Face à l'arrivée de nouveaux intervenants dans le champ social et à une certaine remise en cause des métiers du social traditionnels, cet ouvrage a incontestablement un mérite : celui d'ouvrir la réflexion sur le sens de la pratique d'éducateur spécialisé, aujourd'hui. Au-delà des écrits sociologiques sur la profession, il tente de « mettre en mots » cet aspect essentiel, et pourtant invisible, du travail éducatif, à savoir « la rencontre singulière, un par un, de sujets en souffrance ». En quoi la relation éducative est-elle spécifique ? Comment s'exerce-t-elle ? Sur quelles médiations ? Quelles sont ses limites... ? Autant d'interrogations à partir desquelles Joseph Rouzel propose une série de repères utiles pour les professionnels. Pas question pour autant, comme il s'en défend d'ailleurs, de voir ici un guide pratique à l'usage des éducateurs. Il s'agit davantage pour l'auteur, éducateur spécialisé et formateur, à partir de son cheminement personnel, de tenter de formaliser une pratique sur laquelle les professionnels restent encore trop souvent muets. Avec un parti pris : celui de s'appuyer, après d'autres d'ailleurs, sur les concepts de la psychanalyse. Le seul discours qui prenne la parole des personnes pour point d'appui, espace où exercent d'abord les éducateurs, explique Joseph Rouzel. Lequel pose comme principe que la clinique éducative opère sous transfert. L'objectif pour l'éducateur consistant, finalement, à « transférer le transfert » vers d'autres objets d'investissement.
Mais si l'auteur insiste sur la nécessité de ne pas perdre de vue la rencontre singulière, il n'en oublie pas pour autant le versant politique de l'acte éducatif. « Les éducateurs ont à dire non, là où chaque homme, chaque femme, chaque enfant, n'est plus pris en compte dans sa singularité du sujet. » Mais là s'arrête leur rôle dans un débat qui les dépasse, affirme-t-il, s'insurgeant contre certains discours visant à inciter les professionnels à jouer les pompiers sociaux ou à passer de la réparation à un combat de justice sociale. Pour Joseph Rouzel, l'engagement concret dans la lutte contre l'exclusion passe d'abord par la prise en compte globale des personnes et ensuite « l'exposé au grand jour » de ce savoir-faire. Car les éducateurs ont « le devoir civique et éthique » de partager ce qu'il en est du respect des personnes face aux politiques, défend-il. D'où son plaidoyer pour une véritable reconnaissance de l'écriture comme espace de formalisation de la pratique professionnelle. Vaste chantier auquel cet essai apporte sa pierre.
Le travail d'éducateur spécialisé - Joseph Rouzel -Ed. Dunod - 125 F.