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Un autre destin que la rupture et les placements ?

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La résidence Cap- Ferret du CAL-PACT de Roubaix accueille et héberge l'ensemble de la famille. Elle est une des rares en France à contribuer ainsi à éviter placements d'enfants et éclatements familiaux pour cause d'expulsion, de logement « inadapté », ou de dettes... En bref pour cause de grande pauvreté.

Lieu d'exacerbation des crises économiques et donc de la misère, le Nord a aussi été, par la force des choses, un laboratoire social. C'est ainsi qu'en 1962 l'association CAL-PACT de Roubaix a créé le premier centre d'hébergement pouvant accueillir des familles entières en situation d'errance ou d'expulsion. Longtemps unique en France, ce centre d'accueil, aujourd'hui résidence Cap-Ferret (1), loge ensemble parents et enfants, évitant ainsi la rupture familiale (foyers, placement des enfants). Une équipe de 11 personnes reçoit 24 familles pour des séjours provisoires (en moyenne 7 mois - au maximum 14 mois) avec une priorité donnée aux foyers avec jeunes enfants (sur 136 personnes accueillies en 1994, 109 avaient moins de 25 ans). Au-delà de l'accueil, l'équipe dirigée par Michel D'Haene soutient et accompagne les souffrances et les difficultés des familles, travail qu'elle inscrit au sein d'une philosophie institutionnelle forte et originale qui « emprunte sûrement, précise Michel D'Haene, à la culture ouvrière, civique, communautaire, du Nord ».

Un lieu d'inventivité sociale

Une action qui doit aussi compter avec un environnement singulier. Car, si dans bien des villes la tempête sociale a pu au moins épargner les quartiers de belles pierres, à Roubaix les maisons étaient de briques. Deux, trois rues derrière la mairie, elles sont désertées : rideaux de fer, parpaings obstruant les fenêtres, toits qui s'écroulent. L'histoire des crises successives des charbonnages, de la sidérurgie, puis du textile, est certes une histoire connue et ce n'est pas la première fois que Roubaix compte 35 % de chômeurs. Mais on comprend mieux que le centre n'ait dès lors pas d'autre choix que d'être un lieu d'inventivité sociale, d'alternative, « lieu le plus tolérant possible où les familles doivent pouvoir poser leurs valises après une période de crise », souligne le directeur.

Centre d'hébergement et de réadaptation sociale financé par la DDASS, résidence sociale LOGICIL, gérée par l'association créatrice, la résidence Cap-Ferret ne ressemble donc ni vraiment à un foyer, ni non plus à une résidence HLM ordinaire. Chaque famille dispose de son appartement, mais au rez-de-chaussée des femmes discutent à la sortie de la laverie, ou sur le canapé de l'espace accueil avec les bébés. A table, on boit un café en commentant la presse locale. De l'autre côté de la baie vitrée, le poulailler, le potager -création de Luc, un résident -, les cabanes pour les enfants et l'enclos de la chèvre se partagent le terrain. C'est à partir de ces espaces communs et conviviaux que peut s'entamer et s'élaborer l'accompagnement des familles. Le jardin d'enfants est un de ces lieux qui permettront de gérer la vie commune. « En arrivant au centre d'hébergement, explique une des deux éducatrices de jeunes enfants, les familles sont encore en souffrance par rapport à un passé proche, et sous le choc de l'arrivée. Dans un premier temps d'adaptation, même si les parents ne vont pas bien, les enfants ont le droit de se sentir bien. » Cette halte-garderie, ouverte quelques heures par jour, sera le domaine de l'enfant, puis, quand les parents s'y attarderont un moment, un lieu de recomposition des liens familiaux que la crise traversée a fragilisés. C'est un lieu central, parce que « le jeune enfant tient une place première ici », précise Michel D'Haene soucieux, avec son équipe, de lutter contre « la répétition, la reproduction des placements d'enfants, de l'exclusion sociale, de génération en génération ». Brigitte Loulaji, qui a débuté comme éducatrice de jeunes enfants au CHRS il y a 20 ans, est aujourd'hui responsable de l'accompagnement au quotidien des familles. Il s'agit d'abord, explique-t-elle, de lever la méfiance, vis-à-vis des travailleurs sociaux, « de personnes qui, souvent, n'ont connu que placements et foyers ». C'est une écoute différente que souhaite apporter l'équipe. A travers des tranches de vie partagées (un loto, un trajet en voiture, un échange sur les enfants), Brigitte essaie de faire émerger une parole, une confiance en soi, des projets. Elle accompagnera elle-même la personne dans ses démarches administratives ou sa recherche d'emploi si cette dernière y tient, ou elle l'aiguillera vers Nadine Delberghe, éducatrice spécialisée, dont c'est plus spécifiquement le rôle. « Mais mon domaine n'est pas exclusif », précise aussitôt cette dernière, insistant sur la nécessité de tisser des liens avec les autres membres de l'équipe. « Comme on travaille sur des relations proches, de confiance, le risque est grand d'entrer dans un nouvel espace d'enfermement avec la famille. »

Explorer d'autres sphères d'insertion

Une grande partie du travail consiste à aider à « s'inclure » à nouveau et donc à reconstruire un réseau à l'extérieur : services sociaux, école, mais aussi voisins, curé. « Tout un réseau de sociabilité locale avec lequel les familles se trouvaient généralement en rupture », comme le souligne Michel D'Haene. « Ici, l'insertion par le travail n'est pas forcément prioritaire parce qu'on accueille des générations dont les parents n'ont pas travaillé. On réagit plus globalement sur la problématique d'absence de lien social de quartier. »

C'est pourquoi l'insertion passe aussi par « Chez Léo », un hangar de 170 m2 au fond du jardin. C'est le domaine de Florence Marette, chargée de la culture et des relations avec les associations, mais « c'est surtout, tient-elle à préciser, le domaine de tous ». Avec la participation des résidents, y sont organisées des braderies, des expositions des photos réalisées dans le cadre du « labo-photo », et des musiciens et des troupes de théâtre s'y produisent. Les habitants du quartier et de la ville y sont à chaque fois conviés, quand ils ne sont pas directement associés. « Pour les résidents, c'est la passerelle entre l'intérieur et l'extérieur, il s'y noue des contacts importants pour la suite, pour la sortie », explique Florence. Lieu d'ouverture et d'exercice citoyen, « Chez Léo » accueille également les réunions de deux comités de quartiers et du Kollectif Kulture (groupement d'associations), toutes ouvertes aux résidents. Autre outil utilisé « sous le hangar »  : l'économie solidaire permet, pour certains, une reprise de contact avec l'activité. A l'aide d'un J9, don d'EDF, une équipe récupère et restaure des meubles. Ce qui compte au-delà du service rendu aux familles, « c'est le regard des autres qui change en observant ces papas qui travaillent : plus seulement alcooliques mais bricoleurs et capables », souligne Florence. C'est aussi ici la dynamique familiale qui chemine.

Un droit à la pause et à la chaleur

Parallèlement à cette dynamique d'insertion, l'équipe défend l'idée d'un droit à la pause pour des familles dont on exige souvent beaucoup et qui doivent, plus que celles « sans problèmes », faire sans cesse leurs preuves. Les parents ont souvent besoin d'être portés un moment pour, à leur tour, prendre en charge leurs enfants. Ce rôle, n'importe quel membre de l'équipe peut le jouer  il n'y a pas de référent par famille. Ce « portage collectif » implique un investissement important du personnel  Brigitte avoue alors « le rôle indispensable et aidant » que jouent les formations en systémie qu'elle suit à l'extérieur. Outre les démarches personnelles, l'équipe reçoit l'aide technique d'un centre de formation et bénéficie de vacations de supervision. Accompagner, porter : il s'agit toujours de redonner à la personne la force d'être un sujet citoyen, responsable de sa vie, de ses enfants. Un sujet auquel on fait lire les rapports au juge, à la CAF et auquel, au maximum, dans le cadre du règlement, on laisse sa liberté, dont celle de garder ses animaux de compagnie ou de recevoir ses amis. Cette liberté est d'ailleurs aussi celle que prend l'institution. « J'ai préféré me passer d'agrément pour le jardin d'enfants, et donc de financement, plutôt que d'avoir à y interdire la présence du chat », raconte ainsi Michel D'Haene.

Cette liberté, associée à un discours volontiers critique vis-à-vis des services sociaux traditionnels, fait grincer les dents d'une partie des travailleurs sociaux potentiellement partenaires. « Nos rapports sont tendus quand ils ne sont pas inexistants », annonce en toute franchise Michel D'Haene. Des rencontres ont lieu cependant avec quelques-uns concernés par certaines familles. Mais, regrette Brigitte, « beaucoup comprennent mal qu'on ne fasse pas de réunions de synthèse ». Lieu chaleureux, moteur de la vie de quartier, la résidence Cap-Ferret est un véritable lieu de vie. « Alors, certains travailleurs sociaux nous renvoient le fait que c'est trop bien ici. Ils nous reprochent de'cocooner" les gens », commente Brigitte. L'équipe défend bec et ongles cette conception « chaleureuse », « confortable pour les familles », de son travail, jouant plus, il est vrai, sur le registre émotionnel et l'implication affective. « Ce lieu peut devenir un'nid" pour certaines familles, reconnaît Michel D'Haene. Mais la meilleure image est celle du camp intermédiaire des alpinistes de très haute montagne. Il permet de faire des incursions vers un sommet puis d'y revenir pour reconstituer ses forces [...]. Il est un milieu sécurisant où chacun peut se ressourcer. C'est à partir de cet espace que l'on peut s'aventurer plus loin. Et, si la dépendance est vécue comme un moment, une transition dans un processus d'affiliation sociale, elle reste acceptable. »

Critiquée parfois, questionnée sur son aspect maternant, l'équipe s'interroge elle-même sur les difficultés du départ, d'autant que les familles évoquent un sentiment d'abandon et de solitude dans les mois qui suivent la sortie. Avec ses convictions mais sans certitudes, elle tente de comprendre : « Le centre est-il trop porteur ou est-ce les institutions de quartier qui sont démunies vis-à-vis de cette population parfois exclue ? »

Certes, le départ est préparé par l'aide au relogement (si possible dans le quartier, pour conserver « ses réseaux » ) et une écoute particulière. En outre, il est accompagné trois mois après la sortie. Il reste cependant toujours un moment difficile, qui réactive les ruptures et les déplacements contraints que ces familles ont souvent multipliés. En 1996, sur 38 accueillies au Cap-Ferret, 14 l'ont quitté. La moitié ont été relogées dans le parc social du CAL-PACT et 3 seulement dans le parc privé.

Ces quelques chiffres, auxquels on peut ajouter ces 11 hommes sur 23 en activité à la sortie du centre (contre 4 à l'entrée), ou ces 4 enfants placés rendus à la garde de leurs parents, ne suffisent pas à dresser un bilan pour ces familles et la résidence. Il faut évoquer aussi la satisfaction de l'équipe face à la baisse des hospitalisations d'enfants le week-end, au renforcement visible du réseau associatif local, ou à l'intensification des liens intergénérationnels, le passage au centre étant souvent l'occasion de renouer avec la famille éloignée. Autant de signes qui disent qu'il « se passe quelque chose » pendant le séjour.

Un bilan qui se teinte cependant d'inquiétudes face à quelques évolutions : « Les jeunes accueillis, note Michel D'Haene, vont de plus en plus mal dans leur tête. Je vois des états de grande souffrance et une santé mentale dégradée. Par ailleurs, on reçoit, et c'est nouveau, des familles issues de l'immigration, signe d'une solidarité familiale qui lâche. » En moyenne, la résidence reçoit deux ou trois demandes par jour, été comme hiver : mauvais signe d'une exclusion sociale grandissante... Mais signe que ce genre de structure semble adapté aux besoins générés par l'exclusion. Pourquoi, dès lors, la résidence Cap-Ferret, qui fonctionne avec un prix de journée de 80 F, fait-elle encore figure d'exception ?

Valérie Larmignat

Notes

(1)  Centre d'accueil familial CAL-PACT - Résidence Cap-Ferret : 45,  boulevard de Metz - 59100 Roubaix - Tél. 03 20 26 26 51.

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