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Les chantiers éducatifs : à quel prix ?

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C'est aujourd'hui que le CNLAPS rend publique la première étude évaluative sur les chantiers éducatifs. L'occasion de visibiliser un secteur flou et mal défini.

En 1995, 4 600 jeunes ont été suivis dans le cadre de chantiers éducatifs par 83 associations de prévention spécialisée. Et ils ont perçu (en argent et prestations) l'équivalent de près de 6 millions de francs (1). S'ils constituent une action éducative déjà ancienne, les chantiers connaissent un fort développement du fait de la pression du chômage et de la raréfaction des ressources pour les jeunes. Néanmoins, face au flou des pratiques, à l'inadaptation des réglementations existantes et aux risques de dérive vers des formes de travail au noir, le Comité national de liaison des associations de prévention spécialisée  (CNLAPS)   (2) a voulu dresser un état des lieux sur cette activité. Un document sur lequel il compte bien s'appuyer pour réclamer, auprès des pouvoirs publics, un minimum de « clarification et de sécurité réglementaire ».

Tout d'abord, l'étude met en évidence la difficulté d'établir une définition précise, voire un profil type, des chantiers éducatifs. S'ils sont bien utilisés comme un « outil parmi d'autres » au sein d'une palette d'interventions possibles et visent davantage à prévenir la marginalisation qu'à préparer l'entrée dans la sphère de travail, ils se déclinent de façons très diverses selon les associations. Ainsi, leur inscription dans une approche globale des difficultés d'insertion varie selon les relations (ponctuelles ou systématisées) entretenues entre les éducateurs de rue et les éducateurs techniques, ou encore la nature des liens développés avec les autres structures de l'insertion. L'intégration de cet outil dans les parcours d'insertion professionnelle apparaissant surtout effective lorsque les associations ont déjà développé des initiatives en ce sens (ateliers de recherche d'emploi, AI, EI...). Mais la diversité concerne aussi les publics. Alors que certaines associations visent « tous les jeunes en difficulté », d'autres s'adressent en priorité à ceux fortement marginalisés. Ainsi, ici on privilégie le public scolarisé, là on cible les demandeurs d'emploi en rupture avec les institutions. Ailleurs encore, on associe aux jeunes les adultes des quartiers ou les membres de la famille. Enfin, faut-il noter la variété des durées des chantiers proposés (vacances scolaires ou sur l'année), des projets (individuels ou de groupe), des objectifs... Ceux-ci allant de l'organisation d'ateliers permanents à la réalisation, le plus souvent, de travaux pour des collectivités locales, des bailleurs sociaux ou des associations ne réclamant pas de qualification particulière. Ce qui ne signifie pas pour autant qu'il n'y ait pas de sélection en raison de la pénibilité ou du type d'activité effectuée, peu de chantiers paraissant ainsi adaptés aux jeunes filles. Certaines équipes réfléchissent d'ailleurs aux moyens de toucher celles issues de l'immigration, peu accessibles par les activités de loisirs. Mais, au-delà, d'autres facteurs (réglementation, constitution d'un groupe de jeunes « viable », orientations des équipes...) jouent dans la sélection des publics.

Les chantiers sont-ils alors un simple support de socialisation parmi d'autres ? Un support particulier permettant des apprentissages spécifiques ? Un mode d'intervention permettant aux éducateurs d'être appréhendés comme des acteurs de l'insertion sur les quartiers ? La question reste ouverte, soulignent les auteurs de l'étude. Ce qui ne les empêche pas de reconnaître qu'au-delà de leurs usages différents, de l'importance plus ou moins grande accordée à l'acquisition de savoir-être et/ou de savoir-faire, tous les chantiers poursuivent, a minima, des objectifs visant au « respect des contraintes du travail » et à la « revalorisation des jeunes vis-à-vis d'eux-mêmes et de leur entourage ». Et, partout, ils cherchent à utiliser le travail « en ce qu'il autorise de création de lien social et en ce qu'il procure de ressources financières ».

UN OUTIL ÉDUCATIF

Les chantiers éducatifs (3) visent à effectuer avec des jeunes un travail rémunéré. Utilisés comme « outil d'action éducative » et « support de socialisation » par les équipes de prévention spécialisée, ils revêtent un aspect économique puisqu'ils sont commandés par un client. Les objectifs éducatifs peuvent être divers : vitaux (se nourrir, se loger...)   individuels (être utile, restaurer l'image de soi...)   de groupe (savoir s'organiser, réaliser un projet collectif...)   vis-à-vis de l'environnement. Les jeunes sont encadrés par un personnel à la fois éducateur et technicien, faisant partie de l'équipe. Ces jeunes, qui n'ont pas un statut de salarié, sont « des personnes en situation d'insertion » (loi du 18 janvier 1994 et décret du 31 mars 1994).

Quelle place pour l'argent ?

Ces objectifs soulèvent d'ailleurs « deux débats majeurs » au sein des associations. Tout d'abord, quelle place accorder à la rémunération ? En effet, l'augmentation des situations de précarité et, donc, la demande pressante d'argent de la part des jeunes ouvrent le risque d'utiliser les chantiers dans une perspective par trop financière. En outre, si la rémunération constitue un élément majeur de l'aspect éducatif, l'autre dérive serait de détourner les publics de la recherche d'emploi. Enfin, les auteurs s'interrogent sur la façon dont l'argent est intégré à la logique éducative. Alors qu'ici son utilisation est contrôlée (par le biais d'un projet individuel ou collectif), là, le jeune le dépense librement.

Quant à l'autre grand débat, il concerne la place de l'économique : jusqu'où concilier les contraintes du marché et les aspects éducatifs de l'intervention ? Les avis sur cette question diffèrent selon les modes d'organisation. C'est ainsi que, lorsque les chantiers sont essentiellement gérés par les équipes de terrain, ils s'inscrivent dans « une logique socio-éducative ». Les éducateurs ne souhaitant pas trop jouer le jeu de la logique économique par choix mais, souvent aussi, faute d'orientations en ce sens du conseil général. D'ailleurs, les chantiers restent ici ponctuels et ne concernent qu'un petit nombre de jeunes. Et les équipes ne disposent que rarement d'éducateurs techniques. Mais les chantiers peuvent être gérés, tout à la fois, au niveau des équipes et de l'association de prévention. Dans ce cas, le dispositif est vraiment placé « au cœur des pratiques de prévention ». Dans cette organisation « centralisée », les associations s'appuient sur des éducateurs techniques ou des professionnels réunis au sein d'un service technique. Mais, si ce système assure une offre plus stable des chantiers, il risque davantage de détourner l'outil de sa vocation éducative. Ce n'est en effet que lorsque les associations se sont dotées d'un « service centralisé » de gestion que l'on peut véritablement parler de réseaux de clients, relève l'étude. Laquelle fait état, dans certains cas, du « partage, a priori » auquel se livrent les principaux clients (bailleurs sociaux et collectivités locales notamment), pour effectuer leurs travaux, entre les associations de prévention, les différentes structures d'insertion par l'économique, voire les entreprises classiques. Il n'en reste pas moins que le positionnement des chantiers sur le marché des biens et services tient largement à la réalisation de travaux d'ampleur, de technicité et/ou de rentabilité moindres que ceux réalisés par les autres entreprises. Sachant que certaines associations vont chercher à être au plus près des coûts réels, en intégrant notamment le prix de l'encadrement pédagogique, alors que d'autres vont privilégier une logique sociale en tirant sur le budget de l'association ou les subventions.

Ces différentes approches sont également perceptibles au niveau des systèmes d'embauche. Même si leur diversité reflète également les difficultés des associations face à des réglementations pas toujours adaptées. Il y aurait, selon les auteurs, trois stratégies. Tout d'abord, des associations qui font feu, au gré des opportunités, de toutes les possibilités réglementaires existantes. C'est ainsi qu'au sein de la même association, selon le type de chantier, les jeunes vont multiplier les statuts (stagiaire de la formation professionnelle, « personne en situation d'insertion », salarié), les modes de contractualisation ou de rémunération (simple contrepartie en activité ou séjour, pécule, bourse, salaire...). A côté, certaines associations vont utiliser tous les articles relevant du code de la famille et de l'aide sociale ou ceux organisant notamment les activités de production des structures agréées au titre de l'aide sociale en direction des « personnes en situation d'insertion ». Elles revendiquent alors pour ces jeunes un « statut différent du statut salarial » au nom de principes éducatifs. Troisième cas enfin, quelques structures ont choisi de mettre en place des associations « satellites » ou utilisent les services d'une association intermédiaire partenaire. Là, les jeunes ont généralement un contrat de travail, le statut de salarié étant appréhendé comme « un élément central du projet éducatif ». Toutefois, au-delà de cette diversité des modes de recrutement, l'étude relève la difficulté des associations à souscrire à l'examen médical d'embauche, et à certaines procédures réglementaires comme l'immatriculation à la sécurité sociale, la déclaration préalable d'embauche et surtout les règles relatives à l'emploi des 14-16 ans, particulièrement complexes.

Clarifier et visibiliser

Alors, que tirer de cette étude ? Pas question, d'abord, de remettre en cause les chantiers éducatifs, qui s'inscrivent avec « d'autant plus de pertinence dans les dispositifs d'insertion qu'ils s'adressent à des jeunes qui sont en dehors ou risquent fort d'être exclus des structures existantes ». Et dont l'un des autres intérêts serait de s'insérer d'une certaine façon dans le champ de l'économie solidaire. Reste cependant à clarifier cet outil pour le rendre plus visible aux yeux des différents partenaires. S'ils se défendent de vouloir le modéliser, les auteurs invitent néanmoins à en préciser les objectifs, modes d'organisation, moyens... De même plaident-ils pour mieux structurer le dispositif en confiant sa gestion à des associations distinctes des associations de prévention et des organismes d'insertion. Ce qui, selon eux, permettrait de mieux peser auprès des acteurs, voire d'obtenir peut-être certains assouplissements au niveau des règles relatives à l'embauche des mineurs. Les auteurs insistent aussi sur la nécessaire articulation des chantiers avec les autres actions d'insertion, jugeant nécessaire de valoriser leur rôle en matière « de constitution de repères » et « d'apprentissages sociaux ». Enfin, ils suggèrent l'élaboration d'un guide de la démarche « chantiers éducatifs » afin d'aider les différents acteurs à mettre en place cette activité complexe.

Isabelle Sarazin

UN IMPACT RÉEL

« Ça m'a permis de suivre mes études et de ne pas faire le con. » « C'est comme une vie active en réel, avec une fiche de paye et un travail vraiment reconnu. » « Ces chantiers, c'est essentiel, ça évite de faire des conneries, de rentrer dans la magouille, ça permet d'avoir du fric honnêtement. »... Selon les représentations que les jeunes ont de l'insertion professionnelle, leurs attentes vis-à-vis des chantiers sont différentes, relèvent les auteurs. Pour eux, cet outil a bien un rôle préventif en « combattant la disjonction, prégnante chez ces jeunes, entre travail et revenus » et en luttant contre les effets de l'exclusion économique, notamment là où n'agissent plus les agents de régulation collective...

Notes

(1)  Selon l'enquête quantitative menée par le Comité national de liaison des associations de prévention spécialisée auprès de 135 associations de prévention spécialisée et présentée également aujourd'hui au cours de la journée nationale d'étude de Nancy.

(2)  Etude réalisée auprès de huit associations. Les chantiers éducatifs - C. Froissart, F. Darty (FORS recherche sociale)  - CNLAPS : 562, av. du Grand Ariétaz - 73000 Chambéry - Tél. 04 79 96 27 30 - 100 F.

(3)  Selon la définition adoptée par le Comité national de liaison des associations de prévention spécialisée, le 7 octobre 1995.

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