pairs qui est visé mais bien, comme le précise Françoise Lombard, maître de conférences à la faculté de droit de Lille, « l'apport de la technicité ». Les assesseurs doivent en effet être choisis parmi « les personnes âgées de plus de 30 ans qui se sont signalées par l'intérêt qu'elles portent aux questions de l'enfance et par leurs compétences » (3). La confidentialité de l'exercice de cette activité citoyenne au sein de la justice a été longtemps entretenue par un recrutement faisant la part belle aux notables de la ville : médecins, responsables associatifs, directeurs d'école et apparentés aux magistrats. Mais depuis une dizaine d'années, et sous l'impulsion de la magistrature qui a lancé des campagnes d'information, le corps des assesseurs s'est démocratisé. Trop « triés » socialement, les assesseurs risquaient de ne plus jouer « le rôle de légitimation des décisions de justice qu'on attend de la présence de représentants de la société civile dans la justice », fait remarquer Françoise Lombard. Selon les derniers chiffres disponibles, l'assessorat est largement investi par le monde de l'enseignement puisque 30 % sont instituteurs ou professeurs on trouve ensuite les professions libérales et les cadres (16 %), les professions psycho-socio-éducatives (14,7 %), médicales et para-médicales (11,3 %) (4).
Cette ouverture sociale de l'assessorat a été concomitante d'un mouvement de relative ouverture des tribunaux sur la société. Cette dernière s'est notamment traduite par le développement des mesures de médiation et des peines de substitution (TIG et réparation), par la pratique, certes encore timide, du partenariat dans le cadre de la politique de la ville et des conseils communaux de prévention de la délinquance (CCPD) et, plus récemment, par la mise en place de « maisons de justice » ou « maisons du droit » dans certains quartiers. La fonction d'assesseur, qui est depuis longtemps aux prises avec les relations société/ justice, se retrouve donc fortement interpellée et saisie d'une vitalité nouvelle. Un paradoxe « au sein d'une justice dont la tendance européenne est plutôt à la professionnalisation », note Françoise Lombard. Cette nouvelle visibilité, cette sortie de l'ombre des assesseurs, a été marquée par la création de la Fédération nationale des assesseurs près les tribunaux pour enfants (FNAPTE) (5). « Ce regroupement correspondait à un triple besoin », explique Nadine Lyon-Caen, assesseur au tribunal pour enfants de Paris et vice-présidente de l'organisation. « Un besoin de formation pour asseoir notre place au sein du tribunal pour enfants, un besoin de rompre la solitude et un besoin de bien situer notre rôle et de voir comment gérer les passerelles entre nos fonctions civiles et celles d'assesseur. »
Un cycle de formation en 1995, l'édition d'un guide de l'assesseur et l'organisation d'assises nationales (6) constituent une partie des actions de formation. D'autres démarches comme des visites de prison ou encore, à Bobigny, la demande pour assister à des entretiens au cabinet du juge, dépendent du dynamisme du tribunal et de ses assesseurs. Car, si ceux-ci apportent bien ce que Jean-Bernard Dumortier (Conseils en pratique et analyses sociales - Lille) nomme cette « extériorité qualifiée » dans la délibération, leur rôle variera selon que l'on insistera plutôt sur le premier ou le deuxième terme. Dès lors, « favoriser la formation, signale Nadine Lyon-Caen, c'est se poser en faux contre une conception de l'assesseur naïf, apportant de l'air frais. Or c'est en référence à cette image que certains assesseurs refusent d'ouvrir les dossiers avant l'audience et que certains magistrats n'y sont pas favorables. » La FNAPTE milite au contraire pour que cet acteur soit le plus responsable et le plus formé possible. Michel, ainsi, parle « d'une grande responsabilité qu'il faut assumer... le besoin se fait sentir au fur et à mesure, de connaître les lois et les procédures ». Essentiel sûrement pour éviter de faire appel au bon sens de la rue et indispensable pour que cet étranger au monde complexe de la justice et des procédures puisse prendre sa place aux côtés du juge. Il s'agit de rendre un peu moins fictive l'égalité prévue entre le magistrat professionnel et le « magistrat d'un jour ». Car « les jeux sont faussés a priori, relève Françoise Lombard, les assesseurs n'intervenant qu'au bout d'un processus qui leur échappe, avec un dossier constitué de langues étrangères que sont les écrits des travailleurs sociaux et les écrits judiciaires. Sans compter qu'ils subissent l'influence du prestige du juge et de sa connaissance détaillée du droit ». Ce défaut d'égalité est volontiers reconnu par les assesseurs qui rappellent toutefois qu'ils sont deux et que la décision se prend à la majorité. A leur actif également : l'avantage de la durée. Avec une ancienneté moyenne de sept ans et demi, ils assurent souvent la continuité dans le tribunal pour enfants face aux juges qui ont, en moyenne, quatre ans et trois mois d'ancienneté. « Et puis, explique Nadine Lyon-Caen, les juges des enfants sont peut-être les magistrats les plus ouverts sur l'extérieur, ils ont des échanges avec les équipes socio-éducatives et savent donc souvent faire de la place aux assesseurs. A l'assesseur de s'en saisir et d'être capable, face à une décision du procureur, de prendre une position vraie. » Cette position vraie semble aller de pair avec l'engagement qu'impose la place charnière de juge-citoyen.
Car cet engagement se situe bien dans le champ redécouvert aujourd'hui de la médiation. Comment l'assesseur, qui a la chance d'être au cœur de la justice, peut-il être un véritable correspondant entre la justice et la société ? Cet enjeu apparaît prioritaire : accès aux droits, médiation, prévention. « Les interactions entre le vécu au tribunal et l'activité associative et professionnelle (et inversement) sont constantes », constate Nadine Lyon-Caen à travers son cas personnel : « Enseignante, je siège en commission départementale d'orientation pour les élèves en grande difficulté et je suis amenée parfois à expliquer pourquoi un rappel au droit ou une sanction de justice peut être utile au jeune. » En outre, dans un contexte où le sentiment d'impunité et d'insécurité fait croître les tentations répressives, qui d'autre, mieux que l'assesseur, peut faire connaître le rôle et les actions des tribunaux pour enfants ? Et faire savoir que, contrairement aux idées reçues la tendance n'est pas au laxisme, mais bien à l'augmentation des mesures répressives ?Les mesures éducatives qui représentaient 57,4 %des mesures prononcées envers les mineurs en 1990 et représentent 55 % en 1996, étant en baisse relative.
Dans l'autre sens, la présence des assesseurs représente l'entrée au tribunal de visions du monde, d'une connaissance de certaines réalités alternatives à celles du monde judiciaire. C'est pourquoi Bernard Durager, président de la FNAPTE, invite les assesseurs « à prendre garde de ne pas s'enfermer dans un contexte de droit ». Ce sont donc souvent, note Jean-Bernard Dumortier, « des référentiels différents issus des différents champs de savoirs et de pratiques professionnelles, complémentaires ou en franche compétition » qui sont à jour dans les délibérations. Et si aucune étude n'existe sur le sujet, on peut se demander si la forte présence des enseignants ne tend pas à faire prévaloir le référentiel pédago-sociologique (plus que psychologique par exemple) dans les prises de décisions. Mais au-delà de ces « cultures », les assesseurs ont un rôle de « vigilance citoyenne » au sein du tribunal et peuvent se positionner face aux fausses évidences et à certaines pratiques routinières de la justice pour mineurs. Ainsi, s'il y a eu détention provisoire, rien n'oblige à « couvrir » la détention. « En tant qu'assesseur et à titre personnel, raconte Nadine Lyon-Caen, je me bats pour que la sanction soit prise au regard de la faute commise et non pas, en cas de jugement par défaut, aggravée pour cause d'absence du jeune car, si cela se présente une seconde fois, c'est cette peine aggravée qui tombe. » Un engagement qui, s'il s'inscrit bien dans l'esprit des ordonnances de 1945 qui fait prévaloir l'éducatif, cadre mal, parfois, avec la brièveté de l'exercice de la fonction. Les assises de l'assessorat se sont ainsi faites l'écho de frustrations. Les ordonnances de 1945 « font le pari sur l'éducabilité du mineur, souligne Jean-Bernard Dumortier, cela signifie que la décision de justice ne peut se comprendre que dans un parcours, dans une durée, qui est le propre de l'espace éducatif. Or l'assesseur n'est associé qu'à un moment (crucial certes, mais ponctuel) de la prise de décision ». Lié à une faible reconnaissance sociale et, dans les grands tribunaux, à la fréquence réduite des audiences (moins d'une fois par mois) pour chaque assesseur, cet aspect peut aussi expliquer le peu d'investissement de certains au sein des tribunaux.
Citoyens informés et sensibilisés aux problématiques complexes de la délinquance, mais aussi proches de la culture juridique, ils savent soulever, au-delà de l'effet de mode, les limites de la médiation et de la « justice de quartier » car « la justice juge des personnes avec des lois générales et cela lui pose problème de faire du collectif sur un petit territoire », rappelle Olivier Guérin, procureur de la République au TGI de Lille. Les assesseurs sont néanmoins intéressés par cette « sortie de la justice du tribunal » et par le continuum prévention/justice qui se constitue au sein de la politique de la ville. Mais ils constatent que les simples citoyens qu'ils redeviennent à la sortie du tribunal, ne peuvent encore y trouver leur place comme acteurs.
Valérie Larmignat
(1) Voir ASH n° 2043 du 31-10-97.
(2) Chiffres de juin 1996 - Ministère de la Justice.
(3) Article L. 522-3 du code de l'organisation judiciaire.
(4) Femmes au foyer (12 %), techniciens, employés, ouvriers (7 %), artisans et commerçants (5 %).
(5) FNAPTE : « Malvinot » - 47260 Castelmoront/Lot - Fax : 05 53 79 42 12.
(6) Les IIe assises nationales de l'assessorat se sont tenues au palais de Justice de Lille le 27 septembre 1997. Thème : « Assesseur : citoyen-juge ».