Dans cet essai quelque peu iconoclaste, Pierre Lassus, psychanalyste et directeur général de l'Union française pour le sauvetage de l'enfance, fustige les carences de dispositifs supposés lutter contre la maltraitance. Comment expliquer, en effet, que la société qui s'est pourtant largement investie dans la protection des enfants victimes, au prix d'ailleurs d'une forte médiatisation, n'en reste pas moins aveugle face à de nombreuses situations ? Et propose des réponses bien souvent inopérantes ? C'est ce hiatus entre l'objectif affiché et une réalité de terrain autrement plus sombre et complexe que met en évidence l'auteur à partir d'exemples très concrets. Si celui-ci déplore la « cécité » ou la « surdité involontaire » des travailleurs sociaux face à l'insoutenable malgré la réalité qui « crève les yeux » parfois, il s'en prend également aux « dogmes » de certains psychanalystes aboutissant à une mise en doute systématique de la parole de l'enfant. C'est en fait contre l'aveuglement de « l'institution sociale » dans son ensemble qu'il s'insurge, stigmatisant notamment son incapacité à offrir des réponses proposant, au-delà d'une aide éducative et sociale, des soins adaptés. On aurait tort néanmoins de ne voir ici que le cri d'alarme d'un praticien face au « silence assourdissant » autour des milliers d'enfants irrémédiablement blessés chaque année. Celui-ci met, en effet, le doigt sur les défaillances, les tergiversations et les peurs collectives liées à tout ce qui transgresse les tabous les plus fondamentaux de l'être humain. Aussi, face à « un mal aussi terrible », invite-t-il à porter l'accent sur l'indispensable formation des intervenants, la supervision et à développer les services spécifiques de prise en charge qui font actuellement défaut.
L'enfance sacrifiée - Pierre Lassus - Ed. Albin Michel - 89 F.