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L'AIVS 75 entre l'immobilier et le social

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Il existe plus de 20 agences immobilières à vocation sociale en France. Leur mission : inciter les propriétaires de logements vacants à les louer à des personnes démunies, par le biais d'un mandat de gestion. L'exemple de l'AIVS 75, née il y a un an.

Lorsqu'elles créent, en 1996, l'agence immobilière à vocation sociale de Paris (AIVS 75)   (1), les associations Bail pour tous, Solidaritoit, Solidarités nouvelles pour le logement et Logement pour tous (2) sont face à un paradoxe : d'un côté une forte demande en logements émanant de populations en difficulté, évaluées à plusieurs dizaines de milliers de personnes, même si leur recensement reste difficile, et de l'autre côté 120 000 logements vacants dans le parc privé parisien. Comment faire coïncider l'offre et la demande, au moment où le parc social public se réduit comme peau de chagrin ? « Nos associations œuvrent toutes pour l'insertion par le logement, souligne Patrick Briens, responsable de Bail pour tous. Mais les solutions adoptées relèvent de dispositifs sociaux qui maintiennent les personnes dans un statut locatif particulier. Elles ne font que passer d'un logement transitoire à un autre. Avec l'AIVS, notre ambition est de les remettre dans le droit commun. » La Fédération nationale des associations d'accueil et de réadaptation sociale  (FNARS) Ile-de-France rejoint très vite les quatre associations fondatrices par le biais de ses centres d'hébergement et de réadaptation sociale  (CHRS), car leur préoccupation est la même : que deviennent les familles ou les mères seules avec leurs enfants à la sortie des foyers ? Ne peut-on parier sur une insertion définitive, même si celle-ci passe par un accompagnement social attentif ? « Pour nous, avoir peu de ressources ne signifie pas être incapable d'assumer un logement, ajoute Patrick Briens. En revanche, ne pas disposer d'un appartement à soi est stigmatisant. »

Ainsi, sans abandonner les autres dispositifs sociaux favorisant l'accès au logement, issus notamment de la loi Besson de 1990, ces associations se dotent d'un outil supplémentaire destiné à remobiliser le parc locatif privé : l'agence immobilière à vocation sociale.

Son nom l'indique bien : l'AIVS se situe au carrefour entre l'économique et le social. Elle incite les propriétaires à louer leur appartement resté vacant depuis plusieurs mois, tandis que les associations utilisatrices - au nombre de dix aujourd'hui - trouvent les locataires et se chargent de leur accompagnement social s'il y a lieu.

« Nous avons lancé une campagne de publicité afin de nous faire connaître des propriétaires parisiens, explique Evelyne Cognet, directrice de l'AIVS 75. En fait, ceux-ci ne louent pas parce qu'ils n'ont pas toujours les moyens de se lancer dans des travaux de réhabilitation. De plus, ils craignent les impayés, ou ne veulent pas de certains locataires, comme les immigrés par exemple. Et ils ne vendent pas car la période est peu propice. » Pour vaincre les réticences des propriétaires, l'agence ne manque pas d'arguments : elle visite le logement, fait établir un devis par des entreprises avec qui elle a coutume de travailler, trouve des financements pour les travaux qu'elle se charge de superviser. Les propriétaires peuvent en effet bénéficier de l'aide de l'Agence nationale pour l'amélioration de l'habitat  (l'ANAH) pour tout ce qui concerne la mise aux normes. De plus, le conseil régional d'Ile-de-France accorde une prime de 20 000 F pour les aménagements plus modestes (remise au propre) si le logement est vacant depuis deux trimestres. La contrepartie de ces aides financières : louer à un prix inférieur à celui du marché (90 F le m2)  :65 F maximum le m2 exigé pour l'ANAH, 35 F le m2 pour le conseil régional, soit le montant d'un loyer HLM. « Lorsqu'ils entendent ces conditions, certains propriétaires reculent, admet Evelyne Cognet. A nous d'argumenter en leur expliquant que, de toute façon, ils étaient en train de perdre de l'argent. Eux nous rétorquent qu'ils veulent bien faire des efforts, mais qu'ils ne sont pas là pour se substituer aux pouvoirs publics en matière de politique du logement. » C'est d'ailleurs là une des faiblesses de l'AIVS, qu'Evelyne Cognet et les associations fondatrices sont les premières à reconnaître. « La solidarité joue réellement de la part des propriétaires. Mais il faudrait des mesures beaucoup plus incitatives », selon la directrice de l'AIVS.

DES AGENCES SANS BUT LUCRATIF

Les premières agences immobilières à vocation sociale (AIVS) sont nées dans les années 80. Aujourd'hui, 20 d'entre elles sont adhérentes à la Fédération des associations pour la promotion et l'insertion par le logement  (FAPIL)   (3) dont la charte et le contrat d'utilisation garantissent le respect des règles de fonctionnement. Ceci afin d'éviter que des AIVS soient créées dans un but purement commercial. Ainsi l'AIVS doit être inscrite dans le dispositif local d'action pour le logement des personnes défavorisées (agrément loi Besson...). Si la forme juridique de l'AIVS importe peu (SARL, association loi 1901), la composition du tour de table est importante : la majorité des acteurs doit se prévaloir d'une vocation sociale. L'agence doit réinvestir systématiquement ses éventuels excédents dans des opérations relevant d'un objectif social. Elle doit, en outre, avoir affirmé son objet non lucratif dans son projet. Le principe des commissions est bien entendu exclu du fonctionnement de ces agences immobilières. Toutes les AIVS ne sont pas construites sur le même mode. Certaines sont directement issues d'un réseau associatif, comme l'AIVS 75, d'autres ont été créées par des centres d'hébergement qui souhaitent que les populations qu'elles prennent en charge évoluent vers un statut de droit commun. Enfin, troisième cas, des AIVS sont portées par les pouvoirs publics et intégrées aux plans départementaux d'action pour le logement des personnes en difficulté.

La garantie des impayés

Cependant l'agence dispose d'un autre atout : le mandat de gestion. Elle trouve les locataires grâce aux associations, perçoit les loyers qu'elle reverse aux propriétaires et, surtout, couvre les impayés grâce à un fonds de garantie alimenté par les associations fondatrices. C'est encore elle qui reçoit directement les aides -comme les allocations logements - attribuées aux locataires, ceux-ci ne s'acquittant que de la partie résiduelle du loyer. Evelyne Cognet définit l'AIVS comme « le principe de réalité du droit commun : nous faisons part aux locataires de leurs droits et de leurs devoirs. Sans oublier notre vocation sociale : nous traitons chaque locataire comme un cas particulier. L'un d'entre eux est illettré, un autre ne peut nous payer qu'en liquide, nous le comprenons et sommes à leur écoute, ce que ne fait pas une agence immobilière classique. »

Pour autant, l'accompagnement social proprement dit relève des associations. L'association Accueil et reclassement féminin-œuvre des gares  (ARFOG), qui gère des CHRS, a pu reloger deux personnes par le biais de l'AIVS. « Les travailleurs sociaux qui les suivaient lorsqu'elles étaient hébergées continuent de le faire », précise Anna Lerue, responsable d'ARFOG (4), mais aussi présidente du Groupement des associations utilisatrices de l'AIVS (GAU). « Ils doivent faire en sorte que l'autonomie acquise au sein du CHRS ne soit pas mise en danger par l'accès au logement. Car les femmes seules avec enfants dont nous nous occupons sont souvent fragiles. Il faut les rassurer, les accompagner dans le quartier, favoriser leur intégration, les aider à tenir leur budget, les informer sur leurs droits et leurs devoirs. L'accompagnement social a trait au logement uniquement car, lorsqu'elles ont accès à un appartement, leur situation matérielle est à peu près stable. »

Le réflexe AIVS

En un an d'existence, l'AIVS a proposé 30 logements - sans problème d'impayés jusqu'à présent. Un chiffre qui peut paraître dérisoire au regard des besoins, mais qui est perçu comme un bon début par l'agence immobilière. D'une part, parce que ses objectifs sont plus qualitatifs que quantitatifs - l'AIVS n'a pas été créée pour faire du chiffre -, d'autre part, parce que se faire connaître auprès des propriétaires n'est pas chose aisée. Aujourd'hui, l'un des enjeux consiste à faire en sorte que les bailleurs et le réseau institutionnel aient le réflexe AIVS. « Nous sommes déjà connus de l'Union nationale des propriétaires indépendants et de la Fédération nationale de l'immobilier : ils ne nous snobent pas, ce qui montre bien que nous sommes au cœur de la crise immobilière. »

Le GAU et l'AIVS partagent une seule crainte. Aujourd'hui, en effet, le fonctionnement de l'agence repose sur des subventions du FAS, de la fondation Abbé Pierre, de l'Etat et de la ville de Paris, et de l'Anpeec, l'organisme collecteur du 1 %logement. La contribution de chacun s'élève à 30 000 F par an pendant trois ans, l'Etat et la ville de Paris intervenant respectivement à hauteur de 68 000 F et 95 000 F par an pendant trois ans. « L'agence repose nécessairement sur des fonds publics, explique Patrick Briens. Son autofinancement provient des honoraires reversés par les propriétaires en contrepartie du mandat de gestion. Or cette part est très faible, puisqu'elle est calculée à partir du montant des loyers, eux-mêmes très bas. Il est donc important que l'AIVS continue de bénéficier de subventions, ne serait-ce que parce qu'elle remplit une mission sociale. » Mais, dans trois ans, les financeurs suivront-ils toujours l'AIVS ? « Ils perçoivent le plus souvent leur contribution comme une aide au démarrage, ensuite ils nous laissent tomber, déplore Anna Lerue. Or il est essentiel qu'ils assurent la pérennité de l'agence car une partie des services qu'elle rend ne sont pas facturables. Nous ne voulons pas en arriver à choisir, parmi les personnes en quête d'un logement, celles qui sont les moins démunies. Ce qui irait à l'encontre de notre vocation. »

Anne Ulpat

QU'EST-CE QUE LE GAU ?

Les dix associations fondatrices de l'AIVS ont créé le Groupement des associations utilisatrices  (GAU). Chaque association s'engage à réaliser une mission d'accompagnement social en fonction des caractéristiques des personnes logées. Elle intervient, si nécessaire, dans les deux années qui suivent la signature du contrat de location, en cas de trouble de jouissance en particulier. En outre, durant les 18 premiers mois de location, le GAU couvre les impayés, à hauteur de trois mois de loyers : chaque association utilise alors ses fonds propres. Au-delà des trois mois, l'AIVS puise dans le fonds de garantie constitué par les associations : chacune a versé 30 000 F au moment de son adhésion au GAU, soit 300 000 F. Cependant, en cas d'impayés, l'AIVS se conduit comme n'importe quelle agence immobilière, avec lettre recommandée et rappels de ses devoirs au locataire, tout en alertant les associations afin que la situation n'empire pas. Enfin, le GAU demande l'agrément FSL pour couvrir l'accompagnement social et les risques financiers assurés par ses membres adhérents.

Notes

(1)  AIVS 75 : 59, rue de Ménilmontant - 75020 Paris - Tél. 01 47 97 05 77. Attention : l'AIVS ne traite qu'avec les propriétaires. Pour tous renseignements, les travailleurs sociaux ou les personnes en quête d'un logement doivent s'adresser aux associations.

(2)  Bail pour tous : 212, rue Saint-Maur - 75010 Paris - Tél. 01 40 40 92 48 - Solidaritoit : 20, rue Marc-Seguin - 75018 Paris - Tél. 01 42 09 77 52 - Solidarités nouvelles pour le logement : 25, rue Bouret - 75019 Paris - Tél. 01 42 41 92 61 - Logement pour tous : 180 bis, rue de Grenelle - 75007 Paris - Tél. 01 44 18 65 00.

(3)  FAPIL : Le Trident - Bâtiment A - 34, avenue du Général-de-Gaulle - 38100 Grenoble - Tél. 04 76 40 64 04.

(4)  ARFOG : 21, avenue du Général-Michel-Bizot - 75012 Paris - Tél. 01 44 75 76 10.

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