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La coordination gérontologique refait surface

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Les négociations entre les partenaires locaux de la coordination gérontologique traduisent l'inquiétude du secteur à l'égard de la prise en charge de la dépendance.

Avec la nomination récente des 35 membres du Comité national de coordination gérontologique, le dispositif de coordination est bouclé. Du moins sur le papier. La loi du 24 janvier 1997 (1), qui crée la prestation spécifique dépendance  (PSD), rend en effet celle-ci obligatoire entre les conseils généraux - maîtres d'œuvre de la PSD - et les organismes de sécurité sociale. Arlésienne des politiques vieillesse depuis 30 ans, la mise en place de la coordination gérontologique cristallise déjà les enjeux politiques et économiques autour de la dépendance. Ce que traduisait le débat organisé par les Uriopss Champagne-Ardenne, Nord et Picardie (2). Les conseils généraux seront-ils aussi les chefs de file du deuxième niveau de coordination, facultatif celui-là, avec les prestataires de service ? Certains acceptent le challenge, d'autres s'y refusent. Et les caisses de sécurité sociale, mal à l'aise, traînent les pieds.

Depuis des décennies, querelles de pouvoir, intérêts légitimes et illégitimes des professionnels, des administrations, des caisses et des élus, multiplication des financeurs et des décideurs dans le système de « prise en charge de la vieillesse », ont rendu caduques ou découragé bien des tentatives d'articulation des interventions autour de la personne âgée, restées de ce fait peu ou prou expérimentales (3). Les conséquences d'une telle démarche n'entraînant pas forcément le consensus parmi la pléiade d'acteurs concernés : le département, les organismes de sécurité sociale, les médecins libéraux, les associations de maintien à domicile, les établissements sociaux et médico-sociaux, etc.

Si, pour la première fois, la loi affirme, dans son article premier, l'obligation d'une coordination sur un mode conventionnel, elle n'en définit pas pour autant le contenu, qui reste flou. Nécessité technique pour les tenants de la coordination, l'institutionnalisation de cette collaboration a évidemment pour objectif de rationaliser les moyens dont disposent les différentes institutions intervenant auprès des personnes âgées dépendantes, comme l'avait souligné le bilan de la prestation expérimentale dépendance. « Cela signe aussi la volonté des pouvoirs publics d'instaurer à terme un guichet unique des prestations d'aide à domicile », remarque Alain Villez, conseiller technique à l'Uniopss. Une option, on le sait, controversée dans sa philosophie.

Cette obligation comme la faculté de traiter avec les acteurs locaux interviennent à un moment où se mêlent amertume et inquiétude : le dispositif, en principe transitoire, perd de ce fait en crédibilité  les organismes de sécurité sociale, ayant dû céder la gestion de la PSD aux conseils généraux, en profitent pour redéfinir à la baisse leurs prestations facultatives (aide ménagère et garde à domicile)   et les services sociaux et les associations craignent de voir l'obsession de la dépendance gangréner les efforts de prévention et de prise en charge globale des personnes âgées sur des critères parfois arbitraires (4). Avec le risque, une fois de plus, que la personne âgée et son entourage - dont on ne parle plus guère -deviennent les naufragés d'un système technocratique dont la France a le secret. La réforme de la tarification des établissements, une nouvelle fois repoussée, ajoute à cette morosité. Pas facile donc, dans un contexte relativement tendu, de mettre en place une coordination qui tienne la route. D'après l'enquête menée par l'Association des présidents de conseils généraux (5), une seule convention de coordination était signée au 5 septembre dernier. A cette date, 18 départements avaient signalé la mise en place d'une instance de coordination, destinée, selon les sites, à jouer un rôle d'arbitre ou d'observateur.

La Marne (560 000 habitants) espère avoir signé la sienne d'ici à deux mois avec les partenaires obligés : mutualité sociale agricole (MSA), caisse régionale d'assurance maladie  (CRAM), caisses des professions indépendantes, Urssaf, etc. Quant à la mise en place de la PSD, l'option ici est franchement départementale. L'équipe médico-sociale repose actuellement sur un pool de trois assistantes sociales du conseil général qui couvre le territoire  le médecin traitant de la personne âgée est, lui, chargé de remplir le certificat. « Nous sommes en train de négocier avec les syndicats médicaux et le CHU la rémunération du temps et la formation des généralistes. Les assistantes sociales seront également formées », indique Françoise de Gouville, directrice de la solidarité départementale. Le dossier de la personne âgée est supervisé par un médecin départemental (1,5 poste). Grâce à (ou à cause de) la coordination, cette esquisse de territorialisation gérontologique doit permettre aux « associations prestataires d'identifier le conseil général ». Ce qui rend inutile, assure-t-elle, une convention facultative. Pourtant, une « commission plan d'aide », sorte d' « instance de coordination » est sur les rails. Objectif : valider les fameux groupes iso-ressources (GIR) et le plan d'aide. Devraient se retrouver autour de la table les prestataires de services et les représentants des caisses, pas toutes enthousiastes à cette idée. La MSA, par exemple, n'a aucune envie de siéger dans une instance où elle cautionnerait une décision qui lui serait imposée... Autre objectif : prendre en compte le secret professionnel des assistantes sociales. En cas de refus de la PSD, le dossier administratif et financier de la personne peut être adressé à la caisse  pas l'évaluation sociale. La commission permettrait ainsi de contourner la question. Rien de figé pourtant dans ce dispositif. « Il est possible que nous passions convention avec les associations locales (ADMR et Familles rurales) pour l'instruction des dossiers. Il nous faudra sans doute cet échelon de coordination de proximité si l'on veut articuler l'ensemble des prestations », assure Françoise de Gouville.

COORDINATION : CE QUE DIT LA LOI

Deux types de convention sont prévues :

 une convention conclue obligatoirement entre les conseils généraux et les organismes de sécurité sociale selon un cahier des charges national pour favoriser la coordination des prestations, au sens large, servies aux personnes âgées dépendantes, définir les modalités de gestion de la coordination et le suivi des prestations 

 une convention facultative conclue entre chaque département et les institutions et organismes sociaux et médico-sociaux (CCAS, CIAS, associations et organismes régis par le code de la mutualité) pour l'instruction et le suivi de la prestation spécifique dépendance, selon une convention- cadre. Elle peut préciser la composition de l'équipe médico-sociale, l'élaboration du plan d'aide, le suivi des bénéficiaires, le contrôle de l'effectivité de l'aide, la répartition des dépenses d'instruction et de suivi entre les cocontractants. Le Comité national de la coordination gérontologique  : composé de membres nommés pour trois ans, il comprend tous les partenaires y compris des représentants des communes et des personnes qualifiées. Il est chargé de suivre les conventions et de jouer un rôle de médiation en cas de besoin .

Des risques de télescopage

De cela, Anne Jilger, directrice départementale des actions médico-sociales de l'Aube (300 000 habitants), est aussi convaincue. Mais la coordination devrait être facilitée ici par le partenariat suscité depuis dix ans autour du schéma gérontologique. La convention obligatoire devrait être signée avec, outre les partenaires obligés, les établissements, le Coderpa et les associations de maintien à domicile. Quant à l'équipe médico-sociale, l'évaluation sociale va s'appuyer sur le service social de la CRAM pour le régime général, les négociations avec la MSA pour le régime agricole étant en cours. Le contenu du certificat médical rempli par le médecin traitant a fait l'objet d'un accord avec le conseil de l'ordre et les syndicats médicaux, le tout étant supervisé par les médecins départementaux. Comme dans la Marne, la commission technique départementale de coordination qui examinera le plan d'aide et la décision d'attribution devrait permettre, de surcroît, de repérer les dysfonctionnements et d'affiner la réflexion. « Une chance, estime encore Anne Jilger, nous n'avions pas d'instance de coordination gérontologique locale, mais un très bon réseau d'aide à domicile en milieu rural. Cela évitera tout télescopage avec les équipes médico-sociales. »

C'est bien la préoccupation de l'association de coordination des cantons de Seclin, Pont-à-Marcq et Cysoing dans le Nord, créée en 1992 à l'instigation d'un médecin hospitalier, Patrick Fournier, adepte d'une coordination à armes égales, sans leadership ni de l'hôpital ni de professionnels ou d'associations de maintien à domicile. Devenue plaque tournante gérontologique sur le territoire, financée à égalité par le secteur sanitaire et social, « l'association accomplit ce qui est demandé aujourd'hui aux équipes médico-sociales. Pourquoi ne pas reconnaître notre savoir-faire et nous agréer ? » interroge le Dr Fournier. Peu d'espoir pour l'heure, les cinq départements du Nord et de Picardie souhaitant fonctionner à l'identique, c'est-à-dire en s'appuyant sur le service social de la CRAM. On imagine mal, dès lors, les financeurs subventionner l'association... Car la coordination peut avoir un coût (6). Si certains départements se voient mal indemniser la CRAM pour la mise à disposition de son personnel, le conseil général du Nord, lui, a accepté de le faire pour un montant de 850 F par dossier.

L'aide ménagère dans le collimateur

Mais, au-delà de cette « cuisine » gestionnaire, l'échec ou la réussite de la coordination risque de se mesurer à l'aune des répercussions que la PSD va entraîner sur les modalités d'attribution des prestations facultatives. Cœur de cible : l'aide ménagère. D'une part parce que la prestation n'est pas cumulable avec l'aide ménagère. « La question va être cruciale pour les personnes âgées qui ne seront pas éligibles à la PSD mais qui auront néanmoins besoin d'une aide importante », souligne Alain Villez, appuyé par les responsables départementaux de l'Aube et de la Marne. Et pour celles qui n'auront droit qu'à une PSD différentielle, compte tenu de leurs ressources et seront, de ce fait, exclues du système d'aide à domicile. En outre, les prises en charge aide ménagère du régime général supérieures à 30 heures par mois étant, sauf cas exceptionnel, supprimées, « on risque de mettre les professionnelles en difficulté », s'inquiète Anne Jilger. « Il va leur falloir respecter les consignes de leur employeur, en sachant qu'en fonction de l'évaluation qui sera faite en GIR les personnes âgées pourront être privées d'une aide à laquelle leur dépendance actuelle leur donnait droit jusqu'à présent. » On pourrait ainsi s'acheminer, craint-on à l'Uniopss, vers un contentieux majeur de l'évaluation entre l'inscription dans les GIR charnières 3 ou 4.

Quant à la garde à domicile, elle est désormais recentrée sur une réponse ponctuelle aux besoins, en particulier aux situations d'urgence. « Il est à parier qu'à l'instar du RMI la loi sur la PSD va faire émerger des besoins non exprimés », pronostique-t-on pudiquement à la CRAM du Nord-Est... Ce qui permettra de tester les vertus d'une coordination gérontologique bien comprise.

Dominique Lallemand

Notes

(1)  Voir ASH n° 2021 du 2-05-97.

(2)   « La coordination gérontologique à l'heure de la prestation spécifique dépendance », le 11 septembre à Reims - Tél. 03 26 85 14 51.

(3)  Lire notamment « La coordination gérontologique », Cahiers n° 5, Fondation de France, 1992 et l'article de B. Ennuyer dans Politiques publiques et pratiques sociales, Inserm, 1996.

(4)  Le degré de dépendance doit être évalué à l'aide de la grille AGGIR, qui permet de répartir les personnes âgées en six groupes iso-ressources (GIR). Seules les personnes relevant des GIR 1 à 3 pourront prétendre à la PSD.

(5)  Voir ASH n° 2037 du 19-09-97.

(6)  S'agissant d'une obligation légale, la coordination interinstitutionnelle ne doit faire l'objet d'aucune facturation ou remboursement - Voir circulaire CNAV n° 51-97 du 13 juin 1997.

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