« En France, on parle beaucoup plus facilement de sexualité que de troubles psychiques. On a trop longtemps considéré qu'il s'agissait de maladies honteuses. Ce que souhaite le Conseil économique et social, c'est que le regard sur la maladie mentale change et que l'on en parle comme des autres types d'affections. » C'est un vibrant appel à « lever le tabou sur la maladie mentale » qu'a lancé, le 1er juillet, le psychiatre Pierre Joly en présentant son rapport et son projet d'avis sur la « prévention et les soins des maladies mentales », au nom de la section sociale du Conseil économique et social (CES) (1). Les chiffres ? Une personne sur cinq a été, est ou sera atteinte de troubles psychiques et ce type d'affections représente plus de 15 % des dépenses d'assurance maladie. « C'est donc un problème de société qui nous concerne tous », s'enflamme-t-il, plaidant pour la définition d'une véritable politique de santé mentale dépassant le cadre du seul secteur psychiatrique. D'où, pour lui, la nécessité d'organiser un large débat impliquant non seulement l'administration et les spécialistes mais aussi les personnes en souffrance, leur famille, les associations, les élus locaux et, plus généralement, l'ensemble du champ sanitaire et social.
Ce débat, qui pourrait prendre la forme de « conférences de consensus », aurait pour objectif de poser les bases d'une loi d'orientation « définissant les principes d'organisation et fixant les étapes permettant de fonder une politique de santé mentale moderne ». Celle-ci, précise le rapporteur, comporterait, entre autres, un volet communication sur la maladie mentale, les troubles psychiques et la psychiatrie. Car, insiste-t-il, « l'image du malade et de celui qui le soigne est déplorable, elle contribue au renfermement de la psychiatrie et pénalise toute tentative de prévention efficace ».
Afin d'ouvrir des pistes en vue de cette vaste consultation, Pierre Joly développe, au fil de son rapport, une série de réflexions et de propositions articulées autour de trois axes. En premier lieu, indique-t-il, il s'agit de « mettre le malade au centre de la politique de santé mentale » et, surtout, d'affirmer ses droits. Reprenant certaines propositions du Groupe national d'évaluation de la loi du 27 juin 1990 (2), il souhaite ainsi la mise en place, selon des modalités précises, d'une « période d'observation de 48 à 72 heures avant toute entrée en hospitalisation sans consentement ». De même, il prône la fusion, en un seul régime, des hospitalisations d'office et à la demande d'un tiers. En outre, il recommande de limiter les restrictions à la liberté d'aller et de venir et souhaite l'instauration d'un « droit au consentement au traitement, excepté en cas de danger grave pour l'état de santé de la personne ». Quant à l'hospitalisation sous contrainte d'un mineur, elle devrait faire l'objet d'un signalement au juge des enfants. Enfin, concernant l'article L. 122 du nouveau code pénal relatif à la responsabilité en cas de crimes et délits en état de démence, il estime nécessaire « dans une visée à la fois pédagogique et thérapeutique, que le caractère répréhensible de l'acte soit clairement affirmé et la condamnation prononcée même s'il doit être tenu compte de circonstances atténuantes ». Une position qui a divisé la section des affaires sociales du CES mais a finalement été soutenue par la majorité de ses membres.
Deuxième axe : achever et compléter le processus de sectorisation. « Il faut reconnaître que la sectorisation connaît des applications bien inégales et qu'elle n'est pas encore achevée », constate le rapporteur. Ainsi, celui-ci juge indispensable d' « harmoniser l'ensemble », même au prix de redéploiements qui s'opéreraient, d'abord, de l'hôpital spécialisé vers le secteur, puis des secteurs les mieux pourvus vers les moins favorisés, en fonction des besoins des populations. Quoi qu'il en soit, le secteur demeurerait la cellule de base du dispositif de prévention et de soins, à condition, est-il précisé, d'être doté des moyens matériels et, surtout, humains suffisants. Néanmoins, l'achèvement de la sectorisation « nécessitera du temps tant les marges de manœuvre sont faibles », prévient Pierre Joly. Aussi devra-t-elle s'accompagner d'une « planification fixant des objectifs réalistes à atteindre ».
Parallèlement, il est préconisé une ouverture du secteur sur son environnement sanitaire et social afin de « mieux accueillir le malade ». Ce qui passerait, notamment, par la création de réseaux pluridisciplinaires regroupant les médecins généralistes et les différents acteurs sociaux. De même, le nombre des centres médico-psychologiques, véritables portes d'entrée dans le dispositif (avec les services d'urgence hospitaliers), devrait être multiplié, tant en milieu urbain que rural. Autres idées : développer les alternatives à l'hospitalisation (notamment grâce à l'installation d'un hôpital de jour dans chaque secteur), améliorer la liaison avec le réseau sanitaire non spécialisé (par exemple en renforçant le système des urgences psychiatriques), revaloriser les métiers de la psychiatrie (en particulier celui d'infirmier psychiatrique) et mettre en place un véritable système d'évaluation.
Troisième partie du rapport : la prévention des troubles psychiques. Un point sur lequel Pierre Joly insiste énormément. « En la matière, on consulte toujours trop tard », déplore-t-il, constatant que la sectorisation n'est pas toujours bien armée, surtout en ce qui concerne les personnes souffrant de troubles psychiques mais qui ne sont pas à proprement parler malades mentales. Dans ce domaine, estime-t-il, le secteur doit jouer son rôle mais il faut également « développer des consultations spécialisées dans tous les hôpitaux généraux », comme pour n'importe quelle autre discipline médicale. « Ce faisant, le soin des troubles mentaux et psychiques sera dédramatisé. » De même, il propose qu'après évaluation, « l'intervention d'un psychologue, sous réserve qu'elle soit faite sur prescription médicale, soit prise en charge par la sécurité sociale ».
Ce souci de prévention s'étend, évidemment, aux enfants et aux adolescents avec la nécessité de renforcer les structures médicales, sociales et psychologiques à l'école et d'instaurer un secteur spécifique pour adolescents et jeunes adultes en s'appuyant sur les services de médecine scolaire et universitaire. Par ailleurs, concernant la psychopathologie du travail, il s'agit d'ouvrir le chantier de « la reconnaissance, de la prise en charge et de la réparation de la souffrance mentale au travail mais aussi de celle des personnes privées d'emploi ». Quant à la prise en charge des troubles liés à l'exclusion sociale et professionnelle, il est recommandé que les équipes de secteur soient représentées lors des réunions des commissions locales d'insertion. Le rapport reprend également plusieurs propositions du groupe « Psychiatrie et grande exclusion » (3), en particulier l'obligation, pour le secteur psychiatrique, de préparer la sortie des patients atteints de troubles psychiatriques chroniques en lien avec le réseau sanitaire et social, et la création d'unités d'accueil pour les personnes en situation de détresse psychologique ou psychosociale.
(1) Prévention et soins des maladies mentales - Bilan et perspectives - Ce rapport sera édité par la Documentation française.
(2) Voir ASH n° 2009 du 7-02-97.
(3) Voir ASH n° 1980 du 21-06-96.