« La fin des pratiques de bizutage est, à l'évidence, l'affaire de tous. Seule la fermeté permettra de mieux assurer la dignité des élèves ou des étudiants et d'éviter que les plus fragiles d'entre eux ne renoncent à des études ou ne recourent aux pires extrémités telles que le suicide, pour échapper à des pratiques d'un autre âge. » C'est en ces termes que Claude Allègre, ministre de l'Education nationale, et Ségolène Royal, ministre déléguée chargée de l'enseignement scolaire, se sont adressés aux responsables d'académie et chefs d'établissement afin de les « mettre en demeure d'exercer leur responsabilité et leur pouvoir disciplinaire ».
Dans l'attente de l'examen, par le Parlement, du projet de loi relatif à la prévention et à la répression des infractions sexuelles commises sur les mineurs présenté par la garde des Sceaux, qui comporte des dispositions spécifiques sur le bizutage (1), le ministère de l'Education nationale rappelle le dispositif législatif en vigueur afin de mettre fin aux « pratiques de violences dégradantes » dès la rentrée 1997.
En l'état actuel du droit, les pratiques de bizutage sont qualifiées de violences, voire d'agressions sexuelles. D'autres qualifications encore sont retenues selon la nature des faits subis par les victimes. Les violences exercées sur des élèves ou des étudiants sont sévèrement réprimées par le code pénal. Elles sont en effet passibles d'une échelle de peines allant jusqu'à 10 ans d'emprisonnement (voire à 15 ans de réclusion criminelle) et 1 000 000 F d'amende. Des circonstances aggravantes jouent notamment lorsque ces violences sont exercées sur un mineur de 15 ans ou sur une personne particulièrement vulnérable. Le consentement de la victime ou le caractère « ludique » de l'acte, invoqué par les adeptes du bizutage, ne peuvent être à l'évidence pris en compte, souligne l'instruction, dès lors que l'élève ou l'étudiant est contraint par le groupe, par les anciens, par la tradition, à « se plier » à une pratique. Quant à l'instigateur des violences, même s'il n'a pas pris directement part à leur réalisation, il encourt exactement la même peine que le ou les auteurs des faits, en tant que complice. Ce qui signifie concrètement que « les membres d'associations d'élèves qui organisent longtemps à l'avance les pratiques de bizutage [à caractère violent] qui auront lieu à la rentrée suivante doivent comprendre qu'ils s'exposent à des poursuites en justice ». S'agissant des actes à connotation sexuelle, ils peuvent relever des textes qui définissent et répriment les deux infractions essentielles que sont le viol et les agressions sexuelles, dont les sanctions sont également susceptibles d'être aggravées si la victime a moins de 15 ans ou est particulièrement vulnérable. Par ailleurs, le bizutage peut constituer une menace de commettre un crime ou un délit, sachant que la menace est punissable, même si l'auteur n'a pas l'intention de la mettre à exécution. Enfin, lorsque les bizutages se déroulent sur la voie publique, toute une série d'infractions peuvent être constatées pour atteintes aux biens, à l'ordre public et aux personnes telles que l'administration de substances nuisibles.
L'instruction rappelle ensuite les obligations légales « de parler et d'agir », face à ces situations, qui s'imposent à tous et notamment aux chefs d'établissement et aux personnels. Elle incite à ne pas être « passif », à « ne pas se réfugier dans le silence au nom d'une prétendue tradition ou, pire, d'une quelconque indifférence », et à ne pas « se limiter à un travail de prévention ou de concertation auprès des élèves et étudiants ». L'instruction vise plus précisément l'obligation légale du fonctionnaire qui, dans l'exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance de faits de bizutage d'en aviser « sans délai » le procureur de la République « sans avoir à porter une appréciation sur la qualification juridique des agissements commis ». Tout manquement à cette obligation exposant à des poursuites judiciaires ou disciplinaires.
Enfin, les ministres constatent que l'information et le dialogue constant avec les associations d'étudiants et d'anciens étudiants sont des « initiatives nécessaires » mais insuffisantes. Ils font donc remarquer qu'il revient aux chefs d'établissement d'engager « sans hésitation et sans délai » des poursuites disciplinaires avant même l'engagement de poursuites pénales.
(1) Voir ASH n° 2035 du 5-09-97.