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Faut-il avoir peur des familles et des bénévoles ?

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Lorsqu'elle est prise en charge en établissement, la personne âgée est entourée par une équipe de professionnels, sa famille et des bénévoles. Se nouent ainsi des relations complexes entre les uns et les autres, qu'il faut savoir gérer sans négliger l'intérêt de la personne âgée.

Comment harmoniser les relations entre les professionnels, les familles, les bénévoles et la personne âgée reçue en établissement ?Comment négocier la place des uns et des autres, sans perdre de vue l'objectif principal, qui est de tendre vers la meilleure prise en charge possible de l'usager ? Comment concilier ce que Dan Ferrand Bechmann, sociologue à l'université de Paris-VIII, nomme des « solidarités concurrentes »  ? Selon elle, en effet, « compte tenu des menaces qui pèsent sur les budgets, les gouvernements ont intérêt à ce que les familles et les bénévoles prennent tout en charge. Or, les établissements n'ont pas intérêt à voir se développer les sphères familiales et associatives ». Ces questions, à la fois complexes et récurrentes dans le domaine du travail social, ont été abordées lors du XIIe congrès de la Fnadepa à Lyon (1).

Ecouter et comprendre les familles

Premier constat, partagé par les psychologues et les directeurs d'établissements : les familles ne peuvent être écartées ou contournées, c'est une évidence. Mais plus que cela, elles doivent être écoutées et, dans la mesure du possible, comprises et accompagnées. « Les relations entre les professionnels et les familles sont en train d'évoluer, note Christiane Kermarrec, présidente de la Fnadepa. Jusqu'à présent, la tendance était de dire que les enfants abandonnaient les personnes âgées. Du coup - même s'il faut relativiser en fonction des structures concernées - les familles présentes dans les établissements avaient la place que voulaient bien leur laisser les professionnels. Mais ceux-ci se rendent compte à présent qu'ils ne peuvent pas tout faire et surtout, qu'ils ne peuvent pas remplacer la famille. »

Cette évolution a, entre autres mérites, celui de revenir sur quelques idées reçues. Ainsi, selon Annie Mollier, formatrice au Centre pluridisciplinaire de gérontologie de Grenoble (2), « la solidarité familiale est très forte en France. Elle se traduit par des visites, une aide à la vie quotidienne, des échanges financiers entre les différentes générations. Le soutien familial est plus important que le soutien professionnel ». Et pour cause : la famille est le dernier lien social de la personne âgée, elle nourrit son identité, elle en est le garant, et c'est en elle qu'elle puise sa force. « Lorsque le parent vieillissant et dépendant arrive en maison de retraite, seul son entourage peut dire ce qu'il a été, ce qui était important pour lui, ses choix de vie. De plus, la famille perpétue la vie après la mort, ce qui est important pour la personne âgée », poursuit Annie Mollier. Selon elle, les professionnels ne peuvent faire l'économie de formations destinées à mieux comprendre tout ce qui se joue dans les relations familiales. D'autant que les personnels et les directeurs d'établissements sont confrontés aux familles au moment où celles-ci traversent une crise, et vivent même de profonds bouleversements. « La plupart du temps, un accident survient, le décès d'un proche, une chute, la maladie, et surgissent le désarroi de l'entourage, l'état d'urgence, l'amorce d'un changement de vie et l'acceptation, ou non, de faire avec », souligne Catherine Roos, psychologue. Celle-ci parle de « sidération » de la famille au moment de la dégradation physique ou psychique du parent âgé. « On assiste à un remaniement profond des relations familiales. Pour les générations descendantes, la prise de conscience de l'inversion des rôles s'accélère, cette inversion étant acceptée ou refusée, culpabilisante ou paniquante, déstabilisante de toutes les façons. En tout cas, elle renforce le sens de ce vieux dicton :'Les parents âgés sont les enfants que l'on a sur le tard. " »

Une grande souffrance psychologique

Toute la descendance est alors en quête de repères : les conflits anciens, les non-dits, les liens entre les frères et sœurs, la place de chacun au sein de la structure familiale..., toute l'histoire de cette famille, singulière par définition, resurgit et se trouve bousculée. Et ce, à un moment où les enfants sont confrontés à la souffrance et parfois à la déchéance de leurs parents, à leur propre vieillissement et à leur propre finitude. Catherine Roos témoigne : « La plupart du temps, quand nous recevons un enfant de parent âgé, nous sommes saisis de le sentir devenir très jeune - c'est l'enfant de 6 ans qui parle - et cinq minutes après, c'est le vieux qui est en lui qui s'exprime. » La psychologue insiste également sur le fait que les enfants devront résoudre un conflit impossible entre opérer le deuil d'un parent tel qu'il était et maintenir néanmoins un attachement coûte que coûte avec ce parent qui n'est plus là mais qui est encore vivant.

Les professionnels sont également très souvent confrontés à la honte et à la culpabilité des familles. « Honte de ce parent qui ne se tient plus, ne se contient plus. Ce sentiment mérite d'être travaillé par les équipes soignantes, qui s'arrêtent plus souvent sur la culpabilité. Même si celle-ci a une place de choix : elle s'exprime soit avant l'entrée en institution, lorsque l'aidant n'en peut plus, et finit par dire'c'est lui ou moi ", soit au moment de l'entrée dans l'établissement, souvent vécue par les enfants comme un abandon de leur parent. »

Or, honte et culpabilité se retournent le plus souvent contre les professionnels. Il arrive que les membres de la famille deviennent agressifs et très exigeants vis-à-vis de l'institution, « ne lui passant rien ». Et Catherine Roos remarque que, parfois, les professionnels ont tendance à entrer en compétition avec les familles, chacun essayant de prouver qu'il sait et fait mieux que l'autre.

Face à cette souffrance psychologique et à ce nœud de relations individuelles et familiales complexes, Catherine Roos préconise quelques pistes qui garantissent une prise en charge de qualité aussi bien pour la personne âgée que pour son entourage : il faut que les professionnels arrivent à comprendre l'histoire particulière de cette famille et la crise qu'elle est en train de traverser. « La compréhension constitue à mon avis une condition sine qua non à toute aide psychologique aux familles. Mais pour y parvenir, les professionnels doivent également pouvoir exprimer leurs réactions premières, qui sont souvent jugeantes et critiquantes à l'égard de l'entourage. C'est seulement en les exprimant qu'ils pourront les dépasser et arriver à la compréhension. »

L'accueil des familles

Il est également important de soigner la notion d'accueil : ce moment où l'on parle du contrat, des règles de l'institution et de ses limites. Ce moment aussi où l'on nomme la maladie, où l'on note les changements physiques et psychiques, et où l'on tente d'éviter les non-dits. Où l'on essaie, enfin, de mettre en place des rendez-vous réguliers avec la famille afin de faire le point. Un accueil qui est de plus en plus soigné et contenu dans le projet d'établissement, selon Christiane Kermarrec, « car il conditionne la bonne intégration de la personne âgée dans l'institution ».

Mais au-delà de l'accueil, la relation entre l'institution et la famille s'inscrit dans le temps. Il est alors essentiel de trouver la juste place des uns et des autres, en évitant les solutions extrêmes : trop faire pour les familles ou ne rien faire pour elles. L'association Ages et vie - service de prise en charge à domicile des personnes âgées - organise des réunions trimestrielles entre les familles et les professionnels (3). Les uns et les autres expriment leurs difficultés et comprennent sans doute mieux leurs logiques respectives. Et ce dialogue est d'autant plus important que dans la prise en charge à domicile, les familles supportent mal l'intrusion de plusieurs professionnels dans leur maison (infirmières, aides-ménagères, médecins...), vécue comme une véritable agression.

Bénévoles et/ou salariés ?

Les bénévoles, quant à eux, entretiennent également des relations complexes - et parfois franchement tendues - avec les professionnels ou les directions des établissements. « Les bénévoles remplaceront-ils les salariés dans la mesure où il y a de moins en moins d'argent dans le social ? », s'interroge Dan Ferrand Bechmann. « Auparavant, les bénévoles et les salariés ne remplissaient pas les mêmes tâches. Mais cela a changé. Désormais, les actions des bénévoles permettent de faire des économies. » D'autant que l'on parle de plus en plus souvent de la nécessité de les former, à un moment où « les personnels des établissements n'ont eux-mêmes pas accès à certaines formations », s'étonne un directeur d'établissement. Tout dépend alors de la définition que l'on donne à la mission du bénévole et à ses limites. Les notions de contractualisation et d'évaluation des tâches accomplies deviennent là aussi essentielles, d'où l'importance du projet d'établissement. « Le bénévole doit intervenir dans un cadre soigneusement défini : il arrive tel jour à telle heure, pour mener telle activité. Il n'accompagne pas la personne âgée aux toilettes, il ne parle pas à sa place et il ne doit pas dire aux professionnels ce qu'ils ont à faire », souligne Christiane Kermarrec, qui précise : « Il ne s'agit pas de former les bénévoles au travail social, mais à la relation sociale. Ils ne se substituent pas aux professionnels. »

Contractualiser

« Cadrer » les bénévoles, c'est ce qu'a dû entreprendre Marianne Hamelin lorsqu'elle a pris la direction de la résidence pour personnes âgées des Tisons, à Coulaines, dans la Sarthe, il y a un an et demi (4). Les bénévoles assuraient l'ensemble des animations, visitaient les résidents malades et étaient tellement investis dans leur rôle qu'ils en oubliaient la présence des professionnels. « Leur travail était important, notamment au niveau relationnel, souligne la directrice. Ils faisaient le lien avec la cité, c'était un enrichissement pour les personnes âgées, il était important que cela perdure. » Mais il fallait également qu'ils respectent la place des professionnels. Marianne Hamelin, à force de patience et de diplomatie, a organisé des réunions afin de revoir ce mode de fonctionnement. « Depuis maintenant six mois, nous faisons une réunion mensuelle, avec les représentants des résidents, les bénévoles, les agents volontaires pour réfléchir sur les actions à mener en matière d'animation. A tout moment, le résident est au centre de la réflexion. »

Même si l'apprivoisement des uns par les autres est une tâche difficile, il n'en reste pas moins, comme le souligne Dan Ferrand Bechmann, « que les bénévoles ont leur place dans les institutions, car il y a des tâches que l'on ne peut pas professionnaliser, pour des raisons économiques mais surtout humaines. »

Anne Ulpat

Notes

(1)   « Faut-il avoir peur des familles et des bénévoles ? », les 12 et 13 juin 1997 - Fédération nationale des associations de directeurs d'établissements et services pour personnes âgées : 56, rue Paradis - 13006 Marseille - Tél. 04 91 54 16 60 - Fax : 04 91 54 00 91.

(2)  CPDG : 5, rue de la Liberté - 38000 Grenoble - Tél. 04 76 63 32 00 - Fax : 04 76 51 37 22.

(3)  Ages et vie : 2 bis, rue d'Ivry - 94400 Vitry-sur-Seine - Tél. 01 46 81 15 35 - Fax : 01 46 82 77 78 - Voir ASH n° 1971 du 19-04-96.

(4)  Les Tisons : 2, rue de Paris - 72190 Coulaines - Tél. 02 43 82 08 08.

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