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« LES EMPLOIS-JEUNES DANS LE SECTEUR SOCIAL »

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Quel peut être le lien entre les emplois-jeunes et les fonctions actuelles des travailleurs sociaux ? s'interroge Christine Garcette, présidente de l'ANAS. Livrant ci-après quelques pistes de réflexion, elle propose la constitution d'un groupe de travail interprofessionnel sur cette question, pour confronter analyses et propositions  (1).

« Les emplois-jeunes représentent une opportunité importante pour des jeunes qui, jusque-là, ne pouvaient accéder au marché de l'emploi. Les travailleurs sociaux se félicitent d'autant plus de l'espoir que cela représente, qu'ils constatent quotidiennement sur le terrain les phénomènes de désespérance et d'exclusion de milliers de jeunes se disant sans avenir. Quel peut être, pour autant, le lien entre ces nouvelles activités et les fonctions actuelles des travailleurs sociaux ?

« Force est de reconnaître, ainsi que l'écrit le sociologue Michel Autès  (2), qu'elles ont une “parenté évidente mais cachée avec les métiers du travail social”  :coordonnateur petite enfance, réinsertion lors de la sortie d'hôpital, accompagnement de personnes dépendantes placées en institution, agent de médiation, médiation pénale, agent de prévention et d'ambiance, agent accompagnateur, accompagnement de la réinsertion des détenus, médiation familiale, accueil et orientation des victimes, médiation locale... autant de fonctions déjà exercées par des travailleurs sociaux. Quant aux autres “métiers”, ils font référence à des missions de “lien social” à l'interface des institutions et des publics, avec pour mission de faciliter l'adaptation réciproque des individus et des institutions, ce qui est la définition officielle du service social, donnée par l'ONU en 1959.

« Les travailleurs sociaux sont, il est vrai, surchargés de travail : la dégradation du contexte économique et les conséquences qu'elle engendre en termes de processus d'exclusion et de rupture de liens sociaux, amène un public de plus en plus nombreux à solliciter les services sociaux. Les contraintes budgétaires n'ont pas permis de dégager des moyens pour recruter du personnel et leur donner des moyens à la hauteur des besoins.

« Les travailleurs sociaux, dans un tel contexte, sont amenés à travailler de plus en plus dans l'urgence, ce qui n'apporte pas de solution structurelle aux personnes. Il en résulte une surenchère de demandes, l'urgence appelant l'urgence.

« Dans ce contexte de rupture de liens familiaux et professionnels, un nombre croissant de personnes se retrouvent dans un isolement important. Elles ont besoin d'avoir un interlocuteur stable, un référent à long terme avec lequel elles peuvent établir une relation de confiance dépassant le cadre ponctuel de leur première demande  la multiplication des interlocuteurs pour une même personne peut, en effet, entraîner des inconvénients : parcellisation des problèmes et absence de diagnostic global de la situation  temps de concertation à développer (perte de temps parfois pour l'usager)   désorientation de la personne, voire manifestation de violence lorsque la coordination n'est pas satisfaisante.

« La prise en compte de tous ces paramètres peut amener à considérer que la solution pourrait être, à travers les emplois-jeunes, de venir décharger, ou seconder les travailleurs sociaux, (certains envisagent même à cet effet de recréer “la fonction d'auxiliaire sociale”  (3)  : la question mérite d'être posée, et sans céder à la pression de l'urgence, ou à la seule intention généreuse de créer des emplois à tout prix pour combattre le chômage actuel des jeunes, il faut mesurer les risques, d'une part, les conditions nécessaires de réussite, d'autre part, pour une telle entreprise.

Les risques à prendre en compte

  « L'intervention sociale nécessite, pour être de qualité, une méthodologie et une éthique qui ne s'improvisent pas. La bonne volonté ne suffit pas : depuis plus de 100 ans, des générations successives d'assistantes sociales  (4) ont revendiqué et obtenu la nécessité d'une formation qualifiante, reconnue socialement par un diplôme d'Etat.

« La confusion des rôles sur le terrain, entre professionnels et non-professionnels, pourrait amener à moyen terme à substituer une logique de fonction à une logique de profession, et par là même entraîner une déqualification, voire une déprofessionnalisation du secteur social. Ce n'est pas là tant l'expression d'une crainte corporatiste, cependant légitime, que le souci de garantir à l'usager une relation d'aide clairement définie.

  « On peut également craindre l'effet d'une réponse trop rapide ou trop ponctuelle à une demande, nécessitant une évaluation globale pour ne pas risquer de passer à côté de besoins réels  (5).

  « Des jeunes insuffisamment formés peuvent être en difficulté, face à une détresse sociale grandissante, et à des manifestations de violence de la part d'usagers. Sans dramatiser à outrance le risque d'agression, il serait dangereux, pour eux, de sous-estimer ces manifestations de violence, malheureusement de plus en plus fréquentes, à l'encontre des travailleurs sociaux  (6).

  « Certaines tâches qui pourraient être dévolues dans le cadre des “emplois-jeunes” font déjà l'objet de fonctions en voie de se professionnaliser : la médiation familiale ou pénale, la médiation interculturelle assurée depuis plusieurs années par des femmes-relais - en demande actuelle de reconnaissance sociale et de statut - la fonction d'écrivain public...

« Comment, en instituant des fonctions dites nouvelles dans le secteur social, ne pas se retrouver en situation de concurrence, préjudiciable pour le public ? »

  « Il existe également le risque de voir des employeurs se saisir de l'opportunité financière des aides de l'Etat pour préférer engager des jeunes, au lieu de répondre à des demandes de créations de postes et de moyens supplémentaires.

  « Il faudra nécessairement imaginer des formes d'encadrement de ces jeunes. Comment les concevoir sans accroître la situation déjà très difficile des étudiants en travail social, obligés dans le cadre de leur formation en alternance, de trouver des stages ? Les travailleurs sociaux qui se plaignent souvent du manque de disponibilité nécessaire pour accueillir des stagiaires, pourront-ils continuer à assurer leur rôle de formateurs de stage tout en encadrant par ailleurs des jeunes ? Quels moyens supplémentaires leur seront donnés pour cela ?

  « Si l'on n'envisage pas dès maintenant une validation des acquis permettant, au terme des cinq ans, d'orienter ces jeunes vers des formations professionnelles, il est à craindre de voir le travail social devenir de plus en plus éclaté, avec des fonctionnements à deux vitesses, contraires aux demandes actuelles du secteur d'une revalorisation de leurs fonctions et d'une réglementation plus précise des professions sociales (7).

« Si ces risques existent bel et bien, il serait vain de le nier, quelques propositions pourraient cependant permettre de garantir des conditions de réussite au projet d'emplois-jeunes. En effet, en cas d'échec, tout le monde serait perdant : les jeunes eux-mêmes, confrontés à une désillusion d'autant plus grande que leur attente est forte  les professionnels du travail social, déjà souvent en butte au sentiment de découragement  les usagers, en droit d'attendre une réponse adaptée à leurs besoins. »

Propositions

  « Une formation adaptée à ces fonctions. Celle-ci pourrait être assurée par les centres de formation en travail social, et ainsi faciliter, au terme des cinq ans, une validation des acquis et une préparation à l'un des diplômes d'Etat actuels en travail social : assistant social, éducateur spécialisé, animateur, conseiller en économie sociale et familiale, éducateur de jeunes enfants...

  « Faire en sorte que le jeune ne se substitue pas au travailleur social professionnel : celui-ci doit rester la seule personne habilitée à poser un diagnostic social et à assumer la responsabilité du plan d'aide mis en œuvre. Le travailleur social, après avoir reçu l'usager, déléguera certaines tâches au jeune. Celles-ci pourront être de nature administrative (constitution de dossiers...) ou d'accompagnement dans certaines démarches : en milieu rural, par exemple, les travailleurs sociaux se plaignent souvent du manque de moyens octroyés pour permettre à des personnes isolées géographiquement et/ou dépendantes, d'accéder aux services publics ou aux consultations médicales qui leur ont été prescrites.

« Dans ce contexte, le jeune ne pourra recevoir des usagers que s'ils lui ont été désignés par le travailleur social, pour des tâches clairement définies, et distinctes de celles que peuvent assurer des secrétaires médico-sociales ou des professionnels déjà en exercice.

« Enfin, s'il est soumis, de par ses fonctions, au secret professionnel, il devra nécessairement être formé à prendre en compte la responsabilité qui est la sienne.

  « Placer le jeune sous la responsabilité du travailleur social. Ce dernier devrait avoir son mot à dire sur le recrutement et l'évaluation régulière de sa fonction. En aucun cas, cet encadrement ne devra se substituer àl'accueil et au suivi de stagiaires en formation professionnelle. Seuls les travailleurs sociaux volontaires pouvant accueillir un jeune, ceci afin de susciter un maximum d'adhésion de la part du professionnel, et éviter que l'injonction ne soit défavorable à un bon fonctionnement.

« Le recrutement devra veiller à ce que le jeune ait un minimum de formation préalable en lien avec le travail social : on peut noter que des jeunes titulaires du bac F8 sont souvent sans emploi, alors que ce type de formation pourrait présenter un réel intérêt pour ce type de fonctions.

« Le défi que constitue l'emploi des jeunes ne doit pas faire oublier l'exigence de qualité du service rendu aux usagers. Ce n'est qu'à ce prix que ces emplois pourront être pérennisés, pour le plus grand intérêt de tous. Il est impératif de prendre le temps de mesurer les enjeux, d'envisager les garanties nécessaires pour ne pas tomber dans les risques précédemment énoncés, de poser un cadre précis d'exercice de ces nouvelles fonctions en rappelant les limites quant à l'implication dans la prise en charge sociale : en effet, les jeunes qui s'engageront dans cette voie, ne mesureront pas toujours la complexité des situations qu'ils rencontreront. La formation à leur donner aura entre autres pour objectif de les aider à ne pas se mettre en situation d'échec, ce qui serait tout aussi préjudiciable que de les laisser sans espoir quant à un avenir possible pour eux. »

Christine Garcette Présidente nationale de L'ANAS 15, rue de Bruxelles - 75009 Paris -Tél. 01 45 26 33 79

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