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Une profession sous pression

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Face à l'alourdissement des situations, l'intervention tutélaire exige, de plus en plus, une qualification forte en travail social, défend le cabinet FORS dans l'enquête qu'il présente aujourd'hui aux journées de l'UNAF (1).

Alors que bon nombre de délégués à la tutelle s'inquiètent de la dégradation de l'exercice de la profession, l'enquête menée par le cabinet FORS à la demande du ministère des Affaires sociales (2) tente de clarifier un secteur complexe et en pleine évolution. Et surtout, tirant le signal d'alarme sur les risques de déqualification de la fonction en raison de la surcharge des services, elle insiste au contraire sur les nécessaires compétences en travail social. Ne serait-ce que parce que le recours accru à la tutelle comme réponse sociale oblige les pratiques à accorder une place grandissante à l'accompagnement de la personne. De fait, devenu « quasi incontournable » dans le cadre des tutelles aux prestations sociales familiales, celui-ci gagne aussi du terrain dans le domaine des tutelles d'Etat aux majeurs protégés. A tel point, s'interrogent les auteurs, que l'on peut se demander s'il n'y a pas un certain rapprochement des compétences chez des professionnels exerçant pourtant des mesures distinctes... Ce qui ne ferait qu'accroître « le brouillage des frontières » entre les deux fonctions qui relèvent de formations et de conditions de recrutement différentes.

Tout d'abord, cette enquête sur l'évolution des pratiques (menée dans le Nord, les Côtes d'Armor et le Vaucluse) apporte une confirmation. Alors que les mesures de tutelle aux prestations sociales enfants (TPSE) se stabilisent ou fléchissent, on note une croissance de celles destinées aux majeurs. Raisons évoquées ?Le vieillissement de la population, les effets de la « dépsychiatrisation », la « systématisation des demandes » pour les bénéficiaires de l'AAH, et plus globalement par l'ensemble des politiques et des mesures de maintien à domicile. Mais la tutelle devient aussi « une mesure sociale de dernier recours » pour un nombre grandissant de personnes que le chômage ou la précarité conduisent à une situation d'extrême fragilité budgétaire. On en arrive même, pour des populations à la limite de la psychiatrie, à une demande « d'ordre quasi thérapeutique ». Il y aurait d'ailleurs des pressions d'organismes (tels les bailleurs sociaux) pour obtenir la mise sous tutelle de certains locataires afin d'être garantis du recouvrement du loyer. A cela s'ajoute la dérive consistant à recourir aux doubles mesures - une mesure de TMP (tutelle aux majeurs protégés) doublée d'une mesure de TPSA (tutelle aux prestations sociales adultes)  - pour bénéficier du meilleur financement possible.

PRÈS DE 140 000 MESURES

La tutelle aux prestations sociales  (TPS) - loi du 18 octobre 1966 - a pour objet la protection et l'éducation des familles et des individus. Les prestations (allocations d'aide sociale, bourse d'études, avantage vieillesse, AAH...) sont alors mises sous tutelle pour garantir leur bon usage dans l'intérêt de la personne adulte  (TPSA) ou de l'enfant  (TPSE). La tutelle aux majeurs protégés  (TMP) -  loi du 3 janvier 1968 - vise la protection des biens et ressources d'une personne majeure (personne âgée, handicapée) « qu'une altération de ses facultés personnelles met dans l'impossibilité de pourvoir seule à ses intérêts » ou qui, par sa « prodigalité », son « intempérance » ou son « oisiveté », s'expose à tomber dans le besoin ou compromet l'exécution de ses obligations familiales. Les associations (au premier rang desquelles les UDAF) assurent la grande majorité des mesures de tutelle, selon les premiers résultats de l'enquête quantitative (3) qui accompagne l'étude confiée à FORS. Quant aux mesures de protection (139 061 en 1995), elles se répartissent entre les mesures de tutelle aux majeurs protégés : 51 %  les mesures de tutelle aux prestations sociales : 26,2 %  les doubles mesures TPS-TMP : 21,3 %. L'ensemble des services regroupe 4 445 emplois équivalent temps plein, les délégués représentant la majorité des effectifs. Ces derniers assurent en moyenne 40,9 mesures de TPS et 66,6 de TMP.

Un système peu régulé

Cette croissance des mesures destinées aux majeurs intervient dans « un système non maîtrisé ». Et où, finalement, les juges répartissent les mesures moins en fonction de la qualification particulière des structures que de la capacité de ces dernières à négocier et faire valoir leurs compétences et besoins. Certaines structures assurant des mesures de TPSE peuvent ainsi se voir confier des mesures de TPSA « pour compenser la baisse passagère du nombre de mesures de TPSE exercées ». Des jeux d'ajustement qui s'expliquent d'autant plus que le prix des mois-tutelle varie d'un département à l'autre aussi bien pour les mesures d'Etat (de 509 F dans les Côtes d'Armor à 650 F dans le Nord) que pour les TPSA (respectivement de 746 F à 1 250 F). Enfin, la régulation est d'autant moins assurée que les DDASS sont plutôt préoccupées du contrôle du coût des tutelles.

Au-delà de la taille hétérogène des structures (pouvant aller de trois personnes à 200 salariés), le rapport met en évidence la charge très variable de travail des délégués : le nombre de dossiers peut varier du simple au double (d'une trentaine à une soixantaine) selon les services et les départements. Des disparités qui s'expliquent selon le type de mesure mais également selon la conception et l'organisation du travail, les services tentant de maintenir une relative polyvalence des délégués. C'est ainsi qu'il faut prendre en compte le rôle des agents administratifs. Celui-ci pouvant aller du simple secrétariat à l'accueil des majeurs, au paiement ponctuel de factures ou à l'ouverture de certains dossiers. Voire au règlement des factures courantes et à la participation aux réunions de service. De même, le travail dépend du degré d'informatisation qui, de la simple gestion comptable, peut déboucher sur des connexions informatiques avec les banques. Ce qui d'ailleurs n'est pas sans risque de dérive...

Des principes à la réalité

Dans ce contexte, comment s'orientent les pratiques des délégués ? Celles-ci se distinguent moins en fonction du cadre juridique (entre mesures-loi de 66 et celles de 68) qu'en fonction des destinataires (entre adultes et enfants). Dans le cas de la TPSE, la majorité des délégués se réfère à une double finalité éducative et de protection de l'enfance. Là, l'intervention est « relativement bien cernée », contrairement « au caractère plus mouvant », « et finalement plus global », de la prise en charge des adultes. Néanmoins, quelles que soient les mesures, les délégués se réfèrent de plus en plus aux principes d'autonomie des personnes (plus que la protection), d'individualisation des prises en charge et de recherche de la qualité. Des objectifs ambitieux mais que les délégués doivent moduler en fonction des contraintes des services et des capacités des personnes. D'autant que ces dernières sont parfois « à la limite de l'ingérable ». Et les professionnels d'évoquer certains publics psychiatriques posant des problèmes relationnels, de violence (4), et face auxquels ils se retrouvent trop souvent isolés, faute de suivi des services concernés. Mais, au-delà de ces « cas limites », il faut bien constater l'alourdissement des situations liées à la montée de la précarité et de l'exclusion. « On a beaucoup de gens sur la touche, avec peu de ressources, et peu de solutions à leur proposer. » « On nous confie même des gens qui n'ont pas de ressources du tout pour faire de la gestion ! » Ce qui renvoie au débat plus général sur la conception de la tutelle comme « ultime intervention sociale ». Et pose, plus concrètement, la question des limites de l'intervention. D'autant que bon nombre de délégués ont le sentiment de pallier les manques et les problèmes de surcharge des divers services sociaux de secteur.

Quant aux activités professionnelles des délégués, elles sont éclatées dans des domaines très différents. A tel point qu'il est difficile de cerner un noyau dur d'intervention, estiment les rapporteurs. Lesquels distinguent trois groupes d'activités : celles liées à l'administration des affaires des personnes sous tutelle  au suivi des publics  au fonctionnement intra et interinstitutions. Sachant que la gestion de l'argent apparaît, pour les délégués, comme « un élément distinctif » de leur profession. « C'est un levier puissant. Ça nous donne un pouvoir très important pour la mise en mouvement des choses et l'organisation de la vie des personnes. » De même, l'approche centrée sur le concret (du budget, de l'organisation de la vie quotidienne...) est revendiquée comme une spécificité de la fonction et un atout. « Les choses pratiques constituent une très bonne entrée d'autant [que les publics] ont déjà entendu des tas de discours de travail social auparavant. » Cependant, l'accompagnement des personnes, toujours envisagé dans une perspective de progression des situations, englobe dans la mesure du possible une part d'action « éducative ». Et les délégués d'insister sur le travail relationnel à travers l'apprentissage ou le réapprentissage des divers aspects de la gestion de la vie domestique, la mobilisation et la « responsabilisation » (intégration des principes de réalité...), la gestion de projets divers... Enfin, s'il est bien une préoccupation « omniprésente », relève le rapport, c'est la gestion du temps, « qui croise le temps des mesures et celui des délégués ». Ainsi, face à l'augmentation des dossiers, la plupart des intervenants reconnaissent définir des priorités et distinguer entre des interventions minimales et approfondies. Beaucoup (notamment, les éducateurs de formation) ne cachent pas, d'ailleurs, qu'ils privilégient le plus possible le travail éducatif et l'accompagnement des personnes, quitte à réduire le temps consacré à la gestion. Ou même à moins se consacrer à la recherche des meilleures solutions de placement...

Un travailleur social spécialisé

Dans ces conditions, quel sera demain le profil professionnel du délégué à la tutelle ? Va-t-on vers un « supertravailleur social », multicompétent, amené à intervenir globalement auprès des personnes les plus en difficulté en faisant parfois appel à des spécialistes extérieurs ? Non, affirment les chercheurs, estimant que le délégué serait de plus en plus un travailleur social spécialisé, recentré sur sa fonction tutélaire. Dans certaines structures, on assisterait également à « une dispersion de la fonction tutélaire », non plus exercée par un agent unique mais collectivement par une équipe. Quoi qu'il en soit, les auteurs confirment l'existence de deux profils d'intervention : d'un côté, les délégués exerçant les mesures enfance, et, de l'autre, ceux exerçant les mesures adultes. Pourtant, même si certains savoirs sont différents, pour toutes les mesures, les compétences mobilisées sont celles de travailleurs sociaux capables d'accompagner des publics lourds. D'où la nécessité affirmée d' « une qualification forte en travail social », renforcée en outre par des connaissances spécifiques et doublée d'une réflexion sur l'organisation et le financement du secteur. Un plaidoyer d'autant plus vif que les chercheurs ne cachent pas certaines craintes sur des risques de déqualification de la fonction. En effet, l'augmentation du taux de charge des délégués réduit souvent l'accompagnement de la personne à la portion congrue. Or, même si actuellement les services tendent à recruter des travailleurs sociaux, rien n'indique qu'ils ne soient pas tentés à terme de confier « une intervention appauvrie » à des agents moins qualifiés.

Isabelle Sarazin

Notes

(1)   « Les tutelles, s'inscrire dans l'avenir... », 19 et 20 septembre 1997 - UNAF : 28, place Saint-Georges - 75009 Paris - Tél. 01 49 95 36 00.

(2)  Fonctions tutélaires : évolution des pratiques et transformation de la professionnalité des délégués - I. Benjamin, F. Menard, C. Robert - FORS recherche sociale : 28, rue Godefroy-Cavaignac - 75011 Paris - Tél. 01 40 09 15 12.

(3)  Réalisée par le Centre de recherches en économie de la santé (CRES/Inserm U357) à partir de questionnaires adressés aux associations, CCAS, DDASS, CAF ou MSA.

(4)  Voir ASH n° 2028 du 20-06-97.

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