Dans son rapport 1996 (1), rendu public le 2 juillet, l'inspection générale des affaires sociales (IGAS) consacre un long chapitre à la mutation des services du ministère du Travail. Outre la décentralisation de la formation professionnelle des jeunes - en voie d'achèvement - et la déconcentration progressive des politiques de l'emploi, ceux-ci sont confrontés à la territorialisation des dispositifs et à la multiplication des acteurs producteurs de normes juridiques relatives au travail, constate ainsi la mission. Aussi la mise en œuvre des dispositifs est-elle rendue délicate puisqu'elle suppose la négociation avec les acteurs économiques, ce qui exige « une action vigoureuse de promotion » de la part des services de l'Etat ainsi qu'une « capacité d'expertise et de conseil ». C'est ainsi que le rapport relève la très faible utilisation de la mesure expérimentale des aides à la réduction et à l'aménagement du temps de travail créée en 1993 et réformée par la loi « de Robien » : une quinzaine d'accords seulement étaient conclus lors de la rédaction de ce bilan (2). Par ailleurs, les services de l'Etat doivent également modifier leur logique d'intervention en raison de l'élargissement des partenariats qu'impliquent certains dispositifs. L'IGAS porte ainsi un regard mitigé sur les guichets initiative-emploi, créés en juillet 1995 et qui devaient être installés dans chaque département au 30 septembre de la même année (3). D'après une évaluation menée dans 11 départements, il apparaît que l'activité de ces services reste faible et que leurs prestations sont très variables. Le guichet ne propose que rarement une assistance pour l'accomplissement des formalités administratives et le montage des dossiers. Il intervient moins encore dans la gestion des offres d'emploi ou la recherche de candidats. Aussi l'IGAS et l'inspection générale de l'administration recommandent-elles « une stratégie plus active », basée sur une meilleure complémentarité avec les services existants et un minimum de moyens.
Sur la politique d'insertion par l'activité économique, le jugement de la mission est extrêmement sévère. Faute d'une clarification affichée des rôles respectifs des acteurs locaux et des services de l'Etat, ces derniers « privilégient le plus souvent une logique de gestion de mesures ». « Fréquemment, les aides sont attribuées en l'absence d'objectifs et de priorités explicites », relèvent les rapporteurs, évoquant le cloisonnement des intervenants, les doctrines « peu harmonisées et floues ». Ou encore les incohérences résultant du fait qu'avec la multiplication des politiques transversales (ville, RMI...), « personne ne dispose d'une vision d'ensemble des financements accordés aux structures d'insertion ». Seule exception : les plans locaux d'insertion économique (PLIE) qui favorisent la coordination des initiatives. Certains d'entre eux mettent ainsi l'accent sur l'aide au démarrage, à la faisabilité des projets ou aux critères de sortie des publics bénéficiaires... Notant le faible souci de contrôle et d'évaluation, l'IGAS propose de simplifier les procédures par la constitution de dossiers uniques. Et insiste sur la nécessité pour l'Etat d'affirmer sa fonction d'animation en coordonnant davantage les interventions.
Autre critique, la pauvreté du volet emploi des contrats de ville. Celui-ci est souvent « réduit à la formulation imprécise de quelques objectifs », quand il ne renvoie pas simplement à la conclusion d'un PLIE. Mais surtout, la mission constate la difficulté des DDTEFP à inscrire leurs actions au niveau des quartiers en difficulté et à « combiner la logique des publics prioritaires avec celle des territoires prioritaires ». Les instruments statistiques faisant d'ailleurs « cruellement » défaut. Quant au fonds interministériel pour la ville, il est souvent devenu un circuit de financement supplémentaire et parallèle « rarement intégré dans un pilotage d'ensemble ». Aussi les rapporteurs formulent-ils quatre conditions pour réellement développer le volet emploi des contrats de ville : expliciter les objectifs, harmoniser le cadre géographique, affiner les outils de diagnostic et de suivi, stabiliser les conditions de gestion...
Ces évolutions appellent une transformation des organisations, des métiers et des savoir-faire, relève l'IGAS. Laquelle note avec satisfaction l'amorce de « la construction d'une approche stratégique régionale » avec les nouvelles DRTEFP nées de la fusion des DRTE et des DRFP en 1995 (4). Néanmoins, faut-il encore affiner les instruments, les méthodes et mieux valoriser les fonctions transversales et d'expertise. Par ailleurs, la déconcentration pose encore « des problèmes mal résolus de répartition des responsabilités » entre l'échelon départemental et régional. L'inspection évoque également la nécessité de moderniser les modes de management et surtout de renforcer le pilotage, le suivi et le contrôle interne sur les services territoriaux. « L'administration centrale conçoit avant tout sa fonction en termes de cadrage juridique, d'impulsion et d'instruction », mais le contrôle de la mise en œuvre sur le terrain n'est pas encore entré dans les habitudes. D'où certains décalages. Et l'IGAS de citer pour exemple l'accès des bénéficiaires du RMI aux contrats initiative-emploi (CIE). « L'administration ne disposait pas des procédés de comptabilisation requis », plus d'un an après la formulation par le Premier ministre de l'objectif selon lequel 25 % des CIE signés devaient toucher des bénéficiaires du RMI, déplore-t-elle. D'où la sous-estimation de ces derniers, estimés fin 1995 à 9,46 % dans les statistiques nationales. Leur nombre étant réévalué par l'IGAS entre 12 % et 14 %. L'inspection obtenant ensuite l'aménagement du suivi statistique.
Insistant donc fortement sur la nécessité de l'évaluation, la mission estime que celle-ci suppose « que soit a priori acceptée la remise en question du dispositif considéré ». Une condition « problématique » dans un secteur soumis à un renouvellement très rapide des priorités et moyens d'intervention. En conclusion, le rapport reconnaît donc les efforts d'adaptation « considérables » des services du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle. Néanmoins, c'est « la conception même des politiques » qui doit s'adapter en termes de simplicité et de stabilité.
Autre volet sur lequel l'IGAS se montre très critique : les délégations de gestion exercées au sein du ministère des Affaires sociales et de la Santé (qui concernent notamment l'OMI, le FAS, le SSAE, France Terre d'asile, l'ENSP et Drogue info service). Le recours à celles-ci « n'est pas maîtrisé », déplore-t-elle, estimant qu'il s'agit d'un « champ mal circonscrit » et hétérogène. On compte, en effet, 60 organismes différents (dont 20 de sécurité sociale à vocation nationale) ayant une relation de tutelle effective, de droit ou de fait, avec le ministère. Hors sécurité sociale, cela représente plus de 12 000 personnes (dont 5 000 à l'INSERM), soit presque l'équivalent de l'effectif budgétaire du ministère des Affaires sociales (14 000 emplois). En outre, on trouve sept types de statuts différents. Sans compter « la diversité des cadres réglementaires » dans lesquels s'effectue l'exercice de la tutelle. A cette confusion des structures, poursuit l'IGAS, s'ajoute « le flou des missions ». Quant à « l'absence d'objectifs mesurables » assignés aux organismes sous tutelle ou financés, elle explique, selon l'IGAS, que le ministère tente rarement d'évaluer l'efficacité de ces derniers, même lors des négociations budgétaires. Ce qui « fait obstacle à toute évaluation du rapport utilité/coût des actions menées » et rend impossible toute comparaison entre organismes ou secteurs. Par ailleurs, « les relations entre le ministère et les organismes délégataires sont souvent critiquables » . Ainsi, le financement direct des organismes est jugé peu cohérent car il constitue une part importante de leur budget tout en étant « tardif et aléatoire ». D'où, pour certaines structures, une grande fragilité financière. Quant aux mesures indirectes de financement, elles sont « opaques » et contraignent parfois à des montages complexes. Enfin, sachant que l'activité des organismes délégataires intéresse souvent plusieurs directions du ministère, des « carences » sont constatées en matière de coordination et de soutien technique.
Comment remédier à ces difficultés ?Pour l'IGAS, il faut, avant tout, limiter le nombre des délégations de gestion relevant du niveau central. Pour cela, le champ sur lequel s'exerce la tutelle ministérielle doit être « clarifié et simplifié ». Non seulement grâce à un état des lieux périodique du fonctionnement des structures existantes mais, aussi, par un « examen approfondi » de tout projet de création d'organisme. Par ailleurs, afin de renforcer la cohérence du dispositif, il est proposé de « substituer progressivement à la démarche d'émiettement et de spécialisation suivie jusqu'ici, une approche visant à constituer [...] un nombre restreint de'bras séculiers" du ministère ». En outre, il est recommandé de mettre en place une stratégie de contrôle et de tutelle, notamment par la négociation de contrats d'objectifs avec quelques organismes importants (l'IGAS ne précise pas lesquels). Enfin, il s'agit d'améliorer la coordination entre les autorités de contrôle et de tutelle. A cet effet, un chef de file pourrait être désigné pour chaque organisme et des procédures d'information et de concertation développées.
(1) Disponible à la Documentation française - 150 F. Sur le rapport 1995, voir ASH n° 1976 du 24-05-96.
(2) Voir ASH n° 1995 du 1-11-96.
(3) Voir ASH n° 1935 du 14-07-95.
(4) Voir ASH n° 1908 du 5-01-95.