« Il faut une évolution de la loi de 1987 et pas une révolution », a martelé, le 11 septembre, Gérard Bollée, membre du CNPF, quelques jours avant d'achever son deuxième et dernier mandat en tant que président de l'Association générale du fonds pour l'insertion pour les personnes handicapées (Agefiph). Une ultime recommandation, lancée lors du colloque sur l'insertion des handicapés, organisé par la CFDT à l'occasion des 10 ans de la loi de 1987 en faveur de l'emploi des personnes handicapées, qui rejoint le souhait de la plupart des organisations présentes au sein de l'Agefiph. Ainsi, pour Jean-Marie Spaeth, secrétaire national CFDT, qui préside aujourd'hui la CNAM après avoir longtemps suivi le dossier au sein de la confédération, « la loi a le mérite d'exister et elle a permis d'améliorer les choses. Il ne s'agit donc pas de la refaire mais simplement d'engager les évolutions nécessaires. » Côté associations, Marcel Royez, récemment réélu à la tête de la Fédération nationale des accidentés du travail et des handicapés (FNATH), est également convaincu de l'intérêt d'une telle réforme. Si la loi de 1987 a « rempli un vide avec des résultats pas si mauvais que ça », affirme-t-il, il y a aujourd'hui « une formidable nécessité de clarifier le rôle de chacun des intervenants :l'Etat, les financeurs et les opérateurs ». Seul Alain Gaudoux, membre du CNPF et nouveau président de l'Agefiph (il a été élu le 17 septembre), plaide plutôt pour le statu quo. « Nous avons une bonne loi, considère-t-il, il ne faut pas chercher à la changer coûte que coûte. Appliquons-la jusqu'au bout et faisons en sorte qu'elle ait le maximum d'effets. »
Mais l'impatience est grande après que le débat sur l'actualisation de la loi de 1987, engagé par le précédent gouvernement (1), a été stoppé net avec l'arrivée de l'équipe Jospin. Ainsi, pour le bouillonnant Marc Rigaud, directeur délégué à la Ligue pour l'adaptation du diminué physique au travail (Ladapt) et ancien président de la Fagerh, il est désormais nécessaire d' « aller vite et que l'évolution se fasse, non pas au profit des institutions mais de celui des bénéficiaires que sont les handicapés ». Car si la loi a permis de véritables avancées, tous s'accordent à reconnaître qu'il reste encore du chemin à parcourir. Par exemple, le nombre d'accords d'entreprise intervenus depuis 1987 demeure nettement insuffisant. « A peine une centaine », déplore Yves Verollet, secrétaire confédéral CFDT chargé de l'emploi des handicapés. On sait, par ailleurs, que le taux de 6 % de salariés handicapés dans le milieu ordinaire (fixé par la loi) est encore loin d'être atteint. En effet, ce chiffre ne dépasse pas 4 % dans le secteur privé et 3 % dans les trois fonctions publiques. Parmi les raisons invoquées pour expliquer ces résultats mitigés : le manque d'information des chefs d'entreprise, la mobilisation encore trop faible au sein des instances représentatives du personnel et certaines résistances des salariés. Parallèlement, la loi de 1987 induit un certain nombre d'effets pervers. A l'image de ces entreprises qui, afin de ne pas verser leur contribution à l'Agefiph, déclarent comme travailleurs handicapés des salariés qui, s'ils présentent certaines déficiences, n'ont jamais été gênés par celles-ci dans leur travail. « Compte tenu de la pression du marché du travail, et selon les Cotorep, on est de plus en plus facilement considéré comme handicapé aujourd'hui », s'inquiète Marcel Royez, estimant qu'il y a urgence à définir, au niveau national, ce qu'est véritablement un travailleur handicapé, et souhaitant une négociation annuelle obligatoire sur l'emploi des handicapés dans chaque entreprise.
Le nouveau gouvernement a-t-il l'intention de rouvrir le dossier ? Pour l'heure, rien n'est sûr et aucune date n'a été évoquée, la ministre de l'Emploi et de la Solidarité, en charge de cette question, ayant d'autres priorités, notamment avec le plan pour l'emploi des jeunes et le débat sur la réduction du temps de travail. Selon certains, Martine Aubry pourrait cependant faire un geste. Lequel ? « Je ne peux absolument pas anticiper sur les déclarations qu'elle sera amenée à faire dans les semaines qui viennent. On sait cependant sa volonté de faire pour les personnes handicapées quelque chose de fort », s'est contentée d'indiquer, sans autre précision, Maryse Chaix, responsable de la mission pour l'emploi des personnes handicapées à la délégation à l'emploi et à la formation professionnelle, lors du colloque.
Quoi qu'il en soit, l'Etat est attendu de pied ferme par les associations et les syndicats qui, pour la plupart, lui reprochent de ne pas appliquer à lui-même le dispositif institué par la loi de 1987. « Je trouve parfaitement anormal que l'Etat n'applique pas à ses propres salariés les mêmes dispositions que dans le privé », s'agace ainsi Jean-Marie Spaeth, se déclarant favorable à l'extension de la loi aux trois fonctions publiques (Etat, territoriale et hospitalière) dans le cadre d'une délégation de gestion à l'Agefiph. Même chose pour Marcel Royez. « Le milieu ordinaire, c'est aussi les fonctions publiques, souligne-t-il, et il faudra bien se poser la question de savoir quelle place peuvent y occuper les personnes handicapées. Surtout au moment où le gouvernement prend des décisions pour l'emploi. » « Encore faut-il comparer des choses qui sont comparables », rétorque Maryse Chaix, rappelant que les travailleurs handicapés ne peuvent pas être comptabilisés de la même façon dans le public et dans le privé. Par exemple, souligne-t-elle, si les demandes de reconnaissance du handicap sont moins nombreuses chez les fonctionnaires, c'est aussi parce qu'il existe un système « beaucoup plus protecteur » de reclassement de la personne devenue inapte à son travail.
Autre problème maintes fois évoqué :le lien entre travail protégé et milieu ordinaire. Sur cette question, Jean-Marie Spaeth est catégorique : « On ne peut pas faire l'économie d'un débat sur l'articulation entre les deux. Nous avons trop longtemps considéré le milieu ordinaire comme la panacée et sous-estimé le travail protégé. Or c'est une erreur. » Pour le président de la CNAM, il s'agit, d'abord, de rééquilibrer l'implantation des ateliers protégés, trop inégalement répartis sur le territoire. Parallèlement, s'inspirant des projets du précédent gouvernement, il propose d'instaurer, dans la loi, la possibilité de dépasser la simple sous-traitance pour développer une véritable collaboration entre entreprises et ateliers protégés. Et cela dans le cadre de l'obligation d'emploi. Deux démarches complémentaires pourraient être envisagées : mettre à la disposition des CAT et des ateliers protégés du personnel technique ou d'encadrement des entreprises et développer des stages de travailleurs handicapés du secteur protégé en milieu ordinaire. Une idée qui est cependant contestée dans les rangs associatifs où l'on craint que cela ne rende l'insertion des handicapés encore plus difficile, le quota obligatoire devenant alors plus aisé à atteindre. « Pourquoi ne pas inverser notre stratégie et éviter que les personnes handicapées n'entrent dans le secteur protégé ? », s'interroge, pour sa part, Marc Rigaud. « En effet, poursuit-il, il y a tellement de délais d'attente et de gens qui restent dans les ateliers protégés et les CAT alors qu'ils n'ont rien à y faire. Pourquoi, au travers des contrats d'apprentissage et d'une adaptation de la législation, ne leur permettrions-nous pas d'entamer un parcours pluriannuel conduisant directement au travail en milieu ordinaire ? » A condition, précise-t-il aussitôt, d'instaurer un droit au retour dans le secteur protégé pour les cas où l'insertion en milieu ordinaire s'avérerait trop difficile. Dans le même esprit, la FNATH revendique, depuis longtemps, un engagement plus important en faveur de l'insertion et du maintien en entreprise. « L'essentiel de l'effort public est absorbé par le travail protégé. Si l'on mobilisait ces moyens, il y aurait beaucoup plus de personnes handicapées dans le milieu ordinaire », affirme haut et fort son président. Attention toutefois à ne pas uniformiser les réponses. Par exemple, compte tenu des spécificités du handicap mental, l'Unapei milite, plutôt, pour une augmentation des places en CAT et en ateliers protégés. En revanche, les principales associations se retrouvent pour rappeler qu'une éventuelle réforme de la loi de 1987 doit impérativement s'accompagner d'une réactualisation de la loi de 1975 sur les institutions sociales et médico-sociales. Mais celle-ci, en cours sous le gouvernement Juppé, ne devrait ressurgir, selon la DAS, que courant 1999.
Quant au système de formation des personnes handicapées, il est très décrié. On lui reproche, en effet, de souffrir de problèmes chroniques en matière d'accessibilité des lieux de formation et d'une mauvaise adaptation aux réalités du monde du travail. Sans compter la nécessaire modernisation des centres de rééducation professionnelle (2). « Il faut dire qu'il y a aujourd'hui une exigence de compétence accrue qui concerne aussi bien les personnes handicapées qui travaillent déjà en entreprises que celles qui souhaitent y entrer », affirme Alain Gaudoux. « On investit des sommes folles dans la formation et on ne sait pas toujours très bien comment, ni pour quels résultats. Par ailleurs, on n'a toujours pas réglé le problème de l'AFPA et celui de sa responsabilité à l'égard des dispositifs de formation », se récrie, pour sa part, Marc Rigaud, dénonçant dans la foulée les « formations hangar ou réservoir » qui ne mènent pas à l'emploi.
Enfin, en touchant à la loi de 1987, c'est le fonctionnement de l'Agefiph qui pourrait se trouver bouleversé. En effet, du côté des associations, qui ont parfois le sentiment d'être tenues à l'écart par le patronat et les syndicats, certains jugent que le fonds occupe une place « impérialiste ». « L'Agefiph, ça n'est pas toute la loi de 1987 et vice versa », signale Marcel Royez, rappelant que la politique pour l'emploi des handicapés doit être déterminée par les pouvoirs publics avec l'ensemble des partenaires (y compris associatifs). Par ailleurs, la question de la représentation de l'Etat au sein du conseil d'administration de l'association suscite bien des interrogations sachant qu'il est question de remplacer les personnalités qualifiées qu'il désigne par un commissaire du gouvernement ayant un droit de veto plus ou moins étendu. « Ce qui transformerait l'Agefiph en une institution du type AFPA et rendrait la négociation inégale », prévient Gérard Bollée, résolument hostile à cette idée.
Jérôme Vachon
En 1995, quelque 366 000 personnes handicapées étaient salariées dans les établissements du secteur privé, dont 266 000 dans ceux comptant plus de 19 salariés (soumis aux obligations de la loi de 1987). Les salariés handicapés sont majoritairement des hommes et âgés, en moyenne, de plus de 40 ans. La moitié d'entre eux relèvent d'accidents du travail ou de maladies professionnelles. Près de 50 % travaillent dans l'industrie, 41 % dans le tertiaire marchand, 5 %dans la construction et 4,5 % dans l'administration. Autre chiffre : début 1996, avec 135 000 demandeurs d'emploi, le taux de chômage des handicapés était trois fois plus important que celui de l'ensemble des actifs. De même, le niveau moyen de qualification des salariés handicapés est inférieur à celui de la population active. On compte ainsi trois fois moins de chefs d'entreprise et de cadres. Ce qui s'explique par le nombre important d'ouvriers accidentés du travail et par les difficultés que rencontre un handicapé dans l'évolution de sa carrière.
(1) Voir ASH n° 2012 du 28-02-97.
(2) Voir ASH n° 2036 du 12-09-97.