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Replacer l'enfant au centre des pratiques

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Les professionnels du placement familial ont tenté de mettre à plat leurs dysfonctionnements pour que l'institution, « d'impasse » puisse devenir « espace » pour l'enfant. Remises en cause salutaires.

Une charrette où s'entassent, emmaillotés, des dizaines de nourrissons voués pour beaucoup à la mort pendant le trajet qui les mènera de l'hôpital citadin à la nourrice de campagne. Temps où l'administration enfouissait à jamais les origines honteuses de l'enfant pour - était-elle alors convaincue - son plus grand bien et où les nourrices étaient exhortées non plus seulement à allaiter mais aussi à « aimer ces enfants comme les leurs ». Ces « images d'Epinal » et le credo du substitut familial jouent aujourd'hui comme repoussoirs pour des pratiques en placement familial largement institutionnalisées et professionnalisées, favorisant le placement court et le maintien des liens avec la famille.

« Lors des discussions que nous avons menées l'année dernière sur les placements de longue durée, la professionnalisation des assistantes maternelles, l'existence de cadres institutionnels rigoureux étaient apparues plus que jamais nécessaires pour que soit respectée la place de chacun, y compris celle de la famille d'origine », explique Alain Boucher, président de l'Association nationale des placements familiaux  (ANPF)   (1).

Retrouver l'unité du sujet

Réunie pour ses journées nationales d'étude (2), l'ANPF, qui regroupe près de 200 adhérents, services et travailleurs sociaux en placement familial, a souhaité prolonger sa réflexion par une interrogation sur les conséquences de cette institutionnalisa tion. En quoi, se sont demandés les 500 assistantes maternelles, éducateurs, chefs de service, juges et psychologues présents, nos pratiques institutionnelles gomment-elles l'unité du sujet ? Comment faire et comment travailler ensemble pour remettre l'enfant au centre des pratiques ?Interrogations pour le moins essentielles et plutôt courageuses qui, si elles touchent aux savoir-faire et aux méthodes, mènent assez directement à la question des finalités du travail de chacun des partenaires. Car « aucune rupture, aucun placement n'est thérapeutique en soi », rappelait Viviane Lelièvre, psychologue clinicienne à Toulouse, reprenant les propos du professeur Maurice Berger (3).

« L'enfant en miettes » que décrivait, il y a plus de dix ans, Pierre Verdier n'est certes pas seulement l'enfant placé en famille d'accueil, mais certaines spécificités du travail en placement familial, comme la multiplicité des « référents » autour de l'enfant, ne semblent pas avoir facilité l'émergence d'une remise en question. Tout se passe comme si, et les journées nationales ne faisaient pas exception, certains débats restaient d'ailleurs indépassables :celui de l'affect de l'assistante maternelle face à la technicité de l'éducateur, celui de l'éducateur « de terrain » face au juge « de bureau ». Au détour des logiques de conflits et des forteresses bien défendues, sont posées ici et là les difficultés particulières du travail en commun autour de l'enfant placé en famille d'accueil : l'isolement trop fréquent de la famille d'accueil souvent mal intégrée au travail d'équipe, l'ambiguïté du rôle du travailleur social qui, plus ou moins malgré lui, est aussi l'œil de l'employeur chez l'assistante maternelle, la place indispensable et parfois problématique de l'attachement et la manière dont il est travaillé - et non plus seulement encouragé ou reproché selon les époques -avec l'équipe du service de placement. « Il est vrai, rappelle Bernadette Chifflet, directrice d'un service de placement familial à Lyon, que cette dimension de l'affectif est difficile à traiter avec les outils traditionnels du monde du travail. » Bref, cette famille qui vit et aime au quotidien rentre finalement assez mal dans les cadres d'analyse et de travail des institutions, elle échappe et il semble qu'elle dérange parfois : « De quoi avez-vous peur, de quoi a-t-on peur ? » lance aux éducateurs une assistante maternelle dont la double casquette - elle est également éducatrice - donne une tonalité particulière aux propos. Nier ces difficultés au dialogue, trop ignorer le fait que le placement familial est, comme le souligne Anne-Marie Favard, professeur d'université (docteur en droit et en psychologie), « une des pratiques où le risque de tomber dans le sens commun est le plus grand parce que portées par'l'évidence de la famille " », font partie de ces attitudes qui peuvent faire du travail d'équipe un travail dangereux pour l'enfant en tant que personne. »

Pour Alain Boucher, « il s'agit de mettre en place des dispositifs qui réfléchissent à la place des uns et des autres et à l'articulation des pratiques de manière à ce que l'enfant puisse y garder, lui, sa propre place ».

Pratiques institutionnelles : et l'enfant ?

Car le constat revient à plusieurs reprises. Malgré les progrès que constituent la professionnalisation des assistantes maternelles et l'attention portée à la famille d'origine de l'enfant, les pratiques professionnelles aboutissent encore trop fréquemment au « découpage de l'enfant » et au mépris de sa parole alors même « qu'on est tous très enclin à brandir la protection de l'enfance, à agir au nom d'un intérêt supérieur de l'enfant jamais défini en commun et toujours sous-tendu par l'idéologie non nommée de chacun », déplore Bernadette Chifflet. « Difficile, reconnaît Françoise Peille, formatrice et attachée de psychologie à l'hôpital Saint-Vincent-de-Paul, d'avoir un consensus sur une éthique de l'enfance. » La tentation est grande alors de fonctionner sur des évidences largement partagées et ce, d'autant plus, souligne Anne-Marie Favard, « que dans le nouveau travail en réseau, pluridisciplinaire, personne ne parle le même langage et que finalement la seule chose sur laquelle on puisse se retrouver c'est ce sens commun qui, de fait, réintroduit des stigmatisations ». Ainsi, d'après une étude qu'elle a menée sur les écrits (rapports) des travailleurs sociaux, le discours de l'institution s'avère en général plus descriptif et déclaratif qu'analysant, et nie l'enfant comme acteur dans son rapport à l'institution et à sa famille, le replaçant à nouveau en position unique de victime. De même, c'est encore trop souvent autour de la recherche d'un coupable que tournent les réunions pluridisciplinaires concernant l'enfant. Enfin, bien loin de l'intérêt de ce dernier, l'existence reconnue par tous de logiques bureaucratiques - d'autant plus néfastes que la plupart du temps elles s'ignorent - est à l'origine d'effets pervers gigantesques (logiques de filières) qui vont à l'encontre des projets et des missions des intervenants en placement familial. Il y a donc urgence, a-t-on rappelé à Bergerac, à soumettre les pratiques à plus de méthodologie et à construire des outils d'évaluation. Par exemple, « baliser les différentes étapes du travail permet de visualiser les pannes dans le travail ou de faire apparaître les écarts par rapport à la démarche », explique Anne-Marie Favard. Côté travail partenarial, l'enjeu consiste aujourd'hui « à inventer des référentiels communs, unitaires et professionnels, à construire des concepts opératoires transdisciplinaires ». Moyen de sortir du monde des représentations individuelles et corporatistes, sources de conflits ou de ces consensus dangereux. C'est peut-être d'ailleurs dès les formations initiales que pourraient s'ébaucher les bases d'un code commun. Juge aux affaires familiales, Mme Lenoir regrette « la méconnaissance du droit qu'ont souvent les services sociaux et en particulier des procédures d'urgence » et pense qu'il s'agit là « d'une lacune de la formation des travailleurs sociaux ». Favorable également à une ouverture des formations sur de nouvelles disciplines, Bernadette Chifflet argumente : « En placement familial, on est très plein du discours clinique, on s'y complaît. Il a été tellement valorisé qu'on y a perdu nos identités plus éducatives. On n'est pas des thérapeutes, on fait du social. » Mais réfléchir au rôle de chacun pour mieux travailler ensemble est parfois nécessaire au sein même des institutions. Comment promouvoir un travail d'équipe réel quand certains services entretiennent la fonction tutélaire de l'éducateur sur l'assistante maternelle ? Aujourd'hui assistantes maternelles comme éducateurs vivent mal cette situation ambiguë. « Il faut une gestion des assistantes maternelles par la hiérarchie et cesser de faire participer les travailleurs sociaux à la sélection et à l'embauche des assistantes maternelles », alerte un chef de service.

Se centrer sur la souffrance et le projet de l'enfant

A travers ces pratiques mises en cause c'est aussi chaque fois la spécificité du travail en placement familial qui est pointée. La multiplicité des liens à gérer autour de l'enfant et le travail avec une famille d'accueil qui renvoie toujours aux limites de l'approche professionnelle et au « poil à gratter » du travail social : l'affectif. Mais si le travail en institution consiste en partie à réguler cet affectif, « le centre de mon travail, rappelle un éducateur spécialisé, c'est bien comment je prends en charge, dans une situation complexe, la souffrance de l'enfant ». Accompagnement, portage et prise en charge de la souffrance, de la violence liées aux ruptures... on comprend qu'il soit souvent plus facile de définir sa mission autrement en se positionnant comme « conseiller technique » de l'assistante maternelle. « Et puis nous travaillons dans l'incertain », ajoute Viviane Lelièvre. Incertain des manifestations de l'angoisse de l'enfant, incertain de l'impact des actions entreprises pour l'enfant mais aussi incertain du côté des outils de travail : « Il n'y a pas d'outils d'analyse familiale. On plaque une démarche clinique prévue pour l'individu à la famille et à partir de ça on prend des décisions graves. » Enfin, les incertitudes face à une société qui change et fait fondre nos repères sont aussi celles des travailleurs sociaux et intervenants en placement familial : confrontés à des situations familiales nouvelles, à des enfants aux problématiques inédites, ils cherchent des réponses. « Dans une société où les barrières entre les générations sautent, où parfois les rôles s'inversent, dans un monde de grands enfants qui ont du mal à jouer un rôle d'autorité, les réponses, il va falloir les inventer », avertit M. Carrade, psychanalyste. Rencontres médiatisées entre familles d'origine et enfants placés, visites plus fréquentes de l'éducateur, partout on tente d'inventer, et les assistantes maternelles le font tous les jours mais l'institution réapparaît vite sous son aspect peut-être le plus rigide. L'innovation, le temps passé à chercher de nouvelles solutions trouvent rapidement leurs limites dans les services où chaque éducateur doit suivre une vingtaine d'enfants.

« De plus en plus fréquemment » cependant,   « les travailleurs sociaux font en sorte que le placement soit une décision négociée avec la famille, qu'il y ait un véritable travail en amont avec les familles sur leurs droits et leur devoirs », tient à préciser M. Desforges, inspecteur départemental de l'aide sociale à l'enfance. Les pratiques ont donc su évoluer peut-être parce que certaines voix s'élèvent régulièrement - avec difficulté mais elles semblent de plus en plus entendues - pour expliquer que « tant que les travailleurs sociaux se situeront effectivement dans une fonction tutélaire, même si beaucoup le récusent, ils s'assoiront allègrement sur les droits de l'enfant ».

Sans être la panacée mais pour dépasser les vieux débats et donner sa place à l'enfant, à ce qu'il dit, la direction de travail déjà engagée dans de nombreux services est celle du projet individuel de l'enfant. « C'est en termes de finalités de nos actions quotidiennes qu'il faut maintenant réfléchir, moins centrées sur des projets techniques de services que sur l'engagement dans une pratique personnalisée », résume le président de l'ANPF. Projets individuels ? Certes, « mais il serait temps de lâcher ce que les enfants ne veulent pas lâcher, propose M. Carrade, c'est-à-dire leur avenir ».

Un regard plutôt lucide des professionnels sur leurs pratiques et qui, s'il n'est pas partagé par tous, a le mérite d'interroger le fonctionnement institutionnel bien au-delà du strict domaine du placement familial.

Valérie Larmignat

Notes

(1)  ANPF : 34, rue de Paradis - 75010 Paris - 01 47 70 23 95.

(2)  Ces journées ont eu lieu les 25 et 26 septembre derniers à Bergerac.

(3)  Maurice Berger, psychologue clinicien en psychopathologie de l'enfant, a publié en 1997 L'enfant et la souffrance de la séparation - Ed. Dunod - Voir ASH n° 2025 du 30-05-97.

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