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Ces liens distendus qu'on retisse...

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Porté par une rencontre entre les secteurs public et associatif, le Point accueil parents-enfants de Rennes travaille depuis deux ans au maintien des liens familiaux avec le juge aux affaires familiales et avec l'ASE. Récit d'une aventure partenariale originale.

Quand une petite équipe de travailleurs sociaux met en place le Point accueil parents-enfants  (PAPE) à Rennes il y a à peine deux ans, sa démarche est celle de pionniers. Permettre l'exercice du droit de visite, le rétablissement des relations entre parents et enfants après une rupture ou des conflits trop forts. L'objectif n'est pourtant pas nouveau : il est, au moins depuis le rapport Bianco-Lamy  (1980), au centre de la politique de l'aide sociale à l'enfance  (ASE).

Le point accueil de Rennes n'est pas non plus le premier lieu du genre en France. A partir de Bordeaux, se sont créés, depuis dix ans, une cinquantaine de points rencontre. Mais la naissance de ces lieux reste chaque fois, semble-t-il, le fruit d'initiatives locales, d'expériences presque individuelles et de partenariats originaux.

Fruit d'une collaboration public/associatif

La structure est donc née « à la fois du hasard et de la nécessité », précise Jean-Paul Rault, directeur adjoint du centre départemental de l'enfance  (CDE)   (1). Créée par le centre et l'Association pour l'action sociale éducative en Ille-et-Vilaine (APASE)   (2), c'est aussi la rencontre entre le public et l'associatif. Une collaboration encore rare dans ce type de démarche. « Au centre départemental de l'enfance, raconte Jean-Paul Rault, juges aux affaires familiales et ASE nous interpellaient ponctuellement pour remplir la mission de point rencontre en fait inexistant sur le département. On a essayé sur une ou deux situations et, très vite, on s'est aperçu que ça ne se bricolait pas. » « De notre côté, ajoute Ana Garancher, chef de service à l'APASE, on s'est trouvé confronté à des situations familiales tellement conflictuelles qu'on a eu envie de réfléchir à ce qui pourrait être mis en place en complément de l'aide éducative et qui permettrait à l'enfant de garder contact avec le parent non hébergeant. » La démarche est soutenue par les directions des deux institutions mais aussi par les juges aux affaires familiales (JAF), très demandeurs. Ainsi la décision est-elle prise de « faire pot commun ». En effet, il est apparu que « c'était un projet qui n'allait pas être simple à concrétiser et que deux institutions départementales aux reins solides seraient ensemble dans une situation plus confortable pour le mener à bien ». En fait, poursuit Jean-Paul Rault, « on a simplement rajouté une mission à chacune de nos structures ». Le projet démarre donc sans budget propre, à moyens constants pour les deux établissements partenaires : utilisation des locaux de Familles d'accueil relais d'urgence  (FARU), déjà installés au CDE pour une mission d'accueil, et d'une partie des locaux de l'APASE au centre de Rennes  mise à disposition de personnel (12 personnes sur 1,6 équivalent temps plein). De plus, une subvention de la Fondation de France encourage et reconnaît la jeune structure.

Pionniers, les promoteurs de ce point accueil le sont aussi, parce qu'en fait « c'était aussi un nouveau métier qu'il s'agissait d'exercer », affirme Jean-Yves Launay, coordinateur du FARU et du PAPE. Tous ont donc visité d'autres lieux d'accueil et suivi les formations que propose l'Association française des centres de conseil conjugal dont l'un des formateurs (également directeur de la Fédération nationale des lieux d'accueil) supervise l'équipe. « Ce qui était important pour nous dans ces rencontres et ces formations, souligne Ana Garancher, c'était de bien différencier cette nouvelle mission de nos métiers d'assistant social ou d'éducateur exercés dans des cadres éducatifs. Nos objectifs ne sont pas les mêmes. »

Un terrain neutre

Le point accueil, ouvert à des personnes venant sur décision de justice ou administrative (JAF et ASE), se veut un lieu tiers permettant aux liens rompus, souvent depuis plusieurs années, de se renouer peu à peu. Mais aussi un espace qui appartienne avant tout à l'enfant et à la personne qui vient le rencontrer : le père, la mère, mais aussi les grands-parents. Il s'agit également « de permettre à l'enfant de se situer dans son histoire et par rapport à ses origines ». Pour Jean-Paul Rault, « c'est un lieu neutre où l'on privilégie l'ici et le maintenant. On ne rend pas de comptes, on ne fait pas de rapport à nos partenaires sur le contenu de la visite et c'est précisé aux gens. » L'équipe ne cherche pas non plus à connaître toute l'histoire de la rupture familiale, elle sait seulement ce qui motive la fréquentation du lieu et c'est en fonction de ce motif qu'elle module son intervention. « On n'est pas un lieu d'investigation ni un lieu d'aide éducative », tient à préciser Ana Garancher.

Sur les 92 situations gérées en 1996 (62 % sur décision du JAF, 38 % de l'ASE), la plus grande part des demandes avait pour origine le conflit entre les parents. Les autres sont motivées par l'abus sexuel avéré ou en cours d'instruction, la pathologie mentale et l'alcoolisme.

Les attentes vis-à-vis du point accueil sont donc diverses : du simple besoin d'un lieu tiers dans le cadre d'un divorce conflictuel à l'exigence d'un contrôle fort et d'une sécurité maximale pour l'enfant ayant subi des violences. Mais, quelle que soit la situation, l'accompagnement des intervenants s'avère nécessaire. « Au début, rappelle Ana Garancher, on privilégiait une intervention la plus discrète possible pour laisser le parent en responsabilité le temps de la visite. Or on s'aperçoit que, souvent, les relations s'établissent très difficilement après deux ou trois ans de rupture, que l'enfant est souvent en conflit de loyauté avec son parent hébergeant et ne s'autorise pas toujours à avoir accès à son parent visiteur. Il fallait donc un tiers qui aide à ça dans le temps de la visite. » En dehors du temps de visite, les parents ou les enfants qui le désirent peuvent aussi être reçus par un membre de l'équipe pour « mettre des mots sur ce qui se passe », explique Jean-Yves Launay, mais aussi « pour envisager l'avenir et rappeler que c'est un lieu transitoire ». Sur une année en moyenne, parfois plus pour les situations difficiles, il s'agit de faire le chemin vers des rencontres « banalisées » qui pourront avoir lieu en dehors du point accueil. Un chemin balisé d'étapes : les visites se font, au début, dans les locaux, puis on peut passer à des sorties à partir du point accueil. De même, « petit à petit, on fait en sorte que les parents se croisent. On se rapproche ainsi de ce que sera la réalité en dehors du point accueil. L'objectif n'est pas de restaurer le lien conjugal, ce n'est pas notre rôle, mais un lien de co-parents. » En 1996, plus de la moitié des situations JAF ont ainsi débouché en moins d'un an sur l'exercice du droit de visite à l'extérieur et 70 % des situations ASE ont également eu une issue favorable.

« Il est vrai, et c'est une de nos limites, avoue Jean-Paul Rault, que nous ne sommes pas là pour gérer des situations très lourdes qui nécessiteraient cinq ans d'accueil et surtout le suivi d'autres intervenants. On n'est pas un lieu de gestion du droit de visite sans espoir d'évolution vers une normalisation. » L'équipe est cependant confrontée au difficile accompagnement de situations qui s'éternisent et se « chronicisent » en raison d'éléments qu'elle ne maîtrise pas, comme la lenteur des instructions de divorce. Délicat également de trouver des solutions en cas de refus catégorique par l'enfant de voir son parent visiteur (le père dans près de 80 % des situations JAF) ou encore de non-présentation d'un des parents. Enfin, il faut veiller, dans les cas où il y a eu abus sexuel, à trouver la juste mesure entre le respect de l'intimité de la rencontre et la vigilance nécessaire à la sécurité de l'enfant. « C'est un aspect important dans la relation avec nos partenaires -'les demandeurs ". Dans leur imaginaire, le point accueil représente la solution 100 % sécurité pour l'enfant usager. On ne peut pas garantir un contrôle à 100 %... quand 15 familles sont présentes et 3 intervenants seulement. Mais, en deux ans de fonctionnement, seuls 3 ou 4 parents ont dérogé aux règles du lieu (violences, alcoolisme), c'est peu. »

Le laboratoire d'un partenariat « nouveau type »  ?

L'intervention mixée de travailleurs sociaux d'origines différentes sur les deux lieux du point accueil permet bien sûr de modéliser des pratiques communes en réponse à ces problèmes, mais elle permet aussi l'apport des expériences de chacun. Ainsi, l'un des intervenants travaille au service des majeurs protégés de l'APASE, « atout essentiel », selon l'équipe, « quand il s'agit d'accompagner des situations problématiques en raison de troubles psychiques ou d'incapacités graves d'un parent ». Mais l'apport d'une mission nouvelle et d'un partenariat actif, « c'est-à-dire constitué autour de temps d'interventions communs », et pas seulement institutionnel, dépasse le seul contenu de l'intervention au sein du PAPE. L'équipe tient d'ailleurs beaucoup à cet autre aspect des choses : non sans obstacles et réticences parfois, un tel projet diffuse modestement des bribes de ce que pourraient être de nouvelles méthodes, un autre travail social...

Ne pas rendre compte du contenu des visites, adresser un double de tout écrit au juge et aux familles concernés : voilà quelques éléments qui dessinent les contours d'une pratique partenariale (ici avec l'ASE et les juges), sinon nouvelle, tout au moins différente des usages habituels. « Au départ, les travailleurs sociaux de l'ASE avaient très envie qu'on leur raconte ce qui se passait ici. Ils comprenaient mal notre discrétion et avaient l'impression qu'on les négligeait », explique Ana Garancher. « Mais, s'il a fallu du temps pour ajuster nos pratiques, notre différence est maintenant intégrée », se réjouit Jean-Paul Rault. Les juges ont également dû faire le deuil d'un point accueil source d'éléments pour leurs enquêtes, et ont rapidement reconnu qu'ils avaient bien d'autres outils d'investigation. Au centre départemental de l'enfance, on insiste en outre sur la richesse que constitue la présence du point accueil pour l'institution : « La réflexion et les pratiques du point accueil autour du maintien du lien parent-enfant alimentent le travail des éducateurs - même de ceux qui n'y travaillent pas - dans leurs relations avec les familles des enfants placés. »

Reconnu, le point accueil l'est jusque dans le nouveau schéma départemental d'Ille-et-Vilaine, lequel affiche comme une priorité le développement de ce type de lieu. Pourtant, au sortir d'une période dont le caractère empirique ou expérimental pouvait justifier l'absence de financement spécifique, l'avenir financier, et donc l'avenir tout court, du point accueil reste incertain. Car, si le CDE a pu injecter, à l'Association pour l'action sociale éducative, des réserves inutilisées dans le projet, on puise dans des recettes qui sont autant de fonds en moins pour le service éducatif. L'équipe, qui défend la formule : « Il faut se lancer sinon on ne fait rien », est à la fois consciente du risque et confiante. Mais elle s'interroge : « Qui faut-il encore convaincre que ce genre de point est un investissement à long terme, qu'on y fait un vrai travail de prévention ? » Selon la Fondation de France, 2 millions d'enfants sont concernés dans l'Hexagone, dont plus de la moitié voient moins d'une fois par mois le parent chez lequel ils ne résident pas. « C'est enfin l'occasion pour nos structures de sortir de leur cadre traditionnel. C'est notre avenir professionnel qui se dessine », conclut avec conviction Jean-Paul Rault.

Valérie Larmignat

Notes

(1)  CDE : rue d'Hallouvry - BP 31 - 35571 Chantepie cedex - Tél. 02 99 41 02 15.

(2)  APASE : 49,  rue Alphonse-Guérin - 35000 Rennes - Tél. 02 99 87 65 50.

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