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Quels éducateurs pour demain ?

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Après plus d'un demi-siècle d'existence, la profession d'éducateur spécialisé reste centrale dans le secteur social et médico-social. Pourtant, certaines mutations en cours risquent fort de peser sur son avenir.

« Le titre d'éducateur est actuellement utilisé un peu à tort et à travers. On entretient ainsi un flou artistique autour de la profession. Résultat : on ne sait plus très bien ce qu'est un éducateur », déplorait René Clouet, directeur du CREAI des Pays-de-la-Loire, lors des premières rencontres des éducateurs spécialisés, organisées à l'initiative des CREAI Basse-Normandie, Bretagne, Centre et Pays-de-la-Loire (1). Il est vrai que, face à la multiplication des nouvelles fonctions de l'intervention sociale, les éducateurs spécialisés ont du mal à trouver leur place. Et, même s'il n'y a pas vraiment péril en la demeure, un certain malaise se fait jour dans cette profession qui, à l'instar des autres, subit les tensions actuellement à l'œuvre dans le champ de l'action sociale.

Crise d'identité

La profession d'éducateur spécialisé, est l'une des plus anciennes et des plus solidement ancrées du secteur. Pourtant, sous cette apparente stabilité, couve une véritable crise identitaire. « La recomposition sociale crée de nouvelles fonctions et met l'éducateur spécialisé face à de nouvelles concurrences, de nouveaux enjeux et de nouveaux espaces de travail », constatent ainsi les organisateurs des rencontres. Car si la grande majorité des éducateurs spécialisés restent relativement protégés au sein du dispositif institutionnel et conventionnel très structuré, hérité des trente glorieuses, certains travaillent désormais aux franges du social, sur des postes plus ou moins précaires et selon des modes d'intervention bousculant les modèles classiques en travail social. En outre, le double thème de l'urgence et de l'humanitaire ainsi que la problématique omniprésente de l'exclusion et de l'insertion pèsent de plus en plus sur les pratiques professionnelles. Et cette explosion des cadres et des modèles anciens du travail social et éducatif est particulièrement sensible dans certains secteurs (notamment la politique de la ville... ), où le diplôme a perdu de son importance dans la définition des profils de postes. Sachant, enfin, que la relation éducative auprès de publics en difficulté ne constitue plus le cœur unique de l'identité professionnelle des éducateurs spécialisés. Ceux-ci, rappelle pour sa part Pierrette Duperray, directrice-adjointe du CREAI des Pays-de-la-Loire, « sont apparus pour pallier les déficiences de la famille. Or, on s'est aperçu qu'il fallait la remettre à sa place. La question se pose donc de savoir s'il est encore nécessaire d'avoir des éducateurs tels que l'on pouvait les concevoir à l'origine. »

On est en train de passer, progressivement, d' « une logique de la certification » (le diplôme) à « une logique de la compétence »   (2) , défend Jean-Noël Chopart, sociologue, citant les premiers résultats de l'important programme d'observation des emplois et des qualifications des professions de l'intervention sociale, qu'il dirige actuellement à la mission recherche  (MIRE) du ministère (3). « On voit ainsi apparaître de nouvelles fonctions du social, souvent hors conventions collectives, qui occupent la place laissée par les professions sociales classiques, notamment éducatives », observe-t-il. C'est ce que confirme une enquête réalisée, en avril dernier, par la FNARS, sur l'évolution des métiers dans le champ de l'insertion sociale. Les « emplois d'appui direct » aux personnes en difficulté y constituent un peu plus de la moitié de l'effectif salarié. Et sur ce nombre, 47 % ont une formation de travailleurs sociaux, dont 16,5 % d'éducateurs. Cette analyse montre ainsi que, pour répondre aux besoins d'un public de plus en plus jeune et en proie à de graves difficultés, il n'y a pas création de nouveaux métiers mais plutôt apparition de nouvelles compétences. Aujourd'hui, pour être éducateur en CHRS, il est nécessaire de savoir poser un diagnostic rapide et précis, conduire un accompagnement individuel, débroussailler une situation sociale, monter des dossiers administratifs, s'informer sur les dispositifs existants dans des domaines aussi différents que le logement, l'emploi et la santé, ou encore mener des opérations en partenariat avec d'autres organismes. Résultat : « On va vers la spécialisation des travailleurs sociaux avec l'avènement de véritables personnes ressources. Ce qui explique que le diplôme ne détermine plus forcément l'évolution de la personne », constate Jean-Pierre Mougeot, directeur de l'association l'Etoile, à la Roche-sur-Yon, et président de la commission formation de la FNARS. « On quitte le modèle de l'artisanat et de la corporation au profit des logiques institutionnelles sachant que la déontologie traditionnelle du travail social semble battue en brèche par une'morale du devoir" à l'égard de l'employeur », indique, pour sa part, François Aballéa, sociologue à l'université de Rouen, qui participe également au programme de la MIRE. En clair, les éducateurs peuvent de moins en moins revendiquer leur autonomie professionnelle vis-à-vis des employeurs, en particulier des conseils généraux.

UNE PROFESSION STABLE

Les éducateurs spécialisés restent la profession sociale la plus importante, à l'exception des assistantes maternelles. L'annuaire des statistiques sanitaires et sociales 1997 du ministère de l'Emploi et de la Solidarité, dénombre 46 248 éducateurs spécialisés, dont plus de 35 000 pour les seuls secteurs du handicap et de la réadaptation sociale (parmi lesquels un certain pourcentage de « faisant fonction » ). A titre de comparaison, on compte, au total, 33 000 assistants de service social (hors service social du travail) et 20 000 moniteurs-éducateurs dans le secteur social. A noter que les deux tiers des éducateurs sont des femmes (4) et que le taux du travail à temps partiel se situe aux alentours de 17 %. Quelle est l'évolution dans le temps du corps professionnel ?Selon les services statistiques du ministère, la pyramide des âges de la profession est « homogène » avec, il est vrai, un effectif maximum dans la tranche des 35-45 ans. Cependant, les jeunes sont toujours aussi nombreux à entrer dans le métier. Dans son rapport sur l'emploi dans la branche sanitaire, sociale et médico-sociale (5), la commission paritaire nationale de l'emploi a rappelé, récemment, que le corps des éducateurs connaît, depuis une dizaine d'année, un taux de croissance annuel de l'ordre de 2,7. Ainsi, l'effectif professionnel, y compris les non-diplômés, est passé de 32 110 à 42 400 entre 1986 et 1994. « Il n'y a donc pas d'étranglement à l'entrée de la profession car le secteur continue à embaucher et principalement sur des postes couverts par les conventions collectives », constate le sociologue Alain Vilbrod.

Quelles valeurs professionnelles ?

Une évolution qui percute, de plein fouet, la formation telle qu'elle existe actuellement. Il est en effet « indiscutable, juge Jean-Louis Le Bray, membre d'Unites, que la formation doit s'adapter aux évolutions du secteur ». « Le cloisonnement par filières de formation n'est plus opportun. Il y a une culture commune à trouver entre professions sociales », avance, pour sa part, Didier Tronche, directeur du Snasea, l'un des syndicats employeurs de la branche. Ce qui, précise-t-il aussitôt, ne disqualifie pas les métiers sociaux existants qui sont « largement suffisants pour assurer les nouvelles fonctions ». A condition, toutefois, « de réfléchir aux raisons pour lesquelles les professionnels ne les ont pas occupées ».

Force est de reconnaître en effet, et la formation n'y est sans doute pas étrangère, que les éducateurs ont du mal à investir les nouveaux domaines de l'action sociale. D'autant plus que ceux-ci n'offrent, souvent, que des emplois précaires et mal couverts sur le plan conventionnel. « Les professions éducatives tendent à se retrancher dans leurs secteurs d'origine que sont la protection de l'enfance ou encore le handicap. On ne peut d'ailleurs pas le leur reprocher mais ça ne les met pas à l'abri des changements en cours », note Jean-Noël Chopart. Une analyse partagée par Jean-Louis Le Bray, pour qui « plus l'éducateur est insécurisé, moins il a confiance dans l'environnement social et plus il se retranche dans les dispositifs classiques ».

« La solution du problème posé aux éducateurs ne se trouve pas, en tout cas, dans un surcroît de technicité mais plutôt dans une interrogation sur leurs valeurs professionnelles », estime, pour sa part, André Cherrière, directeur du CREAI de Basse-Normandie. Des valeurs qu'il n'est sans doute pas inutile de rappeler dans le contexte mouvant actuel. Pour lui, « il y a quelque chose qui tourne autour de l'altruisme, de l'intervention auprès d'autrui, de la capacité à faire du lien et à donner du sens. Ce sont des notions qui ont une certaine permanence dans la profession ». Une position qui, précise-t-il, ne relève en rien d'une défense corporatiste ou d'une nostalgie passéiste. « Au contraire, il faut réfléchir aux professions sociales en fonction des besoins actuels. Ce qui ne décroche pas des valeurs de jadis mais oblige à repenser la façon dont on les met en œuvre. » Et surtout « d'arriver à passer à une pratique quotidienne », ajoute André Cherrière. Enfin, rappelle-t-il, derrière la question des valeurs se pose également celle du politique et de la demande sociale. « Il s'agit de savoir ce que l'on attend des éducateurs. S'il y a une voie possible, elle se situera entre une clarification de cette demande et une mobilisation des professions éducatives. » Mais ce sursaut autour des valeurs ne vient-il pas trop tard ? La profession d'éducateur ne serait-elle pas déjà « passée au second plan du paysage de l'action sociale ? », s'alarme Michel Legros, formateur à l'école nationale de la santé publique. Jérôme Vachon

CHANGER SANS PERDRE SON ÂME

C'est le souci d'élargir son horizon professionnel tout en préservant les valeurs du métier qui a guidé Jacky Dufay, éducateur spécialisé et titulaire d'un DSTS, lorsqu'il a quitté son emploi en AEMO pour occuper, huit années durant, le poste de chargé de mission RMI au sein de la préfecture de l'Orne. « Je crois que, trop souvent, les éducateurs se cantonnent à leur seul champ d'intervention. Pour ma part, je souhaitais faire autre chose, connaître un peu la face cachée des choses », explique-t-il. Un pari qui n'était pourtant pas gagné d'avance. « Lors de mon embauche, raconte-t-il, le préfet était assez sceptique sur ma capacité, en tant qu'éducateur, à gérer correctement un dossier. Il m'a fallu le convaincre qu'il avait besoin de ma culture professionnelle de travailleur social avec ce que cela suppose de connaissance concrète des publics en difficulté. » Aujourd'hui, de retour dans un établissement pour enfants handicapés, il plaide toujours la cause des éducateurs. « Le cœur de notre métier, c'est la relation éducative et l'idée que l'on peut aider les autres de façon professionnelle et distanciée par rapport aux personnes. A cet égard, le diplôme constitue quand même un gage de sérieux. Et je crois que les éducateurs ont un bel avenir devant eux. A condition qu'ils fassent l'effort de s'adapter aux changements que l'évolution de la société induit dans les professions sociales. »

Notes

(1)  Au Mans les 21 et 22 octobre - Contact : CREAI des Pays-de-la-Loire - 90, rue des Hauts-Pavés - BP 20119 - 44001 Nantes - Tél. 02 40 40 05 05.

(2)  Cette évolution a également été mise en lumière par la vaste enquête sur les salariés et l'emploi dans la branche sociale, médico-sociale et sanitaire, que vient de réaliser Promofaf - Voir ASH n° 2044 du 7-11-97.

(3)  Voir ASH n° 1965 du 8-03-96.

(4)  Voir ASH n° 2030 du 4-07-97.

(5)  Voir ASH n° 2046 du 21-11-97.

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