C'est le 31 juillet que le directeur de recherches au CNRS et membre du Haut Conseil à l'intégration, Patrick Weil, a remis ses deux rapports sur l'immigration et la nationalité que lui avait demandés le Premier ministre le 19 juin dernier (1).
Partant d'un état des lieux du droit existant en matière d'immigration, la « mission Weil » entend, au travers d'une centaine de propositions, redonner du « contenu aux Droits » de l'étranger, ce dernier étant « trop souvent »considéré comme « un illégal ou un fraudeur potentiel » par la loi et surtout par la pratique actuelle. Dans le même temps, l'universitaire insiste sur la lutte contre l'immigration clandestine qu'il veut différente et plus efficace. Il rappelle aussi, dans l'introduction de son rapport Pour une politique de l'immigration juste et efficace, que la « porte de l'immigration » de travailleurs non qualifiés « doit restée fermée : des millions de chômeurs sont à la recherche d'un emploi et ce contexte ne permet aucun autre choix ». En revanche, il souhaite que soient favorisés l'entrée et le séjour des intellectuels.
Au final, le chercheur présente ses propositions non pas comme « l'annulation » de la politique d'immigration précédente ou une remise en cause de l'ordonnance du 2 novembre 1945 mais comme des solutions aux problèmes posés. « A chaque fois que, pour satisfaire ces objectifs, il fallait changer la loi, un décret ou une circulaire, nous le proposons. Quand cela n'est pas nécessaire nous le disons aussi. »Finalement, la voie choisie est celle d'une nouvelle approche de l'immigration en valorisant celle-ci « au cœur d'une politique d'intérêt national plus dynamique ».
Sur la nationalité, Patrick Weil propose, dans un second rapport Des conditions d'application du principe du droit du sol pour l'attribution de la nationalité française, de rétablir l'acquisition systématique de la nationalité française à 18 ans pour les enfants nés en France de parents immigrés (supprimée par la loi du 22 juillet 1993).
A l'occasion de la remise de ces travaux, Lionel Jospin a confirmé qu'ils serviraient à l'élaboration dedeux projets de loi qui seront déposés à l'automne sur le bureau des Assemblées. Le premier, relatif aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France, devrait être défendu par le ministre de l'Intérieur, Jean-Pierre Chevènement. Le second, définissant les conditions d'application du droit du sol pour l'attribution de la nationalité française, sera présenté par le garde des Sceaux, Elisabeth Guigou.
A noter : les rapports Weil sont publiés à la Documentation française - 29-31, quai Voltaire - 75344 Paris cedex 07 -Tél. 01 40 15 70 00 -85 F le volume.
• Membres de la mission :
- Sandra Lagumina, auditeur au Conseil d'Etat- Hélène Rauline, juge d'instance au tribunal de Pontoise - Michel Dejaegher, secrétaire des Affaires étrangères
- Laurent Dubois, docteur en histoire à l'université du Michigan
- Alexandre Gohier Del Re, inspecteur de l'administration
- Jérôme Guedj, inspecteur des affaires sociales
- Mattias Guyomar, auditeur au Conseil d'Etat- Jean-Claude Monod, agrégé de philosophie- Thomas Piketty, économiste, chercheur au CNRS
- Nicolas Revel, conseiller référendaire à la Cour des comptes
- Rémy Schwartz, maître des requêtes au Conseil d'Etat
• Experts désignés par les ministres :
- Maryse Lescault, magistrate à la cour d'appel de Paris
- Ronny Abraham, maître des requêtes au Conseil d'Etat - Yves Carcenac, inspecteur général des affaires sociales
- Stéphane Hessel, ambassadeur de France (médiateur dans l'affaire des sans-papiers)
- Bernard Hagelsteen, préfet - Gérard Moreau, conseiller-maître à la Cour des comptes (ex-directeur de la population et des migrations)
Pour recueillir les résultats de la politique d'immigration actuelle, la mission est allée« sur le terrain ». Elle s'est ainsi rendue dans huit préfectures et a rencontré des associations de défense des droits des étrangers, des juges, des avocats, des syndicats, des représentants de toutes les administrations concernées et enfin des responsables de la majorité comme de l'opposition.
Dans le rapport Pour une politique de l'immigration juste et efficace, le politologue juge inutile de « supprimer » les lois Debré du 24 avril dernier et Pasqua d'août 1993 mais préconise néanmoins une refonte de la politique de l'immigration. En effet, comme il l'a indiqué en introduction, il est « parti de la loi telle qu'elle est et dit ses résultats tels qu'ils sont ».
Si la France a « toujours tenu » à « demeurer une terre d'asile pour les persécutés politiques et à leur faire bénéficier d'une protection et d'un statut particuliers », le chercheur déplore que« l'indistinction croissante entré réfugiés et immigrés » ait compromis certains aspects de la tradition d'asile de la France.
Aussi, afin de marquer la « spécificité du droit d'asile », il propose que toutes les dispositions relatives à l'asile et au statut de réfugié inscrites dans l'ordonnance du 2 novembre 1945 soient transférées dans la loi du 25 juillet 1952 portant création de l'Office français de protection des apatrides et des réfugiés (OFPRA), qui deviendrait ainsi « la grande loi sur l'asile ».
La procédure actuelle d'attribution du statut de réfugié par l'OFPRA serait complétée par deux autres voies afin de mieux assurer la protection de certains persécutés qui, sous prétexte qu'ils ne répondent pas aux critères de la convention de Genève tels qu'ils sont interprétés par la jurisprudence (le statut de réfugié ne peut être accordé que dans le cas où l'agent de persécution est l'Etat), ne peuvent obtenir le statut de réfugié. Ainsi, un contenu serait donné au droit d'asile « constitutionnel » que le préambule de la Constitution de 1946 accorde aux seuls « combattants de la liberté » permettant, par exemple, aux Algériens persécutés par des mouvements islamiques intégristes d'obtenir le statut de réfugié. Il pourrait être accordé par l'OFPRA. Pour le demandeur qui n'aurait pu se voir attribuer le statut de réfugié soit au titre de la convention de Genève, soit au titre de la Constitution, mais qui risquerait d'être persécuté s'il retourne dans son pays, il suggère d'inscrire dans la loi la pratique actuelle de « l'asile territorial » accordé par le ministre de l'Intérieur. Ce dernier serait toujours saisi par le directeur de l'OFPRA et pourrait délivrer un titre d'asile temporaire d'un an avec autorisation de travail.
Au titre de la lutte contre les détournements de procédure, les ressortissants de pays « devenus démocratiques » ne seraient plus soumis au droit commun mais disposeraient de la faculté de formuler une demande traitée en quelques heures. En cas de rejet, ils n'obtiendraient plus ni l'autorisation de séjour ni l'allocation allouée aux demandeurs d'asile pendant l'instruction de leur dossier.
Autres suggestions : offrir un entretien individualisé à chaque demandeur avec un agent de l'OFPRA, assurer un meilleur fonctionnement de la commission des recours afin d'améliorer le traitement de la demande ou encore faire examiner la situation du réfugié, au regard de l'intégration sociale et professionnelle, par un service social pour lui permettre de suivre une formation linguistique ou un stage d'orientation professionnelle.
Dans un souci d'alléger la tâche des services administratifs concernés, il est suggéré de supprimer les contrôles inutiles. Ce qui aurait également pour conséquence, explique la mission Weil, de mieux garantir les droits des étrangers en France.
Pour mieux assurer la liberté de circulation dont la mise en œuvre est « actuellement inutilement compliquée » pour certaines catégories de personnes qui souhaitent séjourner en France sans s'y installer, les doubles, voire triples contrôles devraient être « éliminés ». Ainsi, pour le contrôle des étrangers effectuant de courts séjours en France, le principe de l'exigence du visa serait maintenu, mais les étrangers se rendant régulièrement en France seraient dispensés de la présentation de certains justificatifs.
En outre, les consulats devraient motiver les refus de visa pour certaines catégories de demandeurs : membres de la famille des bénéficiaires du droit communautaire, certains membres de la famille des ressortissants français, bénéficiaires du regroupement familial autorisé par le préfet, travailleurs auxquels l'autorité administrative a accordé une autorisation de travail, personnes inscrites sur le fichier Schengen.
Autre objectif : la simplification de la procédure de délivrance des certificats d'hébergement. La procédure d'instruction serait à nouveau confiée au maire (et non plus au préfet comme le prévoyait à terme la loi du 24 avril 1997) (2) à condition que des « garanties permettant de prévenir les refus systématiques » soient adoptées. Parmi celles-ci figurent la saisine automatique du préfet en cas de refus de l'élu. En outre, les autres dispositions de la loi du 24 avril 1997 relatives au détournement de procédure comme motif de refus de visa et la remise du certificat d'hébergement à la sortie du territoire « doivent être abrogées ».
Enfin, pour éviter que les travailleurs immigrés retraités ne demeurent en France uniquement dans la crainte de perdre tout ou partie de pensions de vieillesse, la liquidation des retraites pourrait s'effectuer depuis leur pays d'origine, la garantie du versement du montant intégral de la pension dans le pays de retour devant être assurée. Ainsi, l'obligation de résidence en France au moment de la demande de liquidation de la pension serait levée. De plus, les personnes âgées pourraient bénéficier d'un titre de séjour portant la mention « retraité » leur permettant de revenir en France pour visiter leur famille.
En matière de mariage, les conjoints étrangers en situation irrégulière mais entrés régulièrement en France auraient droit, immédiatement après leur union avec un Français, à un titre de séjour temporaire d'une année (et non plus après une année de mariage comme le prévoit la législation actuelle). Mais, pour obtenir une carte de résident, la durée du mariage du conjoint étranger en situation régulière serait portée d'un à 2 ans. En outre, la saisine du procureur de la République par le maire pour opposition au mariage ne dispenserait plus l'élu de procéder à la célébration, le caractère suspensif de cette saisine devant être supprimé, explique Patrick Weil. Si toutefois cette procédure devrait être conservée, précise-t-il, il conviendrait que son effet suspensif ne soit plus possible après la publication des bancs (soit 10 jours avant le mariage). En revanche, l'union de complaisance pourrait être annulée a posteriori.
Les conditions du regroupement familial seraient assouplies. Ainsi l'exigence de revenus au moins égaux au SMIC pourrait être modulée compte tenu de la capacité d'intégration de la famille rejoignante (maîtrise du français, qualifications professionnelles...). Celle de disposer d'un logement décent s'apprécierait en fonction « des potentialités du demandeur » et non de sa situation au moment de la demande de regroupement familial. Au chapitre de l'amélioration des procédures, il convient, note la mission, de confier aux services de l'Office des migrations internationales (OMI) le dépôt direct des demandes de regroupement familial dans tous les départements les plus importants (3) mais aussi d'alléger certaines procédures (la faculté d'opérer un nouveau contrôle en préfecture après l'arrivée en France de la famille serait supprimée, le refus de séjour ne pouvant alors se fonder que sur un motif d'ordre public). Enfin, il s'agit d'améliorer l'accueil des familles rejoignantes. Aussi, le rapport suggère que « 70 % des familles rejoignantes soient suivies à leur arrivée par les services sociaux ou les associations conventionnées » alors qu'actuellement un peu plus de 50 % d'entre elles sont concernées. Et que ce dispositif soit étendu aux familles de bénéficiaires de l'asile politique et aux conjoints de Français et à leur famille. Autre proposition : le renforcement du rôle de l'OMI dans la procédure d'accueil de la famille lui permettant de repérer des difficultés d'intégration prévisibles et de les signaler aux services sociaux. En amont, l'OMI devrait également participer activement au pré-accueil pour sensibiliser l'étranger à la démarche d'intégration que sa famille devra entreprendre à son arrivée.
La possibilité pour l'étranger de solliciter directement un titre de séjour sur le fondement de sa vie privée et familiale devrait être inscrite dans la loi, estime Patrick Weil, cette référence dans l'ordonnance de 1945 à l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'Homme se traduirait alors par la création d'un nouveau titre de séjour portant la mention « vie privée et familiale ». La création d'un tel titre devrait permettre de régler la situation de certains « sans-papiers », « dont les attaches personnelles et familiales sont profondément enracinées en France », explique-t-il. Seraient notamment visés les étrangers ayant toutes leurs attaches familiales en France, les parents d'enfants étrangers résidant en France et qui sont malades, les conjoints de réfugiés.
Sans-papiers : régularisation ? Tel est le titre de la brochure du GISTI (Groupe d'information et de soutien des immigrés) qui présente son analyse de la circulaire du 24 juin 1997 permettant la régularisation de certaines catégories d'étrangers (3). Outre le texte lui-même de la circulaire, ce fascicule comporte des documents de référence ayant permis l'élaboration de la circulaire : avis rendus le 22 août 1996 par le Conseil d'Etat et le 12 septembre de la même année par la Commission nationale consultative des droits de l'Homme sur la situation des sans-papiers. Le GISTI commente ainsi point par point la circulaire en rappelant qu'elle « risque de beaucoup décevoir » car elle ne vise que certaines catégories d'étrangers et en mettant l'accent sur ses« quelques graves défauts ».
Dans un second fascicule, le GISTI rassemble des textes complémentaires à la circulaire du 24 juin qui formalisent les réponses du ministre de l'Intérieur aux diverses questions posées par les associations de défense des immigrés. Il s'agit de la lettre du 21 juillet 1997 adressée au GISTI et de la circulaire-télégramme du 3 juillet 1997 et des circulaires du 4, 10 et 25 juillet 1997 qui ont été tout au long de l'été adressées aux préfets. Elles précisent, pour l'essentiel, des points particuliers de la circulaire du 24 juin.
Le rapport estime que l'état actuel du droit en matière d'accès aux soins et à la protection sociale est « globalement satisfaisant », à l'exception de la condition de nationalité pour l'accès à certaines prestations sociales comme l'allocation aux adultes handicapés ou les prestations non contributives de vieillesse, réservées aux seuls Français, sauf convention internationale (4). Au nombre des améliorations « envisageables », il cite la mise en œuvre d'une vérification effective de la régularité du séjour lors de l'affiliation aux organismes de sécurité sociale car « il est indispensable qu'aucun étranger en situation irrégulière ne puisse avoir accès aux prestations de sécurité sociale ». En revanche, le rapporteur demande l'application effective du droit à l'aide médicale pour les étrangers en situation irrégulière alors que, dans certains départements, la loi du 27 juillet 1992 relative à la réforme de l'aide médicale n'est pas appliquée (5). Elle est même méconnue par le corps médical hospitalier, voire par certains travailleurs sociaux et responsables administratifs pour lesquels il suggère « des actions de sensibilisation ».
Enfin, il rappelle que la condition de nationalitépour accéder à certaines prestations sociales devrait être supprimée, la France se conformant ainsi à la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes. Une abrogation qui permettrait alors aux étrangers de percevoir l'allocation aux adultes handicapés, l'allocation supplémentaire vieillesse ou encore l'allocation supplémentaire du fonds spécial d'invalidité. A l'appui de sa thèse, Patrick Weil souligne encore que la suppression de cette condition de nationalité ne devrait avoir « qu'une incidence financière limitée » et déchargerait d'un « contentieux inutile » les organismes de sécurité sociale et les juridictions spécialisées.
Le droit « est compliqué », aussi le rapporteur propose-t-il de simplifier le renouvellement ou l'attribution des titres « devenu quasi automatique » afin que l'administration puisse se consacrer au traitement personnalisé des situations qui le nécessitent.
Ainsi, il s'agirait de simplifier le statut des ressortissants de l'Union européenne en leur délivrant un premier titre de 10 ans (contre 5 ans actuellement), puis un titre à validité permanente.
Autre axe : faciliter les conditions de délivrance et de renouvellement des titres. C'est ainsi que le chercheur conseille la généralisation du traitement postal des demandes et de la procédure des dépôts groupés de demandes par les universités et les employeurs accueillant plus de 20 nouveaux étrangers par an. Il s'agirait également de permettre un examen global de la situation de l'étranger demandeur d'un titre de séjour. Il conviendrait alors, souligne-t-il, de « prévoir la faculté pour les étrangers de solliciter une demande d'un titre de séjour aux différents titres prévus par la loi » et mettre en conséquence en place un formulaire général rassemblant l'ensemble des titres existants et faisant notamment une présentation pédagogique des conditions de délivrance. De même, il juge souhaitable que la demande de carte de résident, présentée après 3 années de résidence régulière ininterrompue, ait valeur de demande de renouvellement de la carte de séjour temporaire permettant ainsi à l'étranger qui se verrait refuser un titre de résident d'obtenir le renouvellement de la carte temporaire et ainsi de ne plus être sous le coup d'une obligation de quitter le territoire. Enfin, « mieux informer les étrangers des dates d'expiration des titres qui leur sont délivrés » paraît essentiel à la mission afin de simplifier le travail administratif des préfectures.
S'agissant des étudiants, le rapporteur suggère d'améliorer leur statut en leur permettant, d'une part, de pouvoir travailler à mi-temps sans autorisation dès la première année d'études et, d'autre part, de bénéficier de formalités allégées pour obtenir la carte de séjour « étudiant ». Il fustige ainsi la « longueur des procédures et des différences notables de traitement des dossiers par les diverses préfectures »ainsi que l'opacité du critère de ressources notamment. Cette appréciation des ressources est le prétexte le plus souvent pris pour refuser ou retarder la délivrance d'un titre, déplore-t-il, alors que la directive européenne du 29 octobre 1993 relative au droit de séjour des étudiants ne contraint l'étudiant ressortissant d'un Etat membre qu'à une simple déclaration de ressources. De plus, il suggère qu'un guichet « étudiants-chercheurs » soit mis en place dans les principales préfectures afin de prendre en compte la spécificité de la demande. Et souhaite permettre l'accès à la carte de séjour étudiant à ceux qui suivent une formation continue, alors qu'actuellement ils en sont exclus.
Au chapitre de la répression, la mission propose qu'il soit « mieux distingué entre ceux qui ont le droit d'entrer et de séjourner régulièrement en France et ceux qui ne l'ont pas ». En ce domaine, son rapporteur entend que les dispositifs d'éloignement des étrangers soient améliorés et que la répression contre l'emploi illégal soit poursuivie et amplifiée.
« Compliqué, peu efficace »(moins d'un tiers des reconduites à la frontière sont exécutées) « et injuste », autant d'adjectifs pour qualifier les dispositifs d'éloignement des étrangers en situation irrégulière. Pourquoi ? Faute de pouvoir être maintenus plus de 10 jours en centre de rétention administrative, explique Patrick Weil, les étrangers en situation irrégulière se trouvent, « pour certains, condamnés à une peine de prison assortie d'une interdiction du territoire bien plus longue qu'ils effectuent dans des conditions carcérales souvent difficiles ». A l'inverse, poursuit-il, le délinquant qui présente une menace grave pour la société et a fait l'objet d'une mesure d'interdiction du territoire « retrouvera souvent sa liberté sans être reconduit à la frontière ». Et de constater que « le dispositif actuel, s'il n'est pas satisfaisant, est le produit de nombreuses modifications successives de l'ordonnance de 1945 dans un cadre constitutionnel contraignant ». »
Par conséquent, Patrick Weil préconise de réserver l'emprisonnement aux seuls étrangers qui ont commis d'autres délits que celui d'être entré et d'avoir séjourné irrégulièrement en France. A ce titre, il est proposé que soient « rappelés et renforcés » les termes de la circulaire du 11 juillet 1994 invitant les procureurs de la République à ne poursuivre qu'à titre exceptionnel sur le fondement de cette seule infraction. Pour empêcher que la mesure d'éloignement n'aboutisse pas, faute d'avoir pu identifier l'étranger qui communique des renseignements faux ou incohérents, le rapporteur propose une nouvelle rédaction de l'article 27 de d'ordonnance de 1945 de telle sorte que le délit (pénétrer de nouveau sans autorisation sur le territoire français, se soustraire à une mesure d'éloignement...) soit plus aisé à caractériser en incriminant « la communication de renseignements inexacts ou contradictoires ». Mais, aussitôt, il tempère son propos en invitant les procureurs à agir « avec discernement » afin de ne déférer que les étrangers « dont le comportement traduit une volonté délibérée de se maintenir sur le territoire ». Et une circulaire devrait rappeler au parquet la nécessité de prononcer les peines d'interdiction du territoire en tenant pleinement compte de la situation familiale de l'étranger.
Mettre à profit le temps de la détention pour établir la nationalité des étrangers en situation irrégulière et préparer leur éloignement du territoire est le deuxième temps fort de ce chapitre. Il s'agirait alors de mettre en place des instances, placées non plus seulement au niveau régional mais auprès des principales maisons d'arrêt, pour préparer l'éloignement de l'étranger. Et d'élargir, pour soulager les centres pénitentiaires, le dispositif de la libération conditionnelle en vue d'expulsion (mis en place par la loi du 8 février 1995) en l'appliquant, à un moment différent selon la gravité du délit, aux étrangers condamnés à une peine d'interdiction du territoire français (ITF) et, à tout moment, à ceux condamnés pour simple dissimulation de leur identité ou refus d'embarquement lors d'une précédente mesure.
Autre mesure : créer une nouvelle forme de rétention judiciaire « située en fin de peine » et réservée auxdélinquants interdits du territoire qui se substituerait au dispositif actuel. Lors du prononcé de la peine d'ITF, le juge pénal indiquerait que l'étranger pourra être placé, au terme de sa peine, en rétention judiciaire, pour une durée limitée à un mois en vue de son éloignement. Le rapporteur préconise la création d'un nombre suffisant de centres de rétention, à proximité des principales maisons d'arrêt pour accueillir cette population « post-pénale ».
Pour ceux qui n'ont commis que de simples infractions aux règles d'entrée et de séjour en France, il propose une procédure administrative de reconduite à la frontière dont l'efficacité pourrait être « renforcée ». L'idée avancée est celle d'augmenter le pécule versé par l'OMI dans le cadre des départs volontaires et le nombre de ses bénéficiaires en élargissant notamment les catégories visées.
S'agissant de la rétention administrative, Patrick Weil juge la durée nécessaire pour permettre à la préfecture de procéder aux démarches utiles pour reconduire l'étranger à la frontière ainsi que les conditions de sa mise en œuvre « trop limitatives ». Augmenter de 5 jours environ la durée totale de la rétention administrative (actuellement de 10 jours) lui semble une piste à approfondir car elle permettrait de procéder effectivement à l'éloignement de l'étranger en évitant son incarcération. En parallèle, le délai de recours contre les arrêtés de reconduite à la frontière pourrait être revu. Actuellement limité à 24 heures, il pourrait être porté à 7 jours en cas de notification à personne (hors interpellation) ou par voie postale. Il passerait à 48 heures - à condition que la durée globale de la rétention administrative soit augmentée - pour les arrêtés de reconduite à la frontière notifiés à la suite de l'interpellation de l'étranger.
Autres propositions : établir des relations de coopération avec les consulats étrangers, mais également responsabiliser de manière accrue les préfets et assurer une meilleure coordination des services de l'Etat en mettant notamment en place un comité restreint de lutte contre l'immigration irrégulière.
Si Patrick Weil rappelle que la question du travail illégal dépasse de très loin le problème particulier de l'emploi d'étrangers sans titre, qui représente moins de 10 % des cas, il souhaite néanmoins que les mesures de prévention supplémentaires soient mises en œuvre.
Dans un premier temps, il s'agirait de renforcer laprévention contre les faux titres de travail en rappelant aux préfets l'intérêt d'instaurer un service téléphonique de renseignements aux employeurs lors de l'embauche d'un travailleur étranger. Il pourrait également être envisagé de rendre obligatoire la présentation du passeport lors de l'embauche comme moyen de vérification de l'identité de l'étranger. Enfin, remplacer tous les titres de séjour par l'apposition d'une vignette sur le passeport lui semblerait souhaitable.
Pour lutter contre l'emploi d'étrangers sans titre, il conviendrait également de mener une politique pénale « ferme ». Si le dispositif législatif et réglementaire lui apparaît « complet », le chercheur appelle les procureurs à requérir des sanctions « exemplaires » contre les employeurs « à la mesure des profits retirés[...], des manques à gagner des organismes sociaux et du préjudice causé aux salariés ».
En outre, deux modifications pourraient être apportées à l'infraction d'aide à l'entrée et au séjour irréguliers actuellement punie de 5 ans de prison et de 200 000 F d'amende. Il s'agirait tout d'abord de réprimer plus sévèrement les filières d'immigration clandestine en créant une circonstance aggravante en cas de bande organisée : la peine encourue pourrait ainsi être de 10 ans d'emprisonnement et de 5 000 000 F d'amende. Dans le même temps, unassouplissement de la législation en vigueur en matière de sanctions de l'aide à l'entrée et au séjour des membres de la famille lui semble de circonstance. Les cas d'immunité familiale pourraient ainsi être étendus au conjoint (ou concubin), parents, alliés, travailleurs sociaux et avocats, car le rapporteur juge inopportunes les poursuites pénales puisque « rares en pratique ».
Pour autant, il conviendrait également de simplifier les formalités administratives dans les secteurs concernés par le travail illégal (notamment les activités saisonnières) et de proposer des dispositifs d'aides à l'emploi « moins nombreux, plus simples et plus accessibles » aux petits employeurs. Enfin, les salariés qui choisissent d'être régulièrement déclarés ne devraient plus être pénalisés. Si l'Unedic s'est engagée dans cette voie en modifiant récemment sa réglementation concernant les travailleurs saisonniers (6), du chemin reste à faire puisque le régime d'assurance chômage continue de définir les chômeurs saisonniers en se fondant sur des secteurs d'activité strictement énumérés et accorde des droits assortis d'un coefficient réducteur « extrêmement élevé comparé à ceux du régime général ». Dénonçant « la suspicion à l'égard des chômeurs supposés frauder ou profiter du système qui finit par alimenter le travail non déclaré », il entend au contraire que toute période de travail soit « valorisée » et qu'un chômeur puisse capitaliser « des nouveaux droits [à l'assurance chômage] qui viendraient s'ajouter aux anciens ».
Enfin, le dernier chapitre du rapport vise à replacer la politique de l'immigration au cœur d'une politique internationale plus dynamique. L'accueil des étudiants étrangers devrait être redéfini et même encouragé à l'égard des « meilleurs éléments »,tout comme la venue d'enseignants du supérieur ou de chercheurs.
Dans ce cadre, il conviendrait également de lier immigration et développement. La politique d'aide au retour pourrait ainsi être étendue aux personnes en situation régulière placées en situation de précarité (allocataires du RMI ou chômeurs indemnisés par l'Etat) et manifestant la volonté de mener à terme un projet dans leurs pays d'origine.
« Reprendre les principes de la loi de 1889 tout en intégrant les apports bénéfiques de la législation actuelle. » En proposant cette solution mixte dans son rapport Des conditions d'application du principe du droit du sol pour l'attribution de la nationalité française, Patrick Weil souhaite« en revenir à un système plus égalitaire, ne laissant aucun jeune à l'écart, tout en lui donnant plus encore d'autonomie de choix ». Une synthèse qui, selon le politologue, s'enracine dans la longue tradition du droit du sol en France. En effet, rappelle-t-il, c'est en 1889 qu'a été adopté définitivement le principe selon lequel tous les enfants nés en France de parents étrangers sont français, à la naissance ou à leur majorité. Un système qui, en dépit de nombreuses modifications, perdure depuis (à l'exception notable de la période noire de Vichy).
C'est seulement en 1993 que la loi du 22 juillet portant réforme du code de la nationalité (7) a sensiblement modifié les conditions d'acquisition de la nationalité française. Toutefois, juge le rapporteur, ce texte n'a pas remis en cause le principe du droit du sol mais son application. En particulier en rendant obligatoire, pour les jeunes nés en France de parents étrangers, la manifestation, entre 16 et 21 ans, de leur volonté de devenir français (8). Une mesure« contestable », estime-t-il, car« en demandant au jeune d'aujourd'hui de manifester sa volonté, on lui demande plus qu'au jeune fils d'Italien, de Polonais ou d'apatride d'avant ou d'après-guerre et l'on rompt ainsi avec une pratique de reconnaissance égalitaire et universelle qui avait un fondement profond ».
Entrée en vigueur le 1er janvier 1994, cette réforme fait l'objet d'ailleurs d'un bilan mitigé. Ainsi, observe Patrick Weil, les craintes de boycott de la nouvelle procédure par les jeunes« paraissent aujourd'hui non fondées ». En effet, la majorité de ceux qui sont concernés manifestent leur volonté d'acquérir la nationalité française, la plupart avant l'âge de 18 ans et souvent dès 16 ans. « Pour beaucoup d'entre eux, analyse le chercheur, c'est le signe de leur adhésion affective à la France. Pour d'autres, ce n'est pas toujours le cas au départ mais la “naturalisation” est un phénomène toujours complexe. L'adhésion peut bien être présentée comme un calcul intéressé, une démarche effectuée par imitation ou sous contrainte cela devient toujours beaucoup plus que cela : l'identification à la nation est le plus souvent progressivement incorporée pour finir par “coller à la peau” et produire l'attachement à la patrie. »
Cependant, poursuit-il, « des problèmes existent et des interrogations subsistent ». Ainsi,« certains jeunes ont du mal à accéder à la procédure quand ils le souhaitent », non seulement du fait de certaines pressions parentales (qui pèsent davantage sur les filles) mais, aussi, en raison d'une « méconnaissance de la procédure de certaines des institutions censées les informer » (en particulier des préfectures et des gendarmeries). En outre,« le jeune qui veut manifester sa volonté éprouve des difficultés à faire la preuve de sa résidence dans les cinq années qui précèdent ». Un problème qui, en 1996, a été à l'origine de 42 % des refus formulés par les magistrats. Par ailleurs, si le taux de refus est stable au plan national (2, 6 % de l'ensemble des demandes), de fortes inégalités existent entre départements, les tribunaux d'instance ayant à cet égard des politiques différentes. « En réaction, il se produit une véritable cotation des tribunaux sur le marché de la manifestation de volonté, les uns ont une réputation libérale, les autres restrictives », regrette le rapporteur. Enfin, « le plus grave est probablement que certains de ceux qui ne participent pas à la procédure ne savent pas qu'ils ne seront pas français parce qu'ils croient l'être déjà ». Faute d'une information suffisante, certains jeunes nés en France et se sentant français laissent ainsi passer le délai de 21 ans « sans y prendre garde ».
Comment remédier à cette situation ? Pour Patrick Weil, on peut toujours améliorer la procédure actuelle ou revenir à l'organisation précédente. Mais, pour lui, une combinaison des deux systèmes paraît nettement préférable. De cette façon, explique-t-il, il s'agirait de permettre « effectivement à l'Etat républicain d'afficher clairement sa volonté de reconnaître et d'adopter comme français, sans distinction d'origine sociale ou nationale ou de domicile, tous les enfants nés en France de parents étrangers, tout en assurant mieux dans le même temps le droit à l'autonomie du jeune, son droit à manifester sa volonté d'être ou de ne pas être français en étant bien informé ».
Concrètement, il préconise que tout enfant né en France d'un parent étranger soit reconnu par l'Etat comme français à 18 ans,« s'il réside toujours en France et s'il y a résidé pendant son adolescence ». La preuve de la résidence pourrait alors« être produite par une résidence de 5 ans après l'âge de 11 ans »(à l'aide de simples certificats scolaires). Auparavant, entre 16 et 18 ans, le jeune pourrait devancer cette reconnaissance en manifestant sa volonté. De même, après 18 ans et pendant un an, « il pourrait déclarer qu'il veut rester étranger et donc décliner la qualité de Français ». Avec cette procédure, l'attribution de la nationalité et la décision seraient concentrées sur une seule période (entre 16 et 19 ans), ce qui devrait faciliter l'information. Améliorée, celle-ci serait obligatoirement diffusée dans les collèges et les lycées.« On ne pourrait plus ainsi être français sans le vouloir, on ne le serait pas non plus sans le savoir. Mais l'on ne resterait pas non plus étranger sans le savoir ou sans le vouloir », conclut le rapporteur. •
E. C. avec J. V.
Les rapports de Patrick Weil ont donné lieu à des réactions mitigées, voire défavorables, de la part des associations de défense des immigrés. Ainsi, au GISTI, on se déclare« atterré » par les conclusions du rapport. L'un de ses responsables, Jean-Pierre Allaux, juge en effet que le rapport « est une légitimation de la loi Pasqua » et ajoute :« Weil est plus intelligent que Pasqua sur son propre terrain. » En revanche, il reconnaît que les propositions sur la nationalité « vont dans le bon sens, à condition de maintenir la possibilité pour les parents de demander des papiers pour les enfants avant 16 ans ». A SOS Racisme au contraire, on déplore « la timidité des propositions sur la nationalité » et l'on regrette qu'il« ne s'agisse pas de la refonte totale de la politique d'immigration nécessaire à l'établissement d'une loi juste, simple et unique [...] mais d'un toilettage de plus de l'ordonnance de 1945 ». Pour le reste, l'association considère que le rapport Weil va dans le bon sens, notamment sur la réglementation du regroupement familial, du droit d'asile et du statut des étudiants étrangers. Enfin la Ligue des droits de l'Homme a fait part de sa réaction« mitigée ». Si cette dernière se satisfait des propositions sur la nationalité, elle s'inquiète des dispositions concernant la double peine jugées« très répressives ».
(1) Voir ASH n° 2029 du 27-06-97.
(2) Voir ASH n° 2021 du 2-05-97.
(3) Voir ASH n° 2029 du 27-06-97. Ces documents sont disponibles par courrier auprès du GISTI : 3, villa Marcès - 75011 Paris. Le premier fascicule « Analyse de la circulaire du 24 juin 1997 » est en vente au prix de 30 F (+ 8 F pour frais de port), la seconde brochure « Documents complémentaires à la circulaire du 24 juin 1997 » coûte 10 F (8 F de frais de port en sus). Pour l'envoi des deux fascicules, les frais de port sont de 8 F.
(4) Voir ASH n° 1996 du 8-11-96.
(5) Voir ASH n° 1850 du 22-10-93.
(6) Voir ASH n° 2032 du 18-07-97.
(7) Voir ASH n° 1855 du 26-11-93.
(8) Voir ASH n° 1862 du 13-01-94.