« Nous ne sommes pas en situation d'avoir fait un inventaire. Il n'est pas impossible que nous ayons oublié des choses ou mis en avant des choses marginales », reconnaît Marc Gagnaire, chargé de mission à la FNARS (1), l'une des fédérations à avoir entrepris de recenser les emplois susceptibles d'entrer dans le cadre du programme Aubry sur les emplois-jeunes (2). Ce propos résume bien l'attitude adoptée par nombre de responsables associatifs concernant ce plan. Beaucoup s'accordent sur un fait : bien des points restent en suspens. Pour autant, pas question de rester inactifs. Dans de nombreux réseaux, on a décidé de s'investir : on consulte, on mobilise, on recense les projets... et on exprime des inquiétudes.
Pour certains, cependant, inutile de se précipiter. « Les opérateurs locaux attendent d'avoir l'ensemble des éléments pour prendre des engagements », constate Hugues Feltesse, directeur général de l'Uniopss (3), qui a engagé le débat avec ses adhérents. D'autres, à l'instar de la FNARS qui a décidé de favoriser l'émergence ou la création de plus de 2 000 postes dans son réseau, ont fait état de quelques pistes, tout en reconnaissant que l'essentiel du travail était encore à faire. Enfin, des associations ont entamé, très tôt, des négociations avec les pouvoirs publics sur des projets précis.
Selon Michel Franza, directeur adjoint de l'Association française pour la sauvegarde de l'enfance et de l'adolescence (AFSEA) (4), qui s'est engagée à participer à la mise en œuvre du programme dans les secteurs socio-éducatif et médico-social, les choses sont claires : « Les associations ne peuvent pas s'exonérer d'un quelconque investissement dans ce plan. » C'est pourquoi l'AFSEA, qui devrait bientôt conclure un protocole d'accord-cadre avec deux ministères, se fixe pour objectif la création d'environ 1 000 emplois en trois ans. « On prétend être acteurs de la transformation sociale, il faut que l'on réponde présents », renchérit Jean-Marc Roirant, secrétaire général de la Ligue française de l'enseignement et de l'éducation permanente (5), qui regroupe à elle seule 34 000 associations. Ici, on avoue s'être préparés durant l'été et on travaille à la signature d'un accord-cadre général avec le ministère de l'Emploi et de la Solidarité, s'appliquant à de nombreux secteurs. Objectif :créer directement 3 000 à 5 000 emplois d'ici à fin 1998 et contribuer à l'émergence de dizaines de milliers d'autres.
De même, à l'Unassad (6), où l'on recense 7 ou 8 métiers possibles dans le domaine du développement et de l'animation auprès des malades et des personnes âgées (portage des repas et de provisions à domicile, gardes de nuit...), on se propose de créer 10 000 emplois nouveaux d'ici à 15 mois « à condition de bénéficier d'exonérations de charges ».
Des emplois pour quoi faire ? Tout d'abord pour répondre à des besoins qui émergent. Dans le « nouvel espace éducatif » lié à « l'aménagement du temps de l'enfant », « une partie du besoin est satisfaite, mais une très faible partie », note de son côté Georges Friedrich, secrétaire général des Francas (7), qui viennent, avec trois autres associations complémentaires de l'enseignement public (CEMEA, Ligue de l'enseignement, Fédération générale des pupilles de l'enseignement public), de proposer à l'Etat un accord-cadre visant à y répondre. De même, fait-on remarquer à la direction de l'action sociale, ces emplois sont « une opportunité » pour répondre aux difficultés d'intégration scolaire et extrascolaire des handicapés. Mais, de l'avis de beaucoup, le nouveau programme va surtout permettre de consolider des actions existantes. « Ce projet est intéressant dans le sens où il apportera un appui significatif à un certain nombre d'actions menées par les associations les années passées », estime Hugues Feltesse, même si, selon lui, on ne peut pas parler « d'aubaine ». Et dans la mesure où il permettra parfois de remédier, certains le disent, à des problèmes de financement...
Raison principale de l'intérêt suscité par le projet : la démarche visant à s'appuyer sur les initiatives du terrain. « Dans notre champ d'activité, les associations n'ont pas cessé d'innover et de développer des réponses nouvelles », poursuit Hugues Feltesse. Il convient de continuer. C'est pourquoi le programme ne doit pas donner lieu à « une procédure d'appel d'offres qui soit trop stérilisante », ajoute-t-il. Pour Aline Osman, chargée de mission à la FNARS, ces emplois pour les jeunes doivent s'apparenter à des « contrats d'activité territoriale ». Et celle-ci de préciser : « C'est un programme qui n'a pas pour objet tel ou tel type de public, c'est un programme qui s'appuie sur un chantier. » Pour beaucoup, c'est là que se situe la nouveauté.
Cette logique conduit les réseaux associatifs à définir des profils de postes en partant des actions en place. A la FNARS, on souhaite partir du concret. Il s'agit de « tout ce qui tourne autour de la notion de créateur de lien », souligne Aline Osman. Des jeunes, que l'on pourrait qualifier d' « agents de téléphonie sociale », pourraient prendre en charge l'accueil et l'écoute des personnes utilisant le numéro vert de la fédération. D'autres, « agents de proximité » ou « permanents de rue », pourraient avoir pour objectif d' « arriver à créer le lien » avec les personnes dans la rue, la nuit notamment. Il y a aussi « tout ce qui est services à offrir à des populations qui sont démunies de toutes ressources et qui ne peuvent déménager ou réhabiliter leur logement », note Marc Gagnaire. On réfléchit, on trace des pistes. « Ce sont des boulots qui se font, qui sont là », précise Aline Osman.
Si la création d'emplois pour les jeunes ne suscite guère d'opposition de principe parmi les associations, celles-ci mettent néanmoins le doigt sur des insuffisances ou des dérives possibles. « Nous nous demandons si les réseaux associatifs auront la place qu'ils méritent », affirme Jacqueline Saint-Yves, présidente de la Coorace (8), qui s'est dite prête à participer à la création et à la professionnalisation des nouveaux métiers. « Il faut permettre une montée en charge progressive, ne pas faire du quantitatif à tout prix », poursuit Hugues Feltesse. Et Aline Osman d'attirer l'attention : « Si on est dans une démarche d'injonction, on échouera si on est dans une démarche d'adhésion, il me semble qu'on a beaucoup plus de chances de réussite. »
Dès lors, peut-on parler de « nouveaux métiers » ? Non, disent les uns. Qu'importe, répondent les autres, ajoutant que la liste publiée par l'Etat n'est qu'indicative. Et même s'il faut bien constater que « ce qu'on a vu apparaître comme nouveaux métiers dans bien des cas, c'étaient des activités, des fonctions qui relèvent de métiers actuels », note Hugues Feltesse. D'autres encore, comme François Chérèque, secrétaire général de la CFDT Santé-sociaux (9), bottent en touche : « Essayons de profiter des cinq ans pour regarder si ce sont vraiment de nouveaux emplois », déclare-t-il, se voulant « pragmatique » et souhaitant que le Conseil supérieur du travail social se saisisse de cette question. Les associations, à l'instar de la FNARS, s'accordent cependant sur le fait qu'il y a des réponses nouvelles à apporter et se disent prêtes à travailler sur des référentiels de métiers et des formations. Aux CEMEA (10), on fait remarquer que des activités peuvent être nouvelles à un endroit et pas à un autre et que l'enjeu, c'est leur « massification » dans certains lieux.
Du côté syndical, comme à l'AFSEA, on souhaite que les emplois ne se substituent pas aux emplois existants. D'ailleurs, à la CFDT Interco (11), où l'on se souvient de la laborieuse création de la filière animation dans la fonction publique territoriale, on a proposé à certains parlementaires un projet d'amendement à cet effet. Autre sujet de préoccupation : quel rattachement aux conventions collectives ?
Le volet formation est celui qui mobilise le plus, beaucoup s'interrogeant sur son financement. Soit les jeunes en ont déjà une, et « on peut penser alors qu'il y a besoin d'une adaptation à la fonction » soit ils n'en ont pas, et « il faut qu'ils deviennent compétents, efficaces dans leur poste », estime François Chobeaux, chargé de mission aux CEMEA. Lequel prône notamment l'accompagnement par un tutorat. « Des formations d'adaptation peuvent être données par les centres de formation en travail social à ces jeunes, dont certains vont occuper des fonctions complexes relevant de la médiation et de la coordination », renchérit Marie-France Marquès, directrice administrative de l'ONFTS (12). Aussi l'organisation est-elle décidée à mobiliser ses adhérents pour qu'ils se rapprochent des employeurs. Et déjà elle réfléchit à la façon dont pourraient être validés les acquis au bout des cinq ans pour favoriser l'accès aux diplômes du travail social.
Reste que, si les nouveaux emplois doivent être professionnalisés, il est hors de question qu'ils soient réservés aux personnes les plus qualifiées. « Les acteurs sociaux ne sont plus uniquement ceux qu'on croit », fait remarquer Aline Osman. « Il y a des métiers qui passent par l'école de la vie » et, dans le secteur de l'urgence sociale, on a besoin de gens capables d'aller vers les personnes en détresse, notamment les jeunes. « Ceux-ci ont tellement vu d'intervenants sociaux dans les familles qu'il y a un rejet. » Pour autant, ces nouveaux acteurs sociaux, formés « à l'école de la vie », ont besoin d'un encadrement, défend-elle. Bref, il faut à côté d'eux des travailleurs sociaux capables d'avoir du recul. Sur une activité du type « téléphonie sociale » par exemple, il est bon qu'il y ait plusieurs profils : des « écoutants » pour créer le lien des « répondants » capables de trouver des solutions. C'est au gestionnaire du dispositif de voir quand il a besoin des uns ou des autres. « C'est à nous de faire en sorte qu'il n'y ait pas de substitution », conclut Aline Osman.
Toute l'originalité du projet, soulignent bon nombre de responsables, réside dans le fait qu'il ne stigmatise pas une catégorie cible de jeunes. Même si le programme doit rester ouvert aux publics en difficulté. Pas question, en effet, d'abandonner « notre rôle de promotion sociale », déclare Georges Friedrich. Tandis qu'à la FNARS on reste favorable aux dispositifs basés sur des « discriminations positives ». Ce qui signifie, explique Aline Osman, que « l'on peut avoir besoin d'un traitement inégalitaire pour un moment court ». Aussi, insiste Marc Gagnaire, les emplois-jeunes ne peuvent pas être la réponse unique aux problèmes. Il faut, également, « consolider et accroître tous les autres dispositifs qui touchent les publics les plus en difficulté ».
Jean-Christophe Marchal
(1) FNARS : 76, rue du Faubourg-Saint-Denis - 75010 Paris - Tél. 01 45 23 39 09.
(2) Voir ASH n° 2033 du 22-08-97.
(3) Uniopss : 133, rue Saint-Maur - 75011 Paris - Tél. 01 53 36 35 00.
(4) AFSEA : 118, rue du Château des Rentiers - 75013 Paris - Tél. 01 45 83 50 60.
(5) Ligue française de l'enseignement et de l'éducation permanente : 3, rue Récamier - 75007 Paris - Tél. 01 43 58 95 00.
(6) Unassad : 108/110, rue Saint-Maur - 75011 Paris - Tél. 01 49 23 82 52.
(7) Francas : 10/14, rue de Tolain - 75020 Paris - Tél. 01 44 64 21 00.
(8) Coorace : 17, rue Froment - 75011 Paris - Tél. 01 49 23 70 50.
(9) CFDT Santé-sociaux : 47/49, avenue Simon-Bolivar - 75950 Paris cedex 19 - Tél. 01 40 40 85 00.
(10) CEMEA : 76, boulevard de la Villette - 75940 Paris cedex 19 - Tél. 01 40 40 43 43.
(11) CFDT Interco : 47/49, avenue Simon-Bolivar - 75950 Paris cedex 19 - Tél. 01 40 40 85 50.
(12) ONFTS : 1, cité Bergère - 75009 Paris - Tél. 01 53 34 14 71.