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Portrait d'une famille éclatée

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Multiplicité des formations, diversité des secteurs d'intervention, disparité des statuts... Le secteur de l'animation apparaît de plus en plus morcelé. Et les animateurs, plus que jamais, en quête de leur identité professionnelle.

« Le projet d'origine qui sous-tendait le secteur de l'animation est mort. Sont restés les animateurs. Et je suis absolument incapable de donner une définition honnête de ce qu'est l'animation aujourd'hui. Sauf à dire qu'il s'agit d'un métier incertain, polyvalent, changeant et peu reconnu. » C'est presque un aveu d'impuissance qu'a formulé, le 2 octobre, à Toulouse, la sociologue Geneviève Poujol, lors des premières assises régionales de l'animation, organisées par l'Organisme de recherches et de formations en éducation et en animation (ORFEA)   (1). Cette spécialiste de l'éducation populaire et du secteur socio-culturel, aujourd'hui à la retraite, a pourtant consacré l'essentiel de sa carrière à scruter les multiples métamorphoses du métier d'animateur. Mais, force lui est de constater qu'après 30 années d'existence, cette profession n'en est, justement, pas encore une. Du moins pas au sens classique du terme. En effet, d'un point de vue sociologique, la reconnaissance d'un corps professionnel passe par un certain nombre de critères précis. En premier lieu, l'existence de statuts et de diplômes définissant les conditions d'accès et d'exercice de la profession. Deuxièmement, le fonctionnement d'instances représentatives agissant auprès des pouvoirs publics et des employeurs. Enfin, une légitimité sociale fondée sur l'importance du service rendu, des savoirs spécifiques et une déontologie ou une éthique explicite (2). Or, à en croire la chercheuse, sur la plupart de ces points, « la profession d'animateur est loin d'être arrivée au terme de son institutionnalisation ».

Trop de diplômes

Ainsi, en ce qui concerne la formation des animateurs, Geneviève Poujol se montre extrêmement critique. « Il y a beaucoup trop de diplômes pour être honnêtes. D'ailleurs, aucun ne représente vraiment la profession », estime-t-elle. Il est vrai que, même si l'on exclut les brevets non professionnels  (BASE, BAFA et BAFD) qui servent généralement de porte d'entrée dans le métier, les diplômes de l'animation sont particulièrement nombreux. On trouve d'abord, au niveau V, le Brevet d'aptitude professionnelle d'assistant animateur technicien  (BAPAAT) puis, au niveau IV, le Brevet d'Etat d'animateur technicien de l'éducation populaire (BEATEP). En ce qui concerne le niveau III, deux diplômes se trouvent plus ou moins en concurrence : le Diplôme d'Etat relatif aux fonctions d'animateurs (DEFA) et le Diplôme universitaire de technologie (DUT), option animateurs socio-culturels. Enfin, au niveau II, outre le Diplôme supérieur en travail social (DSTS), il existe le tout récent Diplôme d'Etat de directeur de projet d'animation et de développement  (DPAD). Pour compliquer les choses, plusieurs de ces diplômes relèvent, à la fois, du ministère de la Jeunesse et des Sports et de celui des Affaires sociales. En outre, ils ne sont pas tous reconnus dans l'ensemble des secteurs de l'animation. C'est notamment le cas du DEFA qui, contrairement aux souhaits des organisations syndicales, n'entre pas dans les cadres d'emplois de la filière animation de la fonction publique territoriale, créée en mai dernier (3). De même, le BAPAAT ne figure pas dans la convention collective de l'animation socio-culturelle.

Autre difficulté : il faut généralement déjà exercer le métier d'animateur pour pouvoir se former. Une situation qui tient, en grande partie, à la tradition militante du secteur et à l'importance accordée à la formation « sur le tas ». De fait, la plupart des animateurs entrent très tôt dans la profession, sans diplôme professionnel, et tardent à se former. Il est vrai que, compte tenu du coût élevé des études, il est préférable d'être déjà en activité, soit afin de bénéficier d'une prise en charge dans le cadre de la formation continue  soit, à défaut, pour être en mesure de financer directement sa formation. Un obstacle qui, dans le cas du DEFA, se conjugue avec un cursus extrêmement exigeant. Résultat : ce diplôme, le plus difficile à obtenir de l'ensemble de la filière, connaît un taux d'échec particulièrement élevé (depuis sa création, en 1983, seules 2 684 personnes l'ont obtenu).

Etre ou devenir animateur ?

Faut-il, pour autant, condamner les formations aux métiers de l'animation ? « On n'acquiert pas un tempérament d'animateur dans une école. On l'est déjà », affirme Geneviève Poujol, insistant sur le fait que beaucoup d'animateurs « professionnels et expérimentés » n'ont d'autre formation que le BAFA. Pour elle, la dimension militante du métier demeure prépondérante. « L'animateur, c'est quelqu'un qui a intégré très tôt le fait qu'il pouvait jouer un rôle dans la société », observe-t-elle. Une analyse qui laisse sceptique un certain nombre de professionnels diplômés. « Pour les animateurs professionnels, ce qui compte, c'est d'abord le diplôme, même si, sur le terrain, des animateurs non diplômés peuvent être tout à fait efficaces. Mais si on veut professionnaliser le métier, il faut en passer par le diplôme », objecte Isabelle Bouya, animatrice diplômée DEFA et vice-présidente de l'Association médiatrice des animateurs carbogènes  (AMAC)   (4). Une organisation qui regroupe une centaine de professionnels de la région Midi-Pyrénées.

Reste que les problèmes liés à la formation ne sont pas seuls en cause. L'éclatement de l'animation entre différents secteurs d'activité est également un puissant facteur de confusion. En effet, si à l'origine, les animateurs étaient concentrés, essentiellement, dans les équipements socio-culturels créés au cours des années 50 et 60 (MJC, maisons de jeunes, centres sociaux, centres de loisirs), nombreux sont ceux qui, depuis, ont essaimé vers des domaines proches. Quitte, parfois, à concurrencer d'autres professionnels de l'intervention sociale, en particulier les éducateurs spécialisés. On trouve désormais des animateurs aussi bien dans le développement local rural, les dispositifs de la politique de la ville et les établissements pour handicapés que dans la prévention spécialisée, l'animation des personnes âgées et, depuis peu de temps, le secteur hospitalier. A cela s'ajoutent les secteurs traditionnels que restent l'enfance, les loisirs et la culture. L'animation socio-culturelle apparaît ainsi éclatée entre ses deux composantes de base, la culture et le social.

Entre culturel et social

Par ailleurs, les cadres d'emplois de la profession se sont multipliés avec des statuts et des contrats souvent précaires : fonctionnaires territoriaux, chargés de mission, vacataires, salariés d'associations... Ce qui explique, en partie, l'absence de véritables organisations représentatives au sein de la profession et la faible syndicalisation des animateurs. Quoi de commun, en effet, entre un animateur intervenant dans une maison de la culture d'une grande ville et un autre chargé du développement d'une petite commune rurale ? « Il est vrai qu'outre le fait de s'appeler animateur, on ne sait pas très bien ce qui nous réunit ni quelle est notre identité », reconnaît Isabelle Bouya. « Le fait que les animateurs ne se coagulent pas en tant que corps professionnel vient peut-être du fait qu'ils restent, au fond d'eux-mêmes, marginaux et individualistes », suggère, pour sa part, Jean-Claude Gillet, docteur en sciences de l'éducation et formateur aux métiers de l'animation à Bordeaux. Une situation dont s'accommodent cependant assez mal les jeunes diplômés en quête de reconnaissance et de stabilité professionnelle. « Doit-on se résigner à des contrats précaires, des structures inexistantes et des missions floues », s'agaçait ainsi, à Toulouse, une jeune animatrice. Une inquiétude d'autant plus grande que les diplômés sont sans cesse menacés de concurrence par l'arrivée de nouveaux venus. Ainsi, la mise en place des emplois-jeunes, notamment dans le champ de l'éducation populaire, suscite-t-elle certaines craintes au sein de la profession.

Néanmoins, on peut se demander si le flou qui entoure l'animation n'est pas, finalement, l'un de ses éléments constitutifs. Autrement dit, ne serait-ce pas cette incertitude fondamentale qui incite les professionnels à investir sans cesse de nouveaux champs d'intervention ? C'est ce que semblent penser un certain nombre d'animateurs. « Il faut être un peu kamikaze pour faire ce métier. On s'en plaint mais peut-être que nous ne supporterions pas de travailler dans des structures trop encadrantes. Nous sommes dans la contradiction. Nous voulons un statut avec une place alors que notre métier fait que nous allons éteindre des feux là où un besoin existe et répondre à ce que les autres travailleurs sociaux ne peuvent pas prendre en compte », constate ainsi Olivier Darasse, animateur à la mairie de Toulouse et membre de l'AMAC. « Les animateurs ont conscience de former une famille plurielle. Ce qui n'est d'ailleurs pas forcément un handicap. Et s'il y a crise d'identité, le problème est chez nous. C'est à nous de nous rendre plus lisibles », estime, pour sa part, Philippe Charrier, animateur DEFA, travaillant dans le secteur des personnes âgées au sein du conseil général des Landes. Pour lui, l'animation ne se reconnaît ni dans ses outils ni dans ses publics, « qui sont extrêmement variés », mais, plutôt, dans une pratique professionnelle basée sur les phénomènes de groupe, la communication et le projet « avec une attention particulière apportée aux notions de bien-être, de lien et de plaisir ». Autre caractéristique des métiers de l'animation : leur grande proximité avec le politique. Nombre de professionnels se trouvent en effet en contact étroit avec les élus locaux et doivent composer en permanence avec eux. Ce qui ne va pas toujours sans difficulté.

Au final, le véritable dénominateur commun des professionnels de l'animation ne réside-t-il pas dans la fonction sociale qu'ils assument collectivement ? C'est en tout cas la thèse que défend Jean-Claude Gillet, affirmant que l'animateur « est un producteur d'espace et de temps de médiation, capable de mettre en place des processus pour que des acteurs différents puissent travailler ensemble ». Pour reprendre sa formule, l'animateur serait un « médiacteur » visant à favoriser l'exercice de la citoyenneté à un niveau collectif. Isabelle Bouya ne dit pas autre chose quand elle explique qu'être animateur « c'est aussi, et de plus en plus, jouer un rôle de coordonnateur de l'ensemble des partenaires ou des acteurs d'un territoire sur un projet précis. L'animateur est un facilitateur qui est là pour aider les projets à émerger et leur donner vie, les animer ».

Jérôme Vachon

L'IMPOSSIBLE DÉCOMPTE

Combien existe-t-il d'animateurs en France ? Il est extrêmement difficile d'avancer un chiffre fiable. Dans les organismes privés sans but lucratif, au moins 30 000 salariés à temps plein et 100 000 à temps partiel sont couverts par la convention collective de l'animation socio-culturelle. De son côté, la fonction publique territoriale employait, en 1993, 107 458 agents intervenant dans le domaine de l'animation. Toutefois, sur ce total, on ne comptait que 29 781 animateurs et aide-animateurs, pour la plupart non titulaires. Par ailleurs, une étude réalisée en 1990 par l'Observatoire des professions de l'animation annonce 170 000 emplois permanents dans l'animation. Un chiffre auquel s'ajoutent près de 140 000 saisonniers. Quant à l'Unedic, elle estimait, en 1989, à 400 000 le nombre des emplois dans les institutions et mouvements relevant de l'animation socio-culturelle. Quoi qu'il en soit, en comparaison, le nombre des titulaires d'un diplôme professionnel apparaît relativement faible. En effet, selon les données disponibles, il ne dépasserait pas les 30 000.

Notes

(1)  ORFEA : 9, rue Joly - 31400 Toulouse - Tél. 05 61 52 26 21.

(2)  Source : Le guide de l'animateur socio-culturel - Geneviève Poujol - Ed. Dunod - 155 F.

(3)  Voir ASH n° 2026 du 6-06-97.

(4)  AMAC : c/o Bénédicte Monnerie - 09500 Vals - Tél. 05 61 68 62 63.

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