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Nous ne vieillirons pas ensemble...

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Comment aider les parents âgés ayant la charge d'un enfant handicapé, lui-même vieillissant ? En rendant publique hier une recherche sur ce thème (1), la Fondation de France brise le silence autour de ces familles encore largement ignorées.

Avec une espérance de vie désormais proche de celle de l'ensemble de la population, les personnes présentant des handicaps relativement lourds vont désormais atteindre l'âge adulte. Elles ont donc de fortes chances de survivre à leurs parents qui en ont assuré la garde des années durant. Que vont-elles alors devenir ? La nouvelle longévité des personnes handicapées éclaire ainsi d'un jour nouveau la situation fragile de ces familles vieillissantes qui veillent sur leur descendant dépendant. Sachant que si certaines ont obtenu pour celui-ci un accueil à la journée, d'autres l'ont complètement à charge : soit qu'elles attendent une place en établissement, soit qu'elles préfèrent rester en marge du réseau institutionnel. Présenté hier à Rennes par la Fondation de France, cet état des lieux - une première en Europe - lève ainsi le voile sur un phénomène jusqu'ici largement méconnu. A partir d'enquêtes réalisées par l'ORS et le CREAI de Bretagne, le CREAI Rhône-Alpes et le CREAI Ile-de-France, la Fondation de France est allée à la recherche de ces « familles introuvables ». Outre qu'elle met en évidence qu'il existe bien « une cohorte de personnes âgées qui sont toujours responsables d'un enfant, adulte handicapé », elle apporte également des informations inédites sur leur profil, leurs conditions de vie et leurs attentes. Et soulève, par là même, l'urgente question de l'aide à apporter à ces parents vieillissants.

COMBIEN DE FAMILLES ?

L'enquête a été réalisée en Rhône-Alpes (Ardèche et Loire), Ile-de-France (Yvelines et Val-d'Oise) et Bretagne (Ille-et-Vilaine). Sur l'ensemble des sites (432 350 habitants), les équipes ont recensé 141 familles composées de parents vieillissants (un parent âgé de 55 ans et plus) et d'un adulte handicapé (ou plusieurs) gardé à domicile, sans autre forme de prise en charge. La fréquence des cas est apparemment plus élevée en milieu rural qu'en milieu urbain. On peut ainsi passer, selon les sites, de 3,68 à 0,15 adultes handicapés concernés pour 1 000 habitants.

Des femmes âgées

Première donnée : les parents concernés sont réellement âgés :près de 60 % ont entre 60 et 74 ans. Et en Ile-de-France 14 % d'entre eux ont 80 ans ou plus. En général sans activité professionnelle ou à la retraite, ils semblent plutôt appartenir aux couches sociales modestes (petits agriculteurs, ouvriers...). En outre bon nombre de ces familles sont monoparentales (50 % en Ile-de-France). Comme l'on pouvait s'y attendre, les femmes sont l'aidant principal, voire souvent unique. Or ces parents, souvent déjà confrontés à leurs propres problèmes de santé et aux déficiences liées à l'âge, doivent assumer une charge importante. Leurs enfants handicapés présentent la plupart du temps des déficiences intellectuelles, souvent aggravées par la maladie mentale ou des troubles du comportement. Agés en moyenne d'une quarantaine d'années, ceux-ci sont donc très dépendants. En Ile-de-France, 20 % sont incapables de se déplacer seuls même à l'intérieur de l'appartement. Et ils communiquent souvent très difficilement.

Quels sont les itinéraires de ces handicapés vieillissants ? Beaucoup n'ont jamais vécu ailleurs que dans leur famille. Environ la moitié n'ont pas accédé à une éducation adaptée à leur déficience. Et pour ceux qui ont été en établissement spécialisé, ces passages ont été de durée très variable : de quelques jours à une dizaine d'années. Pour certains parents, le retour à domicile de leur enfant après l'expérience éducative (plus ou moins réussie) relève d'un choix, la vie en famille étant jugée largement préférable au placement en institution. Mais ce n'est pas toujours le cas. Cette solution peut être imposée par les limites d'âge correspondant aux différents types de prise en charge, l'étude mettant en évidence deux périodes critiques : entre 14-16 ans et 18-20 ans. Quoi qu'il en soit, le résultat au bout du compte est le même : le cantonnement à la maison. L'individu, qui n'a que ses parents pour support, reste isolé, renforçant aussi l'isolement de sa famille. Peu de sorties, des journées scandées par les tâches... L'adulte handicapé vit « dans un état de temps suspendu » comme ses parents que « le parentage sans fin » condamne à « des voies de garage sociales. » « Il semble que depuis longtemps ces familles aient abandonné une quelconque maîtrise de leur histoire. » Le temps des parents et des enfants « s'est ralenti ensemble, cocon artificiellement protecteur, où il s'interrompt pour tous en même temps ». Pourtant, s'étonne Nancy Breitenbach, coordinatrice de l'étude, malgré cette vie en huis clos, cet « univers carcéral », la plupart des familles se plaignent peu. Elles vivent dans une sorte d'abnégation et de résignation, malgré les exigences, voire l'agressivité des personnes handicapées, notamment en cas de maladie mentale. Et bon nombre de parents et d'enfants ne tiennent que grâce aux psychotropes et/ou antidépresseurs. Les uns et les autres sont contraints à vivre ensemble « des années durant, enfermés dans leur logement et réduits au silence ».

Une charge illimitée

En quoi consiste la charge qui les retient ? D'une durée exceptionnelle, parfois aggravée par la présence de plusieurs enfants handicapés (8 %des familles en Ile-de-France), celle qui incombe aux parents est lourde tant sur le plan matériel que psychique. Néanmoins, son poids ne tient pas uniquement à la gravité du handicap, il est largement fonction de la façon dont ils perçoivent leur rôle et ses contraintes, et de leurs relations (parfois conflictuelles) avec leur enfant. Il n'en reste pas moins que les facteurs de stress les plus importants seraient surtout liés à « la surcharge psychique sous-estimée autant par les parents eux-mêmes que par leur médecin traitant ». « C'est ça l'ennui, ce n'est pas le travail qu'il y a à faire, c'est combien de temps on va pouvoir le faire... c'est cette angoisse de savoir qu'est-ce qu'on va devenir après moi ? », témoigne ainsi un aidant. Alors on peut s'interroger. Comment les familles réussissent-elles à tenir si longtemps ? Pour faire face et « ne pas craquer », celles-ci développent différentes « stratégies de survie » allant des tentatives de recherche d'information et d'aide à l'extérieur, à « la débrouille », « la vie au jour le jour », le stoïcisme, l'acceptation de l'inéluctable...

Pratiquement toutes les familles ont recours à une forme ou une autre d'aide financière. Mais elles ne sont que de 10 à 25 % à bénéficier d'aides professionnelles à domicile (aides ménagères, soins infirmiers, kiné...). Dans la plupart des cas, ces dernières étant officiellement affectées au parent du fait de son propre état de dépendance. D'une façon générale, les relations avec les médecins et professionnels de santé sont plutôt bonnes. Néanmoins, l'enquête relève de la part des généralistes un certain retrait. Même lorsque les besoins sont évidents, ceux-ci semblent considérer que tant que les familles ne réclament pas d'aide, elles n'en ont pas besoin. En outre peu de médecins pensent avoir « un rôle à jouer dans la préparation de l'après-domicile, soit parce que les parents ne veulent pas et ne peuvent pas aborder la question de leur mort, soit parce qu'ils pensent que ce n'est pas leur affaire ». L'attitude à l'égard des intervenants sociaux est très différente. Si le faible recours des familles aux aides à domicile peut s'expliquer par leur manque d'information ou par l'insuffisance des services existants, il tient également à leur refus d'être « prises en main ». Sachant que les parents se sont souvent donné comme principes de « faire seul » et de « tenir tant qu'on peut ». Tout écart, même en cas de surmenage physique ou psychique apparaissant « intolérable ». L'enquête met d'ailleurs très clairement en évidence le positionnement extrêmement délicat des travailleurs sociaux face à des parents méfiants qui expriment le sentiment d'être dérangés et dessaisis de leur responsabilité. Jusqu'où intervenir sans être intrusif ? Quelles sont les limites entre les compétences professionnelles et parentales ? Car, comme le souligne l'étude, l'enjeu de l'intervention réside dans le fait d'éviter « une situation de non-choix ou de démission contrainte des parents » en bouleversant l'équilibre familial. Par exemple, un intervenant peut à juste titre considérer certains apprentissages indispensables. Mais lors de ses absences, « ses innovations peuvent générer des situations conflictuelles » et dérouter, par là même, l'adulte handicapé et son parent qui « perd pied ». Le danger également c'est qu'en reprenant les gestes effectués auparavant par le parent, les travailleurs sociaux plus ou moins consciemment en viennent à « remodeler la famille » en fonction de leurs propres schémas. Toute la difficulté pour eux étant d'apprécier les limites de leurs tâches.

En fait, les parents comptent beaucoup sur leurs proches. C'est ainsi qu'on observe parfois une grande solidarité engageant les frères et sœurs même éloignés voire les petits-enfants. Il n'empêche que bon nombre d'aidants se retrouvent totalement seuls, vivant « dans l'angoisse d'une défaillance qu'ils ne peuvent pas, ne doivent pas prévoir ». Mais combien de temps ces familles pourront-elles encore tenir, s'interroge l'étude ? En Bretagne, deux tiers des familles sont dans « un état d'instabilité imminente ». Quant aux autres, si elles semblent être en mesure de résister encore quelque temps, « il suffit d'une chiquenaude pour basculer du stable vers l'urgence ». Une certitude en tout cas : de nombreux parents vieillissants ont du mal à concevoir l'avenir de l'adulte handicapé. Pour quelques-uns, l'angoisse du vide est telle qu'ils ne supportent même pas d'y penser. Néanmoins lorsqu'on les accule à imaginer un lieu de vie futur pour leur enfant, certains imaginent le placement en milieu gérontologique. Seule une minorité choisirait un établissement spécialisé. Ils pensent en général passer le relais à la fratrie sans d'ailleurs l'avoir réellement consultée à ce sujet. Mais en fait, la majorité des parents ou bien n'exprime aucun souhait à l'égard du lieu de vie futur de leur enfant ou bien reste dans le flou. Et ils sont peu nombreux à avoir formalisé une demande de mesure tutélaire ou assuré leur succession patrimoniale. « Mal conseillées, souvent pas conseillées du tout, les familles ne savent pas quoi faire pour organiser un avenir fiable », relève l'étude.

Aider les aidants

Alors, « peut-on se permettre de tourner le dos à cette détresse humaine », même si ces familles restent peu nombreuses ? Il est évident que ces situations renvoient inéluctablement à l'insuffisance du dispositif de prise en charge. Une insuffisance que le vieillissement des handicapés rend d'autant plus alarmante  les prévisions en la matière comme le souligne la Fondation de France offrant « des perspectives redoutables ». Pourtant, ce n'est pas sur ce terrain-là que se situe Nancy Breitenbach, soulignant qu'il s'agit d'abord d'apprivoiser ces « familles farouches » avant de leur proposer de « changer d'univers ». Aussi les « préconisations » exprimées ici se situent-elles d'abord dans le développement des formules souples d'aide aux aidants dans laquelle la Fondation de France est déjà fortement engagée (2). Prenant appui sur les initiatives déjà existantes, celles-ci visent ainsi le développement des lieux d'information, d'écoute et de rencontre pour les familles. Mais également des aides au répit comme les formules de garde ponctuelle et d'hébergement temporaire. De plus, il est évoqué la nécessité de faciliter l'accès de ces parents aux services d'aide à domicile. Enfin, la Fondation de France plaide pour que les professionnels soient mieux informés sur ces familles et leurs conditions de vie...

Isabelle Sarazin

Notes

(1)  Lors d'un colloque organisé les 23 et 24 octobre à Rennes - « Fortes et fragiles : les familles vieillissantes qui gardent en leur sein un descendant handicapé »  - Fondation de France : 40, avenue Hoche - 75008 Paris - Tél. 01 44 21 31 00.

(2)  Voir ASH n° 1971 du 19-04-96.

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