C'est presque une chronique de banlieue ordinaire : un jeune de la cité qui se tue sur une moto volée une banale intervention de la police... Et, pendant une semaine, le quartier des Mézereaux, au nord de Melun, s'enflamme, livré à une véritable « guérilla » urbaine entre les jeunes et la police. Tout nouvel acte de violence entraînant en réponse toujours plus de forces de l'ordre, de CRS, de gardes mobiles... Ce sont les mécanismes de ce « naufrage insensible » d'une cité périphérique d'une calme petite sous-préfecture, comme il en existe des dizaines, que décryptent, jour après jour, Christian Bachmann et Nicole Le Guennec. Le décor ? Un quartier devenu, avec le chômage et les petits boulots, « une machine à casser l'espoir » que les pouvoirs publics ont abandonné aux mains de quelques animateurs municipaux, isolés et sans réelle compétence éducative. L'étincelle ? L'accident qui, relayé par les multiples rumeurs et gonflé par les médias, est vite interprété par les jeunes comme une agression policière qui mérite vengeance... Tous les ingrédients sont là. La machine de l'émeute s'emballe, se nourrissant de « la sensation d'impasse et de la conscience du mépris » de ceux qui sont niés quotidiennement et condamnés à l' « inexistence sociale ». Car, si elles sont toujours imprévisibles, ces « fureurs banlieusardes » n'en sont pas moins « fortement probables », insistent les auteurs, pourfendant au passage quelques idées reçues sur le malaise urbain. Il est sûr, en effet, que dans ces cités, où les jeunes voient leurs chances d'obtenir un « vrai » métier de plus en plus réduites et où ils ne peuvent être reconnus que par la force et/ou l'argent, la violence est là, omniprésente... Et la défiance partout... Pourtant, depuis quelques années, les pouvoirs publics déploient des efforts acrobatiques, multipliant les expériences de médiation à travers « les grands frères », « les agents d'ambiance » dans les transports, les gardiens d'immeubles, les femmes-relais... Cela serait-il vain ? En tout cas insuffisant, rétorquent les auteurs, qui ne voient là que de « fragiles édifices », « timidement accotés » aux grandes organisations sans réussir à en modifier le fonctionnement. Pourtant, défendent-ils, il serait temps de sortir du bricolage et d'accepter, par exemple, qu'enseigner en zone difficile n'est pas le même métier qu'enseigner dans les beaux quartiers. Pour eux, il est clair que « les métiers sont eux-mêmes condamnés à changer ». En effet, sans renforcement et réinvention des services publics, la voie est libre vers « une tiers-mondisation des quartiers pauvres ».
Autopsie d'une émeute - Christian Bachmann, Nicole Le Guennec - Ed. Albin Michel - 98 F.