« L'avenir ? Je ne sais pas, je n'ai pas envie d'en parler, je suis très angoissée... Je voudrais trouver un établissement qui puisse l'aider... », formule avec peine la mère d'un jeune autiste. « En tout cas, elle n'ira jamais à l'hôpital psychiatrique. Je préfère l'emmener avec moi au paradis », assure avec émotion cette grand-mère en évoquant l'avenir de sa petite-fille, adolescente, qu'elle élève à son domicile. Une succession filmée de témoignages forts, impitoyables pour nos institutions dites de soins, a ouvert la journée nationale de l'association Autisme France (1). Celle-ci regroupe des parents d'enfants autistes et des professionnels qui se sont battus pour faire reconnaître les bienfaits d'une prise en charge éducative des autistes en réaction au monopole exercé par les tenants de l'approche psychanalytique.
Au centre de cette journée, l'avenir de ces jeunes, sachant qu'il y aurait actuellement entre 18 000 et 40 000 personnes, âgées de 25 à 55 ans, atteintes de ce syndrome... et seulement 5 200 prises en charge en institution. Les autres... ? Un « trou noir » dénoncé notamment dans un rapport de l'IGAS, dans la foulée du rapport de l'ANDEM puis de l'avis du Comité national d'éthique. Une panoplie qui fut suivie d'un plan d'action, de financements, exceptionnels en 1995, mais qui le furent moins depuis, d'une circulaire et d'une loi (2). Malgré ces efforts récents, les solutions de prise en charge à la sortie de l'adolescence - de l'IME en section renforcée au CAT, en passant éventuellement par des unités de jour rattachées au secteur de psychiatrie ou en foyers pour les moins atteints - sont non seulement insuffisantes mais le plus souvent inadaptées. Certains tentent pourtant de montrer la voie en proposant un projet individualisé et un accompagnement social de la personne et de sa famille. Avec le souci d'une démarche fondée sur la qualité de vie de la personne autiste.
En première ligne, l'hôpital psychiatrique.3 000 personnes y seraient actuellement accueillies. Or, ce type de placement qui devrait être la solution ultime, réservée à des périodes de crise, représente trop souvent encore la seule issue. « La plupart des autistes n'ont rien à y faire. L'hôpital n'a aucune vocation à être un lieu de vie. Il ne peut apporter qu'une réponse d'ordre médicamenteux », affirme, en connaissance de cause, la psychiatre Catherine Milcent (hôpital Charcot, Yvelines). Militante convaincue du bien-fondé de la prise en charge éducative, importatrice en France du programme américain TEACCH (3), elle a, en trois ans, avec l'équipe médico-sociale de son service, reconverti un pavillon où végétaient 28 arriérés profonds, diagnostiqués autistes. Moyenne d'âge : 40 ans, et plus de 30 ans passés en hôpital psychiatrique. Certains avaient été lobotomisés. La plupart étaient attachés à même le sol sans vêtements... Adaptation des locaux, suppression progressive des neuroleptiques et prise en charge éducative à travers des ateliers où chacun est intégré, quel que soit son handicap, ont abouti à la sortie de 12 autistes du service vers des lieux de vie, des foyers à double tarification, etc. Preuve, soutient-elle, qu'ils sont « capables d'adapter leur comportement ».
« Les équipes de professionnels qui peuvent accueillir ces personnes, comme les maisons d'accueil spécialisées [MAS] ou les foyers, ont toutes compétences pour traiter leurs troubles sur place, estime le Dr Milcent. Elles ne devraient faire appel au service psychiatrique qu'à l'occasion d'une consultation ponctuelle ou pour réajuster un sevrage médicamenteux, lorsque le personnel a besoin d'un temps de répit. » Pas si simple pourtant. Tant il est vrai que si les équipes éducatives et médico-sociales s'avouent démunies face à ce handicap, l'absence de formation n'est pas seule en cause. La lourdeur de la prise en charge a aussi de quoi les faire reculer : absence de communication verbale, agressivité, comportements d'automutilation, énurésie, parfois encoprésie, etc., expliquent aussi la difficulté, indépendamment de l'insuffisance du nombre de places, de leur trouver un hébergement en institution. Lesquelles n'ont d'ailleurs pas clos le débat sur la nécessité ou non de mêler les handicaps.
Création de places : selon le bilan des schémas régionaux sur l'autisme réalisé à mi-parcours par la direction de l'action sociale (DAS), on compte 327 places créées en 1997 pour les personnes autistes pour un coût total de 50 MF, en sus de 631 places créées depuis 1995 lors du premier appel d'offres (100 MF) et 213 places supplémentaires financées par redéploiements de crédits régionaux. Soit un total de 1 171 places nouvelles en deux ans (voir ASH nº 2025 du 30-05-97).
Création de centres de référence : elle devrait trouver une base législative dans la nouvelle mouture de la loi de 1975 sur les institutions médico-sociales.
Formation continue : la DAS va prochainement s'appuyer sur les conclusions d'un groupe de travail sur la formation continue des professionnels pour proposer des modules, notamment en direction des personnels de l'éducation spécialisée, axés sur l'approfondissement de l'intervention éducative et la recherche, avec stages en établissements. Un appel d'offres devrait aboutir à une labellisation de cette formation qui devrait couvrir le territoire d'ici à deux ans.
Evaluation : un groupe d'experts va être mis en place par la DAS pour travailler sur l'évaluation des pratiques de prise en charge des personnes atteintes d'un syndrome autistique.
La MAS de Rochefort-sur-Mer, gérée par les Œuvres hospitalières françaises de l'ordre de Malte (4), a justement choisi de concentrer les moyens en créant un centre spécialisé pour une douzaine de jeunes autistes - le centre Saint-Jean -ouvert toute l'année, 24 heures sur 24, depuis novembre 1996. « Nous accueillons des cas plutôt lourds, pour lesquels il est impensable d'envisager une insertion scolaire en classe intégrée, encore moins professionnelle, même en milieu protégé. Ils ont besoin d'une prise en charge spécifique, à laquelle le personnel peut désormais se consacrer », explique le directeur, Gérard Verrecchia. Grâce à un ratio d'encadrement proche de un pour un, qui a fait partie des négociations menées d'arrache-pied entre 1992 et 1996 pour obtenir les financements nécessaires (5). Coûteux, ce type d'équipement va-t-il pouvoir se multiplier alors que les finances publiques sont dans le rouge et, surtout, que l'on ignore encore l'impact du redéploiement des établissements sanitaires vers le secteur médico-social ?
Avant l'entrée dans le centre, le résident est adressé à un centre de référence qui effectue le diagnostic (6). L'équipe reçoit les familles, travaille avec elles le projet de vie de leur enfant qui, bien souvent, « est inexistant parce qu'elles n'ont jamais pu se projeter dans l'avenir », constate la psychologue Carole Tardif. Le peu de recul autorise néanmoins l'équipe à faire le constat que, lorsqu'il y a préparation des jeunes dès l'enfance, leur compréhension à l'âge adulte est plus rapide. Ils acquièrent plus facilement des repères et acceptent mieux le changement. Un plaidoyer pour l'approche éducative qui va dans le sens des observations de Martine Foubert, psychologue dans un établissement pour adultes géré par l'Adapei, près de Pau : « Je suis frappée par le manque de préparation des jeunes. Nous n'avons pas de diagnostic lorsqu'ils arrivent on ne connaît ni leurs points forts ni leurs points faibles, ni leur degré d'autonomie, ni même leur moyen de communication privilégié. Cela devrait être un objectif essentiel à atteindre pour les personnes qui les ont en charge. » Va pour les professionnels exerçant en institution qui peuvent avoir accès à une formation mais qu'en est-il pour les familles qui restent trop souvent seules face au handicap de leur enfant ? En Italie, le Centre expérimental pour l'autisme, créé en 1992 par une neuropsychiatre pour enfants (7), vient de monter un centre de jour qui reçoit les enfants, mais aussi leur famille pour les soutenir et les aider à gérer le quotidien.
Les perspectives d'insertion professionnelle, même en secteur protégé, sont également délicates, étant donné les caractéristiques comportementales des autistes. Notamment la difficulté de les faire rester à un poste de travail. Le CAT des Maurettes (8), rattaché à l'Adapei des Alpes-Maritimes, a eu l'idée, expérimentale il y a dix ans, aujourd'hui banalisée, de « préparer » leur placement en atelier grâce au financement par le conseil général d'une section d'accompagnement spécialisé. 12 adultes autistes peuvent ainsi bénéficier à temps partiel d'un soutien pédagogique renforcé avant d'intégrer le CAT à mi-temps. « Ils effectuent des activités balisées qui les rassurent. Nous n'avons plus aucun problème de comportement. Parfois jusqu'à l'excès car ils peuvent aussi s'enfermer dans leur travail », constate Jean-Jacques Frantz, directeur du CAT. Pour les encadrer, l'équipe (un éducateur spécialisé et un moniteur-éducateur) a reçu une formation sur l'autisme. « Il faut remettre en cause l'approche éducative classique, précise-t-il. Acquérir de la rigueur et, en même temps, la capacité d'innover. » Mais aussi, sans doute, « oublier » la différence entre le soin et l'éducation. « Si les objectifs que nous poursuivons concernent le développement de la communication et donc de l'autonomie des autistes, je ne vois pas la différence », conclut le Dr Catherine Milcent.
Dominique Lallemand
Béatrice Le Dasniet est assistante sociale à l'hôpital psychiatrique Charcot, à Plaisir (Yvelines), dans le service pour adultes autistes et troubles apparentés. Témoignage. « Le projet du service repose sur une articulation forte entre le bilan médical et l'orientation sociale sur laquelle je travaille. Mon rôle consiste surtout à chercher en permanence des structures d'hébergement capables d'accueillir les autistes de notre service. Le partenariat avec l'ensemble du réseau, associatif en particulier, est évidemment essentiel. Je joue également un rôle d'interface à l'égard des familles lorsque celles-ci viennent accompagner leur enfant pour une évaluation médicale et une orientation. En général, elles sont souvent très mal ou peu informées et contentes de pouvoir être écoutées et conseillées. Tel un VRP, je me déplace, je rends visite aux établissements pour connaître leur fonctionnement, leur présenter notre structure et les besoins des personnes autistes. Je suis aussi le garant de l'après-placement. S'il y a un problème, je me rends sur place pour rencontrer l'équipe, si besoin est, en compagnie du Dr Milcent. C'est un gage de crédibilité pour l'extérieur. Je retourne voir tous les patients qui ont été placés. Lorsqu'ils sont mécontents de me revoir, la partie est gagnée ! Cela prouve qu'ils appréhendent de retourner à l'hôpital et, par conséquent, qu'ils ont bien intégré leur nouveau mode de vie. »
(1) Le 7 juin 1997, à Paris - Autisme France : 1, place d'Aine - 87000 Limoges - Tél. 05 55 37 04 63.
(2) Sur le rapport de l'IGAS, voir ASH n° 1917 du 10-03-95 ; sur la loi n° 96-1076 du 11 décembre 1996 relative à la prise en charge de l'autisme, voir ASH n° 2002 du 20-12-96.
(3) Programme né aux Etats-Unis qui prévoit qu'une personne même autiste doit bénéficier de soins, d'une scolarisation et d'une prise en charge éducative.
(4) Centre Saint-Jean : 95, rue du 14-Juillet - BP 182 - 17308 Rochefort cedex - Tél. 05 46 88 07 32.
(5) Etat et sécurité sociale en fonctionnement ; Etat, CRAMCO, l'ordre de Malte et un emprunt en investissement.
(6) Il n'existe que trois centres de référence qui peuvent effectuer le diagnostic de l'autisme : Tours (CHU Bretonneau), Toulouse (hôpital de La Grave qui ne peut plus fonctionner faute de moyens) et Paris (hôpital Robert-Debré).
(7) Centro sperimentale per l'autismo : Via Sylvio Sbricoli, 8 - 00148 Roma - Tél. 06/655 65 10.
(8) CAT Les Maurettes : avenue des Maurettes - 06270 Villeneuve-Loubet - Tél. 04 93 73 00 19.