Parmi les autres propositions du gouvernement, figurent l'encouragement financier de l'Etat à l'extension de l'allocation de remplacement pour l'emploi, la relance des négociations de branche sur les grilles de rémunération ainsi que la revalorisation de l'allocation de solidarité spécifique.
Le 10 octobre, à l'issue de la conférence sur l'emploi, les salaires et le temps de travail, le Premier ministre, Lionel Jospin a présenté ses conclusions qui se déclinent en une série de solutions « pour dégager des voies nouvelles pour l'avenir de l'emploi ».
Principal dossier : la réduction de la durée légale du travail de 39 à 35 heures pour les entreprises de plus de 10 salariés au 1er janvier 2000, et pour toutes les entreprises « avant la fin de l'actuelle législature » (soit en 2002). Cette réduction sera« négociée sur le terrain » car une « mesure générale, centralisée, et immédiate » n'aurait pas eu de sens, a estimé Lionel Jospin. Les entreprises sont donc invitées, aide financière de l'Etat à l'appui, à négocier dès 1998. Cette annonce, accueillie favorablement par les syndicats de salariés, a aussitôt déclenché une violente réaction du patronat qui avait refusé toute « date butoir » et s'est déclaré « berné » par le gouvernement. Par mesure de rétorsion, le président du CNPF s'est ainsi opposé, dès la fin de la conférence, aux négociations envisagées par le Premier ministre, tant sur l'extension de l'allocation de remplacement pour l'emploi (ARPE) que sur les minima conventionnels salariaux. Finalement, le 13 octobre, Jean Gandois a annoncé sa démission (qui sera effective le 16 décembre) de son poste de président du CNPF arguant ne pas avoir « le profil nécessaire pour défendre les entreprises dans les prochains mois ». Le CNPF, a-t-il affirmé, « ne se rendra à aucune négociation. Il invitera les branches et les entreprises - mais celles-ci sont libres de faire ce qu'elles veulent - à n'entrer dans aucune négociation. » Dans un communiqué, l'organisation patronale a annoncé son intention de préparer « un programme capable de faire reculer le chômage autrement que par la réduction autoritaire et générale de la durée du travail » qui sera présenté, le 16 décembre, lors des états généraux des entreprises.
Parmi les mesures plus consensuelles annoncées le 10 octobre, figure le plan emploi-jeunes dans le secteur marchand, le Premier ministre ayant demandé à chaque branche professionnelle de réaliser un diagnostic de sa situation vis-à-vis de l'emploi. C'est sur cette base que des accords assortis « d'objectifs quantifiés » pourront être fixés pour notamment augmenter la part des jeunes sur le marché du travail, a-t-il précisé. Enfin, toujours au chapitre du développement de l'emploi, en particulier dans les petites et moyennes entreprises, il a été évoqué la création d'un « statut du premier salarié » qui pourrait être embauché grâce à un dispositif proche du chèque emploi-service.
Le Premier ministre a annoncé que la durée légale du travail sera réduite à 35 heures hebdomadaires au 1er janvier 2000 dans les entreprises de plus de 10 salariés (et en 2002 pour toutes les entreprises). Un premier projet de loi d'orientation et d'incitation devrait être déposé d'ici à la fin de l'année. Débattu début 1998, il sera suivi, fin 1999, d'unsecond projet qui fixera les modalités concrètes du passage aux 35 heures.
L'enjeu est de réduire le chômage même si Lionel Jospin se défend de « tout attendre » de la réduction du temps de travail. Il note toutefois que « convenablement menée, [cette mesure] peut être un axe efficace dans ce domaine ». En conséquence, il en appelle aux entreprises - et non aux branches -puisque la mise en œuvre de la réduction du temps de travail doit être « adaptée » à leur situation. Si le coût du passage de 39 à 35 heures n'a pas été chiffré, Lionel Jospin a précisé que la réduction du temps de travail ne devait pas « altérer la compétitivité des entreprises ». Elle reposera donc notamment sur « une progression maîtrisée des salaires », a averti le Premier ministre.
Le mouvement spontané vers la réduction du temps de travail étant « trop lent », Lionel Jospin a souhaité donner « l'impulsion nécessaire » et a fixé, en conséquence, une échéance. La durée légale de travail sera donc ramenée de 39 heures hebdomadaires à 35 heures au 1er janvier 2000 pour les entreprises de plus de 10 salariés et « pour tous avant la fin de l'actuelle législature » (c'est-à-dire 2002), les négociations devant débuter dès l'année prochaine.
Au début de l'année 1998 sera discuté un premier projet de loi d'orientation et d'incitation. Ce texte, qui sera déposé au Parlement d'ici à la fin de l'année, fixera l'objectif de la durée légale à 35 heures au 1er janvier 2000 pour les entreprises deplus de 10 salariés « ou pour un seuil voisin que nous discuterons dans les semaines qui viennent », a indiqué Lionel Jospin. Ce seuil pourrait être relevé à 20 salariés a déclaré, depuis lors, la secrétaire d'Etat aux PME, Marylise Lebranchu.
Ce même projet définira les modalités d'octroi de l'aide au passage aux 35 heures (voir ci-après) et adaptera les règles relatives au temps partiel « pour éviter les abus parfois constatés, aujourd'hui » et le moyen de freiner le recours excessif aux heures supplémentaires. C'est également à l'occasion de ce texte que la loi de Robien (qui prévoit également une aide financière à la réduction des horaires) (1) devrait être supprimée, les accords existants continuant cependant à produire leurs effets.
Au cours du second semestre 1999, un nouvel examen de la situation économique et des résultats des négociations menées sur la réduction du temps de travail sera réalisé. Au vu de ce bilan, le gouvernement déposera un nouveau projet de loi fixant « les modalités concrètes de mise en œuvre et d'accompagnement de cet abaissement de la durée légale du travail ». Seront alors précisées les règles applicables aux heures supplémentaires au-delà des 35 heures, « qui seront adaptées à la situation économique des entreprises » (2). En outre, ce projet de loi précisera les règles relatives à l'organisation et à la modulation du temps de travail ainsi que les modalités particulières applicables aux très petites entreprises et aux cadres.
Ainsi, en 2002, l'ensemble des entreprises y compris celles de moins de 10 salariés seront concernées par les 35 heures hebdomadaires.
Des incitations financières seront accordées aux entreprises qui réduiront le temps de travail en accroissant leurs effectifs.
A noter : le gouvernement a inscrit dans le projet de loi de finances pour 1998, une provision de 3 milliards de francs (au budget du ministère de l'Emploi et de la Solidarité) pour financer ces aides (3).
Lionel Jospin propose qu'il soit apporté, dès 1998, une aide de 9 000 F par an et par salarié à toutes les entreprises qui négocieraient avec leurs organisations syndicales unebaisse d'au moins 10 % du temps de travail en accroissant leurs effectifs d'au moins 6 %.
« L'aide sera dégressive , pour prendre en compte la capacité des entreprises et des salariés à trouver, par la négociation, les moyens d'absorber progressivement une partie des coûts. » Elle devrait être réduite de 1 000 F par an (ainsi l'entreprise qui attendra 1999 pour négocier ne devrait percevoir que 8 000 F par an et par salarié), indique-t-on au ministère de l'Emploi et de la Solidarité, sans toutefois pouvoir préciser pendant combien d'années (3 ou 5 ans) cette aide sera versée.
L'aide pourra également être majoréejusqu'à 4 000 F pour les entreprises qui font un « effort plus grand », par exemple, pour celles qui passent à 32 heures. L'aide sera également majorée dans le cas des entreprises qui, compte tenu de leur situation, seront « particulièrement exemplaires dans leur effort en faveur de l'emploi ». En outre, un « dispositif particulier sera mis en place pour les entreprises qui, en réduisant le temps de travail, évitent des licenciements », a indiqué Lionel Jospin, sans plus de précisions.
Enfin, il est prévu que la seconde loi définisse le système d'aide structurelle (de l'ordre de 4 000 F à 5 000 F par salarié, indique-t-on au ministère de l'Emploi et de la Solidarité) qui, « après le passage à la nouvelle durée légale, prolongera le dispositif incitatif » introduit en 1998.
A l'issue de la conférence, Lionel Jospin a également annoncé un certain nombre de mesures dontla mise en œuvre nécessite des négociations entre partenaires sociaux. Lesquelles, suite à la décision du patronat de ne pas participer à ces discussions , sont, pour l'heure, en suspens. On reconnaissait en effet le 14 octobre, dans l'entourage du Premier ministre, « une difficulté possible » concernant l'extension de l'allocation de remplacement pour l'emploi ou encore les minima conventionnels.
Le Premier ministre a proposé d'abaisser à 56 ans l'âge des bénéficiaires de l'allocation de remplacement pour l'emploi (ARPE) qui auraient commencé leur activité à 14 ans etcotisé 40 ans. Ce dispositif permet actuellement aux salariés ayant cotisé 160 trimestres au régime d'assurance vieillesse et âgés de plus de 58 ans de cesser de façon anticipée leur activité en contrepartie de l'embauche d'un salarié, et de bénéficier d'une allocation égale à 65 % du salaire mensuel moyen perçu les 12 derniers mois. Les personnes ayant cotisé plus de 172 trimestres (43 ans) sont admises sans condition d'âge (4).
Pour cette extension, l'Etat apporterait son soutien financier, en abondant « pour une première étape » un dispositif complémentaire de l'ARPE à hauteur de 40 000 F par an et par salarié. Lionel Jospin s'est également déclaré « ouvert à un dispositif de même nature qui serait négocié au niveau des branches ». Toutefois, l'intervention de l'Etat est suspendue à un accord préalable entre les partenaires sociaux, le dispositif de préretraite contre embauches (ARPE) étant géré par l'Unedic.
Sur le thème de l'emploi des jeunes dans le secteur privé, le gouvernement a renvoyé la responsabilité de négocier aux partenaires sociaux. Lionel Jospin a ainsi suggéré que « sous l'impulsion des organisations patronales et syndicales au niveau interprofessionnel, chaque branche réalise un diagnostic de la situation de l'emploi des jeunes et de ses perspectives ». Ensuite, il conviendra, a indiqué le Premier ministre, « de négocier branche par branche desaccords assortis d'objectifs quantifiés pour augmenter la part des jeunes dans l'emploi, diminuer la précarité, développer la formation et rajeunir la pyramide des âges ». Par ailleurs, il a émis le souhait de réfléchir, avec les partenaires sociaux, « aux diverses formules de formations en alternance et aux règles qui s'appliquent à l'accueil des stagiaires ». Un premier bilan des négociations sera réalisé au premier trimestre 1998, a précisé le Premier ministre, indiquant que « dans les branches où aucune rencontre n'aura eu lieu, l'Etat prendra ses responsabilités en réunissant des commissions mixtes ». « Un bilan général sera fait avant l'été 1998 pour mesurer les avancées réalisées », a ajouté le chef du gouvernement.
Après la réforme de l'assiette des cotisations d'assurance maladie des salariés (5), le Premier ministre a rappelé son souhait de modifier l'assiette des cotisations patronales de sécurité sociale « dans un sens plus favorable à l'emploi [...] en diminuant les charges qui pèsent sur le travail ». Rappelons qu'une des pistes de réflexion en cours consiste à baser les cotisations sur la valeur ajoutée et non plus sur les salaires (6).
Si les partenaires sociaux font « le premier pas », Lionel Jospin s'est déclaré « intéressé » par l'idée de mettre en place un statut unique du premier salarié, qui ouvrirait droit à une forme de chèque emploi-service (7) pour les PME.
Conscient des « complexités administratives » auxquelles sont confrontées les entreprises de moins de 10 salariés, le Premier ministre a demandé à Martine Aubry, ministre de l'Emploi et de la Solidarité, et à Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'Economie et des Finances, de « lui faire des propositions après concertation avec tous sur les simplifications à adopter, en s'appuyant sur le rapport que doit remettre prochainement le député Dominique Baert ». Des décisions seront prises dès le début 1998, a ajouté Lionel Jospin.
La situation actuelle en ce qui concerne les salaires conventionnels n'est « pas satisfaisante », a déploré le Premier ministre. Aussi, les organisations professionnelles et syndicales sont invitées à reprendre le processus entamé en juin 1990, date de relance par la Commission nationale de la négociation collective (CNNC) de la négociation de branche sur les bas et moyens salaires. Un bilan précis sera effectué lors d'une réunion de la CNNC en 1998. Lionel Jospin a averti que les pouvoirs publics tireraient « les leçons de ces négociations, et aussi de celles qui interviendront à l'occasion de la réduction du temps de travail pour définir la politique du SMIC ».
L'augmentation de l'allocation spécifique de solidarité (ASS), déjà annoncée dans le cadre du projet de loi de finances 1998, a été confirmée par Lionel Jospin, qui n'a cependant pas révélé le taux de cette revalorisation. L'ASS, servie à environ 500 000 chômeurs de longue durée, s'élève actuellement à 2 220, 30 F pour une personne seule (4).
(1) Voir ASH n° 1995 du 1-11-96.
(2) Actuellement les heures supplémentaires (au-delà de la 39e heure) sont majorées de 25 % jusqu'à la 47e heure, de 50 % à partir de la 48e heure. Elles peuvent également donner droit à des repos compensateurs.
(3) Voir ASH n° 2039 du 3-10-97.
(4) Voir ASH n° 2038 du 26-09-97.
(5) Voir ASH n° 2037 du 19-09-97 et n° 2039 du 3-10-97.
(6) Voir ASH n° 2036 du 12-09-97.
(7) Voir ASH n° 1958 du 19-01-96.