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Répondre à la souffrance des mères isolées

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Comment accompagner vers l'autonomie les mères isolées, confrontées à la solitude et à l'exclusion sociale ? Les professionnels des lieux d'accueil mères-enfants s'interrogent sur leurs fonctions.

Pour répondre aux situations de monoparentalité à risques, deux types de structures peuvent accueillir les mères isolées : les centres maternels, destinés aux femmes enceintes et aux mères avec enfants de moins de 3 ans, et les centres d'hébergement et de réadaptation sociale  (CHRS), exclusivement féminins ou ouverts à toute personne en détresse, dont les femmes seules avec enfants. Hébergeant des populations fragilisées sur le plan social, les différents lieux d'accueil mères-enfants  (LAME) sont aussi confrontés à la souffrance psychique qui est souvent le lot des victimes d'exclusion. La prennent-ils en compte et comment ?Autrement dit, ces structures sont-elles aussi des lieux de soins ou contribuent-elles seulement à favoriser la paix sociale ? Volontairement provocateur, ce questionnement était au cœur des journées d'étude, récemment organisées à Paris, par l'Association nationale des professionnels et acteurs de l'action sociale et sanitaire en faveur de l'enfance et de la famille (1).

Eviter la stigmatisation

A considérer uniquement l'appellation des différents lieux d'accueil, il s'avère qu'elle ne traduit nullement de dimension thérapeutique, explique Marie-Claire Mate, maître de conférences à l'unité de psychologie de l'université Toulouse-Le Mirail. A travers la diversité de leur intitulé tels que « maison », « centre », « hôtel », « foyer », c'est en effet la notion d'hébergement qui est très largement mise en avant par les LAME, et ils l'associent souvent aux caractéristiques de la population accueillie (« maternel », « enfance » ). De même, les personnes hébergées seront-elles toujours désignées sous le seul vocable de « résidentes »  ? Quand on se tourne du côté de la qualification des personnels attachés à ces structures - et non des compétences extérieures auxquelles il est fait appel -, l'universitaire fait observer, à partir d'une large enquête réalisée en 1993 par l'Anpase, qu'on ne rencontre pas non plus l'idée de soins. Celle d'éducation est en revanche très prégnante, à travers l'omniprésence des éducateurs de tous bords : techniques, spécialisés, de jeunes enfants, moniteurs. Tout à la fois identifiés comme des lieux d'hébergement et d'éducation, les lieux d'accueil se donnent un certain nombre d'objectifs. Ceux qui sont explicités dans les documents écrits qu'elle a pu consulter, confortent la psychologue dans son analyse. Il ne s'agit en effet, souligne-t-elle, ni de projets d'établissements, ni de projets de soins, ni de projets de vie, mais de projets pédagogiques. Directement liés aux caractéristiques des résidentes, majoritairement célibataires, le plus souvent sans logement, sans argent et sans travail, ils visent avant tout leur autonomisation et leur réinsertion socio-professionnelle. Dans ce but, les points forts du dispositif s'articulent autour de deux mots clés : l'aide et l'accompagnement. Mais de l'accompagnement, fait observer Marie-Claire Mate, « rien ne nous dit qu'il soit thérapeutique, alors que ce pourrait être enfin l'occasion d'indiquer, clairement, la prise en compte de la souffrance psychique et de son traitement ». Il est bien question d'écoute, de soutien, de suivi, de référent, d'observations systématiques et de bilans, mais c'est régulièrement la dimension éducative des « contrats » à mettre en place avec les femmes qui est soulignée. Gérer un budget, respecter des horaires, maintenir la propreté d'un environnement, préparer des repas, assumer les contraintes de l'existence d'enfants sont autant de comportements considérés « d'autant plus éducatifs qu'ils se déroulent sous le regard et le contrôle de l'environnement institutionnel », commente la psychologue. « Dans ces lieux de vie où on prend soin des femmes en souffrance », rien ne signale explicitement cette fonction qu'assument les établissements, en plus de leur visée éducative - ou rééducative. Cela ne veut pas dire que les problèmes psychologiques des résidentes échappent à l'observation des professionnels, ajoute Marie-Claire Mate  mais ces derniers sont sans doute soucieux d'éviter, autant que faire se peut, les effets négatifs du « syndrome de l'étiquette ». Cependant, l'énoncé systématique de ces trois composantes - vie, soins, éducation - comme autant de têtes de chapitre du projet d'établissement, pourrait restituer leur véritable dimension aux actions menées, et en accroître la lisibilité.

Un autre regard sur la maternité

« L'étiquette qu'on vous colle est sociale, mais vous êtes avant tout des lieux où se déroulent des débuts de vie et ce tournant de l'existence qu'est une maternité », renchérit le docteur Jean-Marie Delassus, responsable du secteur de pédopsychiatrie de Versailles et chef de service à l'unité de maternologie de Saint-Cyr-l'Ecole. Et le médecin d'enjoindre aux professionnels des LAME, l'adoption d'un regard « maternologique » et pas seulement sociologique, pour ne pas confondre les difficultés maternelles et les problématiques sociales. Evoquant l'origine du mal-être des mères, susceptible de perturber leurs relations avec leur bébé, le Dr Delassus défend la nécessité de prendre en considération la maternité comme un état psychologique spécifique, et non comme un simple processus physique. A partir de là, développe-t-il, on peut alors comprendre et soigner les souffrances maternelles le plus tôt, c'est-à-dire aussi le plus efficacement possible au regard du développement des enfants. Bien sûr, reconnaît le médecin, la prise en charge thérapeutique des difficultés des mères ne peut pas être le fait des lieux d'accueil mères-enfants : telle n'est pas leur vocation et ils n'ont pas le personnel qu'il faut pour cela. Mais « si vous avez un regard de fond sur la maternité et n'êtes pas uniquement préoccupés des facteurs sociaux qui peuvent l'affecter, devait affirmer Jean-Marie Delassus aux professionnels réunis, vous serez alors des soignants : sans vous engager vous-mêmes dans un processus thérapeutique, mais en passant du jugement au diagnostic, vous inscrirez votre établissement dans un réseau de soins parce que vous serez vous-mêmes obsédés par la maternité psychique ».

La demande des mères

Même si les difficultés psychologiques des femmes, nuisant à la constitution du lien mère-enfant, ne sont pas forcément la conséquence de leurs problèmes sociaux, il n'en reste pas moins que la demande des mères est d'abord fonction de la réalité de leur exclusion. « Un toit », « un endroit pour se poser et reprendre des forces »  : telle est la motivation essentielle des femmes qui cherchent à intégrer un centre maternel, et non pas le désir d'un soutien thérapeutique pour elles-mêmes. Il leur arrive bien sûr d'ajouter qu'elles souhaitent « apprendre à s'occuper du bébé », « à être une bonne mère » voire « une vraie mère », précise Marie-Christine Puillet, assistante sociale au centre maternel départemental du Rhône. Mais cette demande d'aide pour l'enfant est parfois fortement induite, chez les femmes, par les travailleurs sociaux qui les aident à rédiger efficacement leur courrier en vue d'une admission... Ce tri entre les candidatures fait réagir Sandrine Sanchez, conseillère en économie sociale et familiale au CHRS Crimée, à Paris. « Pourquoi les centres maternels refusent-ils les situations les plus lourdes, alors que nous, dans les CHRS, nous ne disposons pas, comme eux, des équipements médico-sociaux et éducatifs appropriés ? » Et de stigmatiser la sélection draconienne opérée à l'entrée par certains foyers : si, faute de place, ces derniers ne peuvent de toute façon pas répondre à l'intégralité des demandes, il leur arrive quand même, soudainement, de ne plus se dire complets quand on leur présente le cas « attrayant » d'une femme en situation régulière, primipare et titulaire d'un emploi...

« Un centre maternel a ses limites », rétorque Bernard Guillou, directeur du centre des Lilas (Paris), qui revendique souplesse et marge de manœuvre au niveau des entrées. « Parce que nous réunissons des mères isolées aux parcours chaotiques, sans soutien relationnel ni expérience professionnelle, c'est-à-dire'instabilisées" sur tous les plans, nous devons nécessairement maîtriser nos admissions afin de veiller au respect d'un certain nombre d'équilibres », explique le responsable des Lilas. Bernard Guillou s'affirme ainsi mal équipé pour accueillir des femmes toxicomanes, alcooliques ou en trop grande difficulté psychologique, voire psychiatrique. Compte tenu de la disproportion entre la quantité de demandes - 573 en 1996 - et le nombre de places disponibles - 34 la même année -, cette sélection est d'autant plus délicate, ajoute Philippe Fourcade, directeur adjoint du centre, qu' « on ne peut pas se tromper, faute de quoi on priverait une autre jeune femme d'une prise en charge dont elle a vraiment besoin ».

L'épreuve de la sortie

En raison de cette pénurie - surtout en région parisienne - mais aussi pour cause de restrictions financières, les séjours en centre maternel se raccourcissent comme une peau de chagrin, alors qu'ils peuvent se prolonger deux, voire trois ans, en centre d'hébergement, déplore Joëlle Lévêque, éducatrice spécialisée à l'Œuvre normande des mères (Rouen). Or, habituées à une structure très enveloppante, voire maternante, les jeunes mères éprouvent souvent, à leur sortie de centre maternel, un réel sentiment d'abandon. « Elles se retrouvent de ce fait dans une situation d'insécurité qui les fragilise à nouveau et fait resurgir leurs difficultés, mettant en résonance la rupture qui les a amenées au foyer », explique Danièle Henriques, éducatrice spécialisée au centre départemental de l'enfance de Montauban. C'est ce qui a conduit ce dernier à imaginer, pour les femmes qui le désirent, un accompagnement de transition, plus soutenu que le simple étayage pouvant exister ici ou là. Au cœur du dispositif mis en place depuis 1986, d'abord pour une durée maximale de deux mois, mais qui se déroule aujourd'hui en moyenne sur six mois, un éducateur, rattaché à l'équipe du centre maternel, a pour mission de faire le lien entre le passé et l'avenir, c'est-à-dire entre l'institution qui a été le témoin de l'épreuve traversée et le dépositaire d'éléments importants et cet environnement nouveau et anonyme, au sein duquel la mère doit trouver ses repères. Qu'il s'agisse de formation et de travail, de soutien éducatif par rapport à la prise en charge des enfants et/ou d'aide psychologique personnelle, cet éducateur-passeur poursuit, dans le cadre de la réalité extérieure, le travail entrepris au foyer, et sert de trait d'union avec les travailleurs sociaux du terrain - ce dont ces derniers, d'ailleurs, se félicitent, car ils ne peuvent pas toujours offrir une présence aussi importante. « Faisons-nous alors du soin ou de l'accompagnement social ? », interroge Danièle Henriques. Forcément les deux à la fois car « notre rôle est de prendre en compte chaque individu dans sa globalité ». Cela revient aussi à mettre l'accent sur le nécessaire partenariat que les acteurs des lieux d'accueil mères-enfants doivent savoir mettre en place. Un « bouturage » qui vise à réaccrocher, en douceur, les mères à d'autres interlocuteurs (bailleurs pour leur logement, institutrices de leurs enfants, etc.).

Caroline Helfter

Notes

(1)   « Lieux d'accueil mères-enfants, lieux de soins ou réponse sociale ? », les 28,29 et 30 mai - Anpase : BP 4 - 76380 Canteleu - Tél. 02 35 52 43 70 - Fax : 02 35 52 44 70.

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