Créés à l'issue de l'expérience alors jugée convaincante des commissions extramunicipales de prévention (1982), les conseils communaux de prévention de la délinquance (CCPD) voient le jour en juin 1983. Leurs missions sont directement inspirées du rapport Bonnemaison autour de l'idée-force que prévention, répression et solidarité doivent être les trois volets inséparables d'une même politique. On attend alors des CCPD qu'ils regroupent toutes les institutions et associations agissant sur le territoire communal et concernées par le problème de la délinquance. Le conseil doit établir un constat des actions existantes en matière de prévention, définir des objectifs et des actions concertées, en suivre l'exécution et faire remonter l'information vers les structures départementales et nationales. L'ambition est louable, mais « un CCPD, c'est avant tout ce que l'on en fait à partir de l'esprit initié en 1982. C'est un outil. Il y a ceux qui vont le laisser au placard, ceux qui ne savent pas s'en servir... » Véronique Rousseau sait de quoi elle parle : avant de coordonner les activités du CCPD d'Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine) (1), elle a participé, à partir de 1985, aux balbutiements de celui du Havre. Dans de nombreuses communes en effet, ces conseils sont restés des coquilles vides sous forme de réunions institutionnelles stériles ou de mannes (limitées) à financements avant de s'endormir définitivement. Ailleurs, ils ont su devenir des lieux de définition de politiques et d'actions concertées dans le domaine de la prévention.
C'est le cas, de l'avis des spécialistes, à Issy-les-Moulineaux : l'occasion d'observer les éléments d'une alchimie à défaut d'y trouver les recettes miracles de la réussite. Ayant d'abord existé sous une forme expérimentale, le CCPD d'Issy, créé en 1984, se dote l'année suivante d'une commission de réflexion et signe son premier contrat d'actions de prévention. Recherche-action sur l'accueil des jeunes dans la ville, opération « Préparer et vivre l'été à Issy », matchs intercités avec le club Prévention et sécurité de la RATP, création d'espaces sportifs de proximité, formation de gardiens d'immeubles sur la toxicomanie... La liste, ici incomplète, des actions menées depuis lors témoigne du dynamisme de la structure. Pour expliquer cette vitalité, on peut bien sûr évoquer la culture de l'expérimentation sociale de la ville, impulsée par une forte volonté politique. Issy-les-Moulineaux est en effet la première ville à avoir mis en place un libre-service social et possède un centre municipal pour les SDF. Mais Véronique Rousseau nous fournit d'autres clés aux allures d'évidences : « Pour qu'une structure comme le CCPD ait une vie, il faut au minimum une personne qui s'en occupe et du matériel qui permette de produire des écrits. Souvent il est pris en charge par le secrétaire général de mairie qui a bien d'autres tâches, autant dire qu'il ne s'y fait rien. » Celui d'Issy-les-Moulineaux fonctionne depuis 1988 avec une rédactrice à temps plein et un chargé de mission à mi-temps. Un personnel disponible pour effectuer les tâches indispensables à la constitution d'un réseau de partenaires - essence même du dispositif : repérage des personnes et des institutions et constitution d'un fichier de contacts, réalisation de brochures d'information, courriers.
En outre, depuis 1995, Véronique Rousseau n'est plus seule à la tête du réseau. Ce sont maintenant trois coordonnateurs qui animent un CCPD remanié qui associe, de fait, les services insertion professionnelle, jeunesse, prévention et lien social de la mairie. « C'est un fonctionnement tout à fait atypique, commente Bruno Jarry, chargé de mission insertion et directeur de l'Espace jeunes, mais on obtient vraiment une approche globale. »
Outre les 13 membres désignés par la ville (du maire-adjoint à l'Association de solidarité avec les travailleurs immigrés) et les 13 membres désignés par l'Etat (parmi lesquels la police urbaine, l'ANPE et la DDASS), l'instance officielle du CCPD compte dans ses rangs des représentants du conseil général, de l'ordre des avocats, des établissements d'enseignement, de la circonscription d'action sociale... 60 personnes au total. Déjà espaces d'échange d'informations sur les expériences de chacun, les réunions du conseil (trois ou quatre fois par an pour l'instance au complet) sont également devenues, depuis deux ans, des réunions à thèmes sous l'impulsion de Bruno Jarry : « A l'issue de chaque séance, il y a un intervenant extérieur, quelqu'un qui n'est pas dans le tissu isséen. Sur la citoyenneté on a fait venir un philosophe, sur la famille, une ethnopsychologue. Ça évite le nombrilisme et l'autosatisfaction. Nous concevons le CCPD comme un lieu de capitalisation d'expériences locales et de formalisation de ces expériences à travers un témoignage extérieur, ce qui permet de mettre les politiques en perspective. Ce doit être un lieu de veille technologique. » Des réflexions théoriques parfois pointues qui viennent compléter une démarche voulue par ailleurs très pragmatique. « On travaille sur du micromarché. Il s'agit de chercher le bon interlocuteur, celui qui va pouvoir répondre au problème qui se pose sur le territoire : on le rencontre, on voit ce qu'on peut faire ensemble. C'est du'management projet ", du sur-mesure », explique Bruno Jarry.
Initiative récente et originale, la mise en place de cinq animateurs de prévention dans les quartiers pauvres sous la houlette de Christophe Moullé, troisième coordonnateur du CCPD, est partie du besoin de répondre aux plaintes et aux difficultés du personnel de la médiathèque en relation conflictuelle avec les jeunes. « Ce ne sont ni des éducateurs ni des îlotiers, précise Bruno Jarry, ils sont là, à disposition pour écouter, créer du lien, mais aussi pour orienter vers les éducateurs de la prévention du département. » Ces animateurs peuvent également intervenir directement :en accompagnant, par exemple, l'élaboration d'un projet de loisirs, mais aussi en jouant le rôle de médiateurs en cas de conflit entre jeunes et adultes ou entre familles. Tous en formation BEATEP ou d'éducateurs, ils ont des contrats de 20 heures par semaine et sont présents le soir entre 18 h et 20 h et pendant les vacances. De même, le centre Chimène, centre de soins spécialisé pour les toxicomanes, a-t-il mené une formation pour les assistantes sociales et co- animé récemment avec la ville un groupe de réflexion sur les questions de dépendance. Deux actions réalisées dans le cadre d' « un CCPD qui fonctionne bien, et où l'on trouve un répondant... ça n'est pas toujours le cas », reconnaît Jean-Yves Noël, directeur de ce centre et membre de plusieurs conseils des Hauts-de-Seine.
Trop beau pour être vrai ? « Non, rétorque Véronique Rousseau, j'ai vu le partenariat se tisser réellement... et en plus ça évolue. C'est vrai qu'on a eu la chance de tomber sur des partenaires qui ont dit'oui ", mais c'est aussi le résultat d'un travail de fourmi, discret et sur le long terme. » Le réseau s'entretient par la mise à jour et la diffusion de la liste de ses membres, mais l'équipe souhaite aussi l'élargir parce que « la prévention n'est pas l'affaire d'un cénacle de notables locaux », affirme Bruno Jarry. C'est pourquoi La Lettre du CCPD est diffusée à 700 exemplaires. « Une manière de toucher des gens en contact avec des problèmes de délinquance ou qui font de la prévention sans le savoir de sorte, peut-être, qu'ils se sentent moins isolés et puissent nous contacter », explique Véronique Rousseau. Relations informelles, souplesse et ouverture ne suffisent pas à l'émergence d'une collaboration efficace. « Tout ça repose sur une méthodologie de travail », tient à préciser Bruno Jarry. Régulations techniques et politiques sous forme de réunions, contractualisation des objectifs, tentative de définition d'une éthique professionnelle, en font partie.
Alors, ni conflits ni querelles de chapelle au CCPD d'Issy-les-Moulineaux ? « Je crois que chacun ici trouve son compte à tenter de résoudre à plusieurs des problèmes face auxquels chacun de nous, seul, a échoué », avance l'équipe. « Et puis, poursuit Bruno Jarry, on ne peut faire un vrai travail partenarial qu'à partir du moment où il y a une clarification sur l'identité professionnelle de chacun. Il faut redéfinir les missions de chacun, que chacun se demande sur quoi il est légitime et sur quoi il doit travailler de manière associée. Et, finalement, en travaillant de manière associée, on se crée de nouvelles compétences. »
Les difficultés se situent plutôt du côté des nouvelles problématiques observées chez les jeunes, tels la violence chez les très jeunes ou les problèmes de santé mentale. « Les services sociaux sont immensément débordés, constate Véronique Rousseau, et nous, dans les CCPD, alors qu'en 1985 on avait vraiment l'impression d'être à la pointe, réellement en prévention, on a aussi pris la vague. » Si le terrain d'action du conseil a su s'étendre au-delà de la délinquance et de la toxicomanie pour envisager globalement la jeunesse, « on n'a pas su faire remonter les difficultés aux départements et on aurait pu faire plus, avant d'être à ce point bloqués par l'emploi », regrette Véronique Rousseau. Une vision critique qui, loin de remettre en cause l'utilité des CCPD, impose plus que jamais, selon elle, « la mise en commun des ressources de chacun ».
Valérie Larmignat
Inauguré il y a deux ans, l'Espace jeunes d'Issy-les-Moulineaux est un de ces guichets uniques pour les jeunes souhaités par la loi quinquennale pour l'emploi. Prioritairement structure d'aide au projet, à la fois PAIO et point d'information jeunesse, l'Espace jeunes s'organise autour de trois pôles. Le premier regroupe tous les dispositifs d'aide à l'insertion sociale et professionnelle avec une priorité : l'accueil systématique des jeunes chômeurs inscrits depuis plus de six mois à l'ANPE. Outre le pôle nouvelles technologies, ce qui fait l'originalité de l'Espace jeunes d'Issy c'est qu'il accueille dans ses locaux les permanences d'un nombre important de services spécialisés : le comité de probation, le contrôle judiciaire, la RATP et la SNCF, la CAF, la CRAM, le club de prévention. « Il n'y a pas d'uniformité pédagogique. Chacun vient faire ici son métier, mais il y gagne la possibilité de travailler en jointure avec les conseillers. » Des conseillers polyvalents « maison », alliant les compétences des conseillers emploi-formation et des intervenants d'action sociale. Pour le directeur, les bénéfices de cette approche globale sont clairs, « il s'agit de rompre avec le'saucissonnage" du jeune et avec une multiplication des dispositifs finalement source de désinsertion pour les jeunes ».
(1) CCPD - Service « Prévention et lien social » de la ville d'Issy-les-Moulineaux : 47, rue du Général-Leclerc - 92130 Issy-les-Moulineaux - Tél. 01 40 95 65 55.