Depuis 1990, l'armée fait systématiquement passer des tests de lecture aux jeunes appelés sans qualification scolaire certifiée. C'est-à-dire à ceux qui, au mieux, ont quitté le système scolaire après la troisième (sans BEPC ni passage en seconde) ou n'avaient pas terminé leur second cycle court (CAP, BEP). En 1996, ils étaient 51 000 dans ce cas, soit 13 % des 394 000 jeunes convoqués aux « trois jours ». Pour eux, il s'agissait de passer une série de six tests brefs et de difficulté croissante (allant du déchiffrage d'un mot isolé à la compréhension globale d'un texte). Premier constat :l'analphabétisme concerne relativement peu de jeunes. En effet, seuls 4 % ont échoué à tous les tests, soit 2 300 personnes. Ce qui permet d'estimer à 6 pour 1 000 la fréquence de l'analphabétisme dans une classe d'âge d'appelés. En revanche, les difficultés de lecture sont extrêmement fréquentes, sachant que 80 % des jeunes échouent à au moins un test et 30 % à au moins trois tests. Ce qui, rapporté à une classe d'âge, signifie que plus d'un jeune homme sur dix ne maîtrise pas totalement la lecture.
Peut-on expliquer ces difficultés, au moins partiellement, par les problèmes de santé que rencontrent certains jeunes ? Il est vrai que, pour chaque test, le taux d'échec est un peu plus élevé que la moyenne chez les appelés souffrant d'un handicap physique (problème d'ouïe ou de vue notamment) et beaucoup plus chez ceux présentant des troubles psychiques. C'est d'ailleurs parmi ces derniers que l'on trouve la plus grande proportion d'analphabètes (ceux ayant échoué à tous les tests) : 18 % contre seulement 3 %des appelés physiquement handicapés et 1 % de ceux dépourvus de problème de santé majeur. Un écart qui tend cependant à s'amoindrir à mesure que la complexité des tests s'accroît. Ainsi, au final, les jeunes souffrant d'un problème physique ou psychique ne sont pas surreprésentés parmi ceux maîtrisant mal la lecture. Pour les chercheurs, il faut donc chercher ailleurs l'explication, en particulier dans les parcours scolaires « qui sont loin d'être uniformes ». En effet, parmi les jeunes sans qualification et sans problème de santé majeur, 0,2 % déclarent n'avoir jamais été scolarisés, 1,7 % ont interrompu leur scolarité en cours de primaire ou en sixième, 9,3 % ont arrêté leurs études générales en cours de primaire ou au collège pour suivre un cursus adapté (CPPN, SES...), 16,6 % ont suivi des études générales jusqu'à la cinquième, la quatrième ou la troisième, et 72 % ont quitté le collège pour suivre un CAP ou un BEP sans obtenir de diplôme. Or, si l'on compare les résultats de ces différentes catégories, il se confirme que plus la scolarité a été interrompue précocement, plus le taux d'analphabétisme est important. Sachant qu'il existe un écart très net entre ceux qui n'ont pas du tout été scolarisés et les autres (même s'ils ne l'ont été que peu de temps). Autrement dit :mieux vaut un peu d'école que pas du tout, les premières années étant « fondamentales », rappellent les chercheurs. Pourtant, poursuivent-ils, « si l'école prévient l'analphabétisme, elle semble en revanche plus difficilement empêcher la persistance de lacunes en lecture ». A cet égard, la différence entre les jeunes peu ou pas scolarisés et ceux ayant dépassé la cinquième n'est pas très significative. A noter cependant que, contrairement à une idée reçue, les jeunes ayant bénéficié d'un enseignement adapté obtiennent de meilleurs résultats que ceux ayant quitté le système scolaire après avoir suivi l'enseignement général au collège.
(1) INSEE Première n° 541 de septembre 1997 - 15 F.