C'est un pavé dans la mare qu'a lancé, avant l'été, le centre ressources Profession banlieue en rendant public un référentiel « femmes-relais » tendant à démontrer qu'il existe bien là « un nouveau métier de la ville » (1) . Alors que, depuis des années, on n'en finit pas de disserter sur le fait de savoir s'il s'agit d'un métier, d'une fonction ou d'une simple solidarité de voisinage, celui-ci a voulu mettre fin au flou qui entoure cette activité. Un groupe de travail qu'il a coanimé avec l'IRTS-Paris a ainsi mené l'enquête auprès de cinq structures de femmes-relais de Seine-Saint-Denis et du Val-d'Oise (quatre associations et une municipalité) (2).
Celui-ci met clairement en évidence l'extrême ambiguïté où se trouvent actuellement ces intervenantes. « Elles sont utilisées, donc reconnues de fait, mais jetables », résume brutalement Bénédicte Madelin, directrice de Profession banlieue. Fortement sollicitées par les institutions qui ont vite mesuré l'intérêt de leur intervention, les médiatrices sont, pour la plupart, embauchées dans le cadre de contrats emploi-solidarité, de contrats à durée déterminée, ou rémunérées sous forme de vacations. La pérennité de leur action reste fortement soumise à l'obtention de subventions, même si l'Association des femmes-relais de Clichy-sous-Bois et de Montfermeil (ARIFA) a pu passer convention avec le conseil général pour ses interventions dans les PMI. Seules, les « agents de promotion de la vie sociale » de Bondy sont salariées de la ville sur un statut dérogatoire de contractuelles (agent social, catégorie C). Comment, dans ces conditions précaires d'exercice, expliquer les exigences posées par les institutions en termes de compétences ou d'éthique ? En outre, le renouvellement annuel des financements n'est-il pas, en quelque sorte, signe d' « une légitimation de fait de leur mission » ? ironise Bénédicte Madelin.
Pour le groupe de travail, les « remous » suscités par leur reconnaissance s'expliquent d'autant moins que « les éléments constitutifs de l'émergence d'un métier sont réunis ». D'abord la demande, tant du côté des habitants que des institutions, existe. Ensuite, explique-t-il, la fonction peut se définir par des activités professionnelles (accueillir et recevoir, informer, orienter, accompagner, travailler en partenariat, en équipe/se former), et suppose donc des compétences, proches d'ailleurs de celles des travailleurs sociaux. Enfin, toutes les structures sont animées de préoccupations éthiques (une charte de la médiation sociale et culturelle a même été élaborée par le collectif d'associations créé au sein de FIA-ISM) et organisent des formations pour leurs intervenantes. Si bon nombre de points restent à approfondir, leur conclusion est claire : « Il existe une fonction de médiation sociale dans les quartiers, à l'interstice des métiers du travail social existants, et il convient de la structurer par un statut reconnu, validé, permettant au terme d'un processus de qualification d'accéder à un métier. »
Au sein des pouvoirs publics, certains responsables s'agacent : « On commence par présenter un référentiel-métier, puis on propose un statut et on demande un financement ! » Et nul doute que les avis divergents des directions ministérielles traduisent bien le malaise sur le sujet. C'est ainsi qu'à la direction de la population et des migrations, qui avait pourtant donné dans le cadre de la circulaire du 19 décembre 1994 un cadre aux initiatives des femmes-relais (3), on reconnaît aujourd'hui que « leur ancrage dans la durée pose la question de leur évolution professionnelle ». Pas question pour autant de créer une profession nouvelle, mais plutôt de « réfléchir à la façon dont ces intervenantes pourraient accéder aux formations du travail social », défend Catherine Laporte, chef de bureau. Une quinzaine de ces femmes devrait ainsi bénéficier d'une action expérimentale de préformation en 1998. A la DAS, qui soutient cette initiative, le concept de métier irrite fortement. « Est-il utile de créer des métiers à tout bout de champ ? La réponse femme-relais a le mérite d'exister. Maintenant, est-ce une bonne réponse ? Est-ce qu'il faut mettre des femmes-relais là où le service social n'existe plus ? », s'interroge Pierre Gauthier, son directeur. Tandis qu'à l'Education nationale on a moins d'états d'âme et l'on évoque la création éventuelle de nouveaux CAP autour de la médiation sociale, accessibles notamment aux femmes-relais.
« Qu'il y ait besoin de femmes-relais, c'est une évidence. Il faut néanmoins ramener cette fonction dans la perspective de toute la nébuleuse des nouveaux emplois (agents d'ambiance, accompagnateurs scolaires) qu'on essaie d'inventer pour éviter qu'une partie de la population ne parte à la dérive, analyse le sociologue Christian Bachmann. Mais encore faut-il cesser de bricoler et de multiplier les semi et quart-professionnels pour jouer ce rôle de tampon ! » Et, pour celui-ci, le cadre offert par les emplois-jeunes de Martine Aubry, même s'il mérite d'être précisé, peut justement être l'occasion d'engager la nécessaire remise à plat de l'ensemble des métiers du travail social. Faudrait-il alors, dans le cadre de cette recomposition, créer, comme le propose le sociologue Michel Autès, une filière de la médiation ? Isabelle Sarazin
(1) Lors d'une journée d'étude, le 1er juillet 1997 - Référentiel « femmes-relais » - Profession banlieue : 15, rue Catulienne - 93200 Saint-Denis - Tél. 01 48 09 26 36 - 50 F.
(2) Participaient notamment au groupe de travail : la Fédération nationale Léo Lagrange, FIA-ISM, la délégation départementale aux droits des femmes, la direction départementale de la jeunesse et des sports.
(3) Voir ASH n° 1921 du 7-04-95.