Dans un rapport sur les centres de rééducation professionnelle, remis en décembre 1996 et non rendu public par le gouvernement de l'époque, l'IGAS se montre très critique sur le mode de pilotage des pouvoirs publics (1). Pas question néanmoins d'abandonner cet « outil essentiel, pour ne pas dire indispensable, de la formation qualifiante des travailleurs handicapés, même s'il présente des imperfections et des lourdeurs. Il peut et doit évoluer. » Une modernisation d'autant plus nécessaire que les CRP sont aujourd'hui confrontés, dans un paysage législatif et institutionnel qui s'est profondément transformé, au défi de « faire accéder à un emploi de plus en plus rare et aux exigences plus fortes des publics de plus en plus vulnérables et de plus en plus nombreux ».
A l'issue de son enquête menée auprès de CRP privés (région Aquitaine, Pays de la Loire et Ile-de-France), l'IGAS tente d'abord de cerner la clientèle. Hormis quelques « cas limites », il s'agit de publics ayant connu une série d'événements négatifs : une succession d'accidents de santé, des échecs de formation, des temps d'inactivité importants survenus dans un milieu déjà défavorisé. Et leur niveau de formation est modeste (35,2 % des stagiaires entrés en 1995 dans les CRP enquêtés ont un niveau de formation inférieur au niveau V, et 57,2 % ont le niveau V). Néanmoins, relève l'IGAS, le dispositif est insuffisamment orienté vers les handicapés les plus dépourvus de qualification initiale et encore trop peu accessible aux femmes (20,8 % de femmes en 1992). Et surtout, avec des personnels médicaux et paramédicaux très modestes, il assure de moins en moins sa fonction médicale et médico-sociale.
Quant à la capacité d'accueil agréée des CRP, évaluée à 10 600 places en 1995, elle est quasi constante. Le potentiel est même « quantitativement figé », déplore l'IGAS, en raison des contraintes de financement que fait peser l'assurance maladie. Toute extension ou toute création de formation ne peut intervenir qu'à enveloppe constante. Pourtant, à l'exception de quelques installations vieillottes, il s'agit d'un « dispositif de bonne facture », avec des plateaux techniques et pédagogiques bien aménagés et un réel souci des centres d'améliorer l'outil technique de formation. Néanmoins, constatent aussitôt les rapporteurs, sa capacité d'évolution est entravée par de nombreux freins. Ils tiennent à l'incapacité des tutelles à assigner des objectifs précis à la politique de formation, mais également aux CRP eux-mêmes. Ces derniers ont du mal à programmer l'évolution de leurs structures, adoptent trop souvent un « comportement routinier et peu novateur » et sont peu enclins à redéployer leurs activités.
En revanche, les centres de rééducation obtiennent des résultats réels. Le taux de réussite aux examens de validation des compétences professionnelles est « significativement élevé » : 84,7 % en 1991 et 86,2 % en 1995. Le taux moyen de placement atteint 60 %. Et 81 % des stagiaires sont placés dans un métier relevant de la spécialité apprise. Même s'ils manifestent quelques réticences légitimes à être jugés uniquement sur ces seules statistiques, les centres sont réellement préoccupés par l'insertion professionnelle, relève le rapport. Ce qui se traduit par un souci d'autonomiser et de responsabiliser les stagiaires dans la recherche de terrains de stages ou d'emplois et par la présence plutôt répandue de chargés d'insertion. Des bons résultats malheureusement tempérés par une maîtrise insuffisante des actions de préparation à la formation ou de préformation, des durées de formation agréée souvent excessives, une flexibilité insuffisante, des périodes d'observation et d'application en entreprise trop réduites.
Les centres de rééducation professionnelle sont des institutions médico-sociales de formation professionnelle des travailleurs handicapés à qui ils dispensent une formation qualifiante après, le cas échéant, préformation et/ou préorientation. L'orientation vers ce dispositif relève des Cotorep. Au nombre de 84 en 1994 (75 de statut privé et 9 de statut public) et accueillant chaque année 7 400 personnes - dont plus du tiers sont des accidentés -, ils sont financés à titre principal par les organismes de sécurité sociale. La rémunération des stagiaires est prise en charge par l'Etat ou les conseils régionaux pour 22 centres « régionalisés ».
L'IGAS est particulièrement critique vis-à-vis de la complexité de l'univers dans lequel évoluent les CRP. Celui-ci est éclaté entre de multiples interlocuteurs et intervenants développant leurs procédures sans concertation ni coordination. Une dispersion que l'on retrouve déjà au niveau national, les centres dépendant de plusieurs directions centrales (DAS, direction de la sécurité sociale, délégation à l'emploi et à la formation professionnelle). « D'une manière générale, la place des CRP - dans un paysage qui combine approche médico-sociale et problématique de l'emploi et de la formation - se situe invariablement à la périphérie des préoccupations de chaque intervenant », relève l'IGAS. C'est ainsi qu'au-delà du partenariat évident avec les Cotorep, les DRASS et DDASS « s 'intéressent de loin, voire se désintéressent globalement sur le fond de l'activité des publics et des missions des CRP ». Elles perçoivent difficilement leur « identité » médico-sociale. De même, les CPAM manifestent une relative discrétion envers le dispositif. Attitude d'ailleurs qui contraste fortement avec « la forte implication des CRAM gestionnaires de CRP dans le domaine de l'insertion professionnelle des personnes handicapées ». Les liens sont également limités avec les autres établissements pour handicapés, les centres de rééducation préférant s'organiser entre eux en réseaux de réflexion. Par ailleurs, ceux-ci restent également mal connus des DRTEFP et des entreprises, et leurs relations avec les conseils régionaux, l'Agefiph, l'AFPA, sont plutôt « contrastées ».
Il est évident qu'au regard du volume financier qu'ils représentent, les CRP sont considérés comme « marginaux ». En effet, les dépenses de rééducation professionnelle ne représentent que 0,05 % du total des prestations de protection sociale en 1995 (2 200 milliards de francs). Il semble ainsi que « les faibles volumes financiers en cause, la diversité des réglementations comptables ou tarifaires applicables jusqu'à présent, l'absence de remontées d'informations véritablement fiables aient conduit les services centraux en charge du dossier à observer une prudente réserve ». Le fonctionnement budgétaire et financier des CRP n'est d'ailleurs pas non plus une préoccupation majeure aux plans régional et départemental, ajoute l'IGAS. Laquelle dénonce notamment le système de prix de journée , aux « effets inflationnistes » et soumis à un contrôle assez laxiste . La dispersion des prix est d'ailleurs « impressionnante » :de 152,33 F à 1 128,68 F, par exemple, à l'externat.
En conclusion, l'IGAS porte un jugement positif sur les CRP, « outil globalement de qualité qui a fait ses preuves et qu'il serait dommage de laisser perdre ». Mais, structures de formation, doivent-ils continuer à être financés quasi exclusivement sur des crédits de la sécurité sociale ? D'autant que la majorité des stagiaires sont plus victimes de handicaps à caractères sociaux que strictement médicaux. Pour les rapporteurs, la réponse est claire : les CRP doivent être financés sur crédits d'Etat au titre de la formation professionnelle. Ce qui a l'avantage de réunir sous une même autorité la définition des politiques, la mise en œuvre, le contrôle et le financement, et de reconstituer un bloc de compétences efficace. L'administration du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle prenant ainsi clairement le pilotage. L'IGAS propose ainsi qu'une subvention soit versée aux établissements sous forme de budget global pour le fonctionnement et une autre pour la rémunération des stagiaires, imputées au budget de l'Etat. Mais encore faut-il que cette réforme s'accompagne d'un cadrage général par l'élaboration de directives nationales, relayées aux niveaux régional ou interrégional par des conventions de progrès ou d'objectifs. Parmi les autres pistes évoquées, le rapport insiste sur la nécessaire diversification des actions de formation, des publics et des produits. Au vu de leur savoir-faire, les CRP ne pourraient-ils pas constituer « des lieux ressources, non seulement à leur profit mais aussi à celui des autres acteurs de la formation et de l'insertion des handicapés et des publics en difficulté » ? Enfin, l'IGAS invite, entre autres, à clarifier les concepts de « préparatoires », « préformations », à mieux adapter la durée des formations, à accroître la période d'alternance en entreprise... Autant de suggestions qui peuvent être mises en œuvre dans l'immédiat, jugent les inspecteurs. Ces derniers ne nourrissant que peu d'illusions quant à une réforme sur le financement qu'ils qualifient eux-mêmes de « dérangeante ». D'autant que le groupe de travail chargé, au printemps, de réfléchir, à partir de ce rapport, « aux moyens d'améliorer l'existant », est, selon la DAS, toujours « en voie de constitution ».
Isabelle Sarazin
« L'avenir de la formation professionnelle des personnes handicapées est désormais en question. Après des décennies de fonctionnement, l' aggiornamento du dispositif spécialisé (les centres de rééducation professionnelle) paraît maintenant inévitable », affirme, en écho au rapport IGAS, Patrick Bègue, directeur de centre de rééducation professionnelle et délégué régional Ile-de-France de la Fagerh (2). Et ce pour plusieurs raisons : « Il faut appréhender les conséquences des mutations socio-économiques que vivent les travailleurs handicapés et les centres de formation qui les accueillent. Et qui posent la question du lien formation-emploi. Ensuite, la situation est extrêmement complexe : les évolutions des emplois, les transformations des entreprises, les nouvelles technologies omniprésentes, la sélectivité du marché de l'emploi et la concurrence entre différentes catégories de population en recherche d'emploi constituent un ensemble redoutable pour celles et ceux qu'un accident ou une maladie a remis en question personnellement et professionnellement. Enfin, plus qu'hier, les demandes exprimées de nos jours par les personnes handicapées se sont diversifiées, nécessitant des réponses personnalisées, des parcours de réinsertion construits, tenant compte de leur histoire, de leur projet, de leur handicap auquel s'ajoute souvent la précarité sociale. « Aussi les centres de rééducation professionnelle sont-ils confrontés à résoudre la quadrature du cercle. Malgré leurs efforts d'adaptation, ils se heurtent à des limites qui leur sont extérieures : carcans administratifs qui font obstacle aux innovations pédagogiques (alternance, parcours différenciés, etc.), manque de moyens récurrent des Cotorep, absence de pilotage des pouvoirs publics, conflits Etat-régions, financements remis en question... Alors, comment sortir de ce faisceau de contraintes ? « Tout d'abord nous devons insister sur une question éthique, à savoir que le débat entre partenaires ne peut avoir lieu sans que soit posé au préalable l'intérêt des personnes handicapées. Le droit à la réparation de ces dernières reste encore une réalité à renforcer. Si les objectifs du dispositif sont clairs en apparence, s'insérer durablement dans le monde du travail nécessite pour les individus d'être biens formés, qualifiés, et de pouvoir s'adapter, donc des moyens pérennes pour les organismes. A ce jour, seuls les centres de rééducation professionnelle ont pu témoigner d'expériences, de résultats probants et reconnus (voir rapports IGAS 1988 et 1997). D'autres institutions, organismes, s'y sont essayés, mais se sont heurtés soit à des résistances internes fortes, soit à des impossibilités techniques et professionnelles. Or, en termes de population, les besoins sont énormes. Chaque année, plus de 100 000 personnes sont reconnues travailleurs handicapés par les Cotorep et parmi elles les besoins de qualification évidents (80 % des personnes handicapées en France sont de faible niveau de qualification), le dispositif spécialisé ne pouvant offrir que 10 000 places. Ensuite, les pouvoirs publics ne se sont toujours pas prononcés sur les orientations à prendre. Nous sommes dans un statu quo silencieux qui devient au fil des mois assourdissant. Et la réponse de l'Etat conditionne tout le reste : le financement du dispositif, l'avenir des établissements et de leurs personnels, la qualité de la formation, l'adaptation du cadre réglementaire et législatif, le rôle de l'Agefiph, les plans départementaux, etc. « Depuis plusieurs années, la Fagerh interpelle ses partenaires et les pouvoirs publics en avançant des propositions constituant autant de mesures d'adaptation et d'avancées du dispositif. Loin de revendiquer un quelconque monopole, les centres de rééducation professionnelle se veulent complémentaires et souhaitent travailler en réseau avec l'ensemble des acteurs. Il est grand temps de se concerter, puis de décider. En affirmant notamment le droit à la formation en tant que moyen d'accès à la citoyenneté pleine et entière. La place des personnes handicapées dans notre société en est l'enjeu. »
(1) Les centres de rééducation professionnelle - Dr Varet, Jean-Paul Bastianelli, Maurice Michel - IGAS.
(2) Fédération des associations gestionnaires et des établissements de réadaptation pour handicapés : 54, avenue F.-V.-Raspail - 94117 Arcueil cedex - Tél. 01 45 47 18 30.