Les exclus et les chômeurs ont rarement la part belle à la télévision. Aussi ne peut-on que se réjouir de la diffusion (malheureusement le dimanche en deuxième partie de soirée) des quatre volets (90 minutes chacun) de ces « Raisins de la colère », préparés et tournés durant un an et demi par Daniel Karlin et Rémi Lainé. Les deux journalistes, qui avaient déjà travaillé ensemble, ont voulu dresser un état des lieux de la précarité, non pas à coups de chiffres et d'analyses, mais en donnant directement la parole aux personnes en difficulté. Résultat : un film sensible, intelligent, souvent émouvant, et, surtout, respectueux de la dignité de chacun. La méthode Karlin-Lainé ? « Une confiance mutuelle et réciproque », acquise au terme d'un travail de préparation long et minutieux. Avec deux règles impératives : ne jamais cadrer un visage en le coupant au front et au menton, et arrêter de filmer quand une personne pleure. En outre, chaque protagoniste est invité à visionner le film une fois monté, et peut refuser d'y figurer.
Le premier épisode, « En avoir ou pas », a pour cadre deux ANPE. Celle de Marseille-Bougainville est l'une des plus importantes de France avec 13 000 demandeurs d'emploi. Elle dessert les quartiers nord de la cité phocéenne. Ici, 70 %des emplois proposés sont des CES ou des CIE. Ancien animateur, Mohamed a presque de la « chance ». Il a trouvé un emploi de manœuvre intérimaire sur le chantier du plus grand hypermarché d'Europe, juste à côté de sa cité. Une situation néanmoins très précaire car, d'une semaine sur l'autre, il n'est jamais sûr que son contrat sera prolongé. A 30 ans, son rêve est de devenir chauffeur. « Et puis, ajoute-t-il après un temps de réflexion , je suis comme tout le monde, j'ai envie d'être un bourgeois. » Autre ANPE : celle de Guingamp, en Bretagne, fréquentée par une population essentiellement rurale. On y croise Nathalie, qui s'est retrouvée au chômage après avoir quitté un poste de secrétaire de direction, en région parisienne, pour revenir vivre en Bretagne avec sa famille. Faute de mieux, elle a accepté un CES... au sein de l'ANPE. Elle anime le club des jeunes diplômés en recherche d'emploi. « J'ai cru que je trouverais un poste sans trop de mal. En réalité, personne ne m'attendait. Quand on cherche du travail, on est perdu dans la masse », raconte-t-elle, désabusée. Dans une autre séquence, on suit Marie-Madeleine. Agent de service dans une école, elle a été licenciée et survit en « débecquant » des canards dans les fermes de la région. Un travail rebutant qu'elle effectue dans des conditions éprouvantes. Pourtant, affirme-t-elle, « je préfère ça à ne pas travailler avec un RMI ». Une séquence que Daniel Karlin a tenu à conserver afin de répondre à ceux qui soupçonnent les chômeurs et les allocataires du RMI de « profiter » de l'aide sociale. « Ce n'est pas vrai, proteste-t-il, pendant la préparation du tournage, nous avons rencontré 90 % de gens qui devenaient fous à force de ne pas travailler. » Le réalisateur a également tenu à rendre justice à l'ANPE : « J'ai de l'estime pour cette institution. La grande majorité des agents que j'ai rencontrés sont concernés par leur travail et le font correctement. » De même, constate-t-il, « s'ils n'apparaissent pas dans la série, les travailleurs sociaux restent très importants pour les exclus. C'est vrai qu'il peut y avoir parfois de l'agressivité à leur égard. Mais c'est mieux que rien. C'est ce qui reste aux gens de force de vie et d'énergie. » Les deux épisodes suivants (que nous n'avons pas visionnés) s'intitulent : « Sept personnes en quête de lendemain ». Ils retracent le parcours, entre mai 1996 et juillet 1997, de sept personnes sans travail fixe, en Ardèche, Ile-de-France et Franche-Comté. Quant au dernier film de la série, « Les années de la grande démerde », tourné à Cahors, il montre comment on survit, aujourd'hui, avec 3 000 F par mois.
(1) « En avoir ou pas » : 21 septembre « Sept personnes en quête de lendemain » (2 parties) : les 28 septembre et 5 octobre « Les années de la grande démerde » : 12 octobre.