Plus de 3,3 millions de personnes sont bénéficiaires des différents minima sociaux et le montant des allocations versées dépasse 80 milliards de francs. Maintes fois critiqué pour ses incohérences, le dispositif français est à nouveau analysé dans un rapport rendu public, le 27 octobre, par le Conseil supérieur de l'emploi, des revenus et des coûts (CSERC) (1). Mettant en perspective le système français par rapport aux expériences d'autres pays européens (Allemagne, Belgique, Pays-Bas, Royaume-Uni) et des Etats-Unis, cette étude présente et tente de comparer les caractéristiques, les bénéficiaires et les montants de huit minima sociaux (2). Et n'échappe pas, de ce fait, aux critiques sur la représentativité des cas types retenus par rapport à la réalité sociologique observée.
L'analyse revient ainsi sur les incohérences du système français générées par « l'apparition progressive » des différents minima sociaux. Leur accès est « assez disparate » en termes de conditions de nationalité, d'exigence d'une activité antérieure ou d'obligation alimentaire vis-à-vis des ascendants ou descendants.
L'écart entre les revenus est également très variable. L'allocation pouvant passer de 2 200 F environ pour une personne seule, lorsque les titulaires sont susceptibles d'exercer une activité professionnelle (RMI, ASS, AI), à 3 400 F lorsqu'ils n'ont pas cette possibilité. Soit un rapport de 1 à 1,6 ce qui est « une particularité française » et ne manque pas d'interroger, souligne Michel Dollé, le rapporteur général du CSERC.
Cette diversité concerne également les plafonds de ressources. Ainsi pratiquement « tout revenu (hors aide au logement) s'impute sur l'allocation de RMI ou sur l'API alors qu'un couple dont un conjoint bénéficie de l'ASS à taux normal et l'autre du SMIC à temps plein peuvent cumuler ces deux ressources ».
Par ailleurs, d'autres différences viennent de la prise en compte des conjoints et des enfants à charge. Le revenu garanti pour le RMI ou l'API s'accroît avec le nombre d'enfants, mais les allocations familiales sont déduites de leur montant. Par contre, ces dernières s'ajoutent à l'allocation dans le cas de l'ASS et de l'AAH qui « s'apparentent plus à des prestations individuelles ». Quant aux aides au logement, elles sont également traitées diversement selon les minima sociaux...
Au total, les niveaux de revenu disponible pour les familles sont donc très variables selon les cas. « On peut accepter de telles différences si l'on donne un poids important tant à l'histoire des institutions qu'aux trajectoires des individus. Mais certaines différences apparaissent sans grande justification », relève Michel Dollé. Par exemple, entre la situation de l'assurance veuvage où il est possible de disposer de revenus du travail ou de l'épargne et celle de l'allocation de parent isolé où ces revenus s'imputent sur le montant de l'allocation. De même, ajoute-t-il, on ne peut justifier que l'API ne dispose pas d'un dispositif d'intéressement à la reprise d'emploi comme c'est le cas du RMI. L'étude relève d'ailleurs qu'en raison de la fréquence du temps partiel comme modalité de retour à l'emploi et des effets d'autres politiques sociales (allocations familiales, aides au logement) « les gains monétaires d'un retour à l'emploi peuvent être très faibles pour un allocataire du RMI ou de l'ASS » (3).
S'il reconnaît néanmoins la nécessité de nuancer le jugement à porter sur certaines « trappes à l'inactivité » en raison des autres facteurs qui peuvent jouer dans la recherche d'un emploi (restauration de l'image de soi, aides locales...), Michel Dollé n'en note pas moins qu'il y a là « un problème de justice sociale ». Et plaide pour une correction de certains mécanismes désincitatifs à la recherche d'emploi, sans réduire toutefois le revenu minimal.
Au terme de ce diagnostic, le rapport formule une série « d'orientations générales », relativement prudentes. Outre la nécessité d'améliorer l'information insuffisante sur les bénéficiaires et de réaliser des évaluations approfondies de l'AAH et de l'ASS, celui-ci estime possible de « réduire les incohérences internes » sans « remettre nécessairement en cause la logique sous-jacente à chaque minimum social catégoriel ». C'est ainsi qu'il juge nécessaire que le revenu pris en compte comporte, dans toutes les prestations sous condition de ressources, la totalité des ressources qu'elles soient d'activité, de placements ou de transferts.
Autre proposition : mettre en place (pour l'API) ou renforcer pour le RMI ou l'ASS, les mécanismes d'intéressement à la reprise d'emploi. Le rapport invite également à réexaminer le traitement des jeunes ayant achevé leurs études et sans emploi en favorisant au maximum leur insertion dans la vie professionnelle. Par exemple, en conciliant le droit d'accès à un revenu minimal et l'inscription dans des dispositifs visant leur entrée dans l'emploi.
(1) Lequel s'est notamment inspiré du rapport de CERC-Association (voir ASH n° 2030 du 4-07-97) - Minima sociaux : entre protection et insertion - La Documentation française - 120 F.
(2) Minimum vieillesse, minimum invalidité, allocation aux adultes handicapés, allocation de solidarité spécifique, allocation d'insertion, revenu minimum d'insertion, allocation de parent isolé et allocation d'assurance veuvage.
(3) Voir également l'étude de l'ODAS sur les effets du SMIC et du RMI - ASH n° 2013 du 7-03-97.