Annoncée le 2 juin par Lionel Jospin, la circulaire présentant le dispositif de réexamen de la situation des « sans-papiers », signée par le ministre de l'Intérieur le 24 juin, vient d'être adressée aux préfets. Un texte qui ne préjuge pas du projet de loi qui sera soumis à l'automne au Parlement souligne Jean-Pierre Chevènement qui entend que soient définies « des règles simples, réalistes et humaines pour le séjour des étrangers » permettant l'intégration républicaine sur le territoire national et le codéveloppement avec les pays d'origine.
D'entrée de jeu, il est demandé aux préfets de procéder, « à titre exceptionnel, à un réexamen de la situation de certaines catégories d'étrangers en situation irrégulière ». Il s'agit des :
conjoints de Français. Le principe de l'entrée régulière comme condition de délivrance d'un titre de séjour doit « demeurer la règle », sauf pour les conjoints ayant plus d'un an de mariage « dès lors que leur présence en France est manifestement stable ». En outre, les autres conditions requises pour la délivrance d'un titre de séjour doivent être remplies (absence de menace à l'ordre public, communauté de vie...). Ces dispositions concernent également les Algériens et les Tunisiens
conjoints d'étranger en situation régulière, pour lesquels une carte de séjour temporaire pourra être délivrée dès lors qu'ils ont au moins un an de mariage et qu'ils remplissent au moins l'une des conditions suivantes : avoir une ancienneté de séjour de cinq ans ou justifier de la présence d'enfants aux besoins desquels ils subviennent effectivement
conjoints de réfugié statutaire à condition qu'ils soient entrés régulièrement en France et qu'ils se soient mariés avant que leur conjoint ait obtenu le statut de réfugié ou, à défaut, justifient d'une « communauté de vie effective d'un an »
familles étrangères constituées de longue date en France. « Lorsqu'il apparaît qu'une famille, quoiqu'en situation irrégulière, est de fait constituée de manière stable en France », les préfets pourront « apprécier l'opportunité de l'attribution d'un titre de séjour » compte tenu d'un « faisceau d'indices » permettant d'envisager une régularisation lorsque l'ancienneté du séjour est d'au moins plusieurs années. Les critères suivants doivent être retenus :ressources issues d'une activité régulière, existence d'un domicile, respect des obligations fiscales, scolarisation des enfants
parents d'enfants de moins de 16 ans nés en France, lesquels doivent justifier d'une ancienneté de séjour de cinq ans et subvenir « effectivement » aux besoins de leurs enfants
jeunes étrangers de plus de 16 ans ou majeurs entrés en France hors regroupement familial à condition qu'ils aient suivi une scolarité régulière en France pendant cinq ans au moins et que leurs deux parents soient en situation régulière ou « susceptibles de bénéficier d'un titre de séjour en application des présentes instructions »
enfants mineurs de moins de 16 ans entrés en France hors regroupement familial. Les conditions du regroupement familial sur place seront exigées. La demande est instruite conformément à la procédure exceptionnelle d'admission au séjour (1)
enfants nés d'une précédente union. Lorsque le parent résidant en France ne peut produire le document attestant de la déchéance de l'autorité parentale de l'autre parent, alors que les autres conditions du regroupement sont satisfaites, une copie du tribunal étranger compétent lui confiant la garde de l'enfant ainsi qu'une autorisation de l'autre parent pour laisser partir le mineur lui seront demandées. « Ce dispositif particulier ne pourra être utilisé que dans le cas des enfants de 10 ans au plus qui, de par leur âge, sont dans la situation la plus vulnérable et qui, d'autre part, pourront obtenir une carte de séjour à leur majorité »
étrangers sans charge de famille régularisables (célibataires). Une carte de séjour temporaire « visiteur » sera délivrée « aux ascendants isolés et matériellement dépendants de leurs enfants résidant régulièrement en France, lorsque ces derniers attestent des ressources et d'un logement leur permettant de prendre effectivement en charge l'ascendant demandeur. S'agissant des célibataires sans charge de famille », les préfets sont invités à apprécier le critère de résidence d'une façon « souple » « dès lors que l'intéressé a été au moins pendant une période en situation régulière ». L'ancienneté de séjour ne pourra qu'exceptionnellement être « inférieure à sept ans » et l'existence de ressources, d'un domicile et de déclarations fiscales seront prises en compte. Par contre, cette mesure ne concerne pas les étudiants qui « à l'issue de leurs études en France, ont en effet vocation à mettre leurs compétences au service de leur pays »
étrangers souffrant d'une pathologie grave pour lesquels un titre de séjour d'un an au lieu de trois mois sera délivré dès lors que le médecin inspecteur départemental de la santé aura estimé qu'ils ont besoin d'un « traitement de longue durée »
étudiants en cours d'études supérieures ou à qui un titre de séjour a été préalablement refusé. Dans cette hypothèse, les préfets pourront réexaminer leur situation à condition qu'ils soient « regardés comme poursuivant effectivement des études avec des succès significatifs »
personnes n'ayant pas le statut de réfugié politique qui pourraient courir des risques vitaux en cas de retour dans leur pays d'origine. S'ils n'entrent dans aucune des catégories régularisables, leur dossier pourra être réexaminé par la direction des libertés publiques du ministère de l'Intérieur. Par ailleurs, afin « d'améliorer la situation des Algériens admis au bénéfice de l'asile territorial », il est demandé aux préfets de leur délivrer, sauf exception, « à l'issue d'un premier délai de six mois, couvert par une première autorisation provisoire de séjour, un certificat de résidence d'un an ».
Les préfectures (ou éventuellement les sous-préfectures) sont chargées de recevoir les demandes d'examen qui devront leur être adressées, avant le 1er novembre prochain, par écrit et par voie postale. Elles devront convoquer les intéressés dans des « conditions matérielles et morales » auxquelles les préfets devront particulièrement veiller. Les intéressés seront invités à présenter à l'appui de leur demande, l'ensemble des pièces justifiant de la nécessité d'une admission exceptionnelle au séjour, étant rappelé que la charge de la preuve incombe en principe au demandeur. A chaque situation individuelle, les représentants de l'Etat useront « avec discernement et à chaque fois que cela est nécessaire de leur pouvoir d'appréciation » tel qu'il a été rappelé par le Conseil d'Etat notamment dans son dernier avis du 22 août 1996 (2). Enfin, pour connaître la situation des familles et des personnes concernées, les autorités administratives peuvent prendre l'avis des services sociaux.
Les demandes de titres de séjour en qualité de conjoint ou de parent ne sont recevables que si le mariage ou la naissance de l'enfant est antérieure au 24 juin. De même, le regroupement familial sur place au profit des enfants mineurs et l'admission au séjour des étrangers sans charge de famille ne peuvent intervenir qu'au profit d'étrangers entrés en France avant cette date. Pour d'autres catégories d'étrangers (conjoint de réfugié statutaire, enfant né d'une précédente union, étranger malade, étudiant, personne n'ayant pas le statut de réfugié politique), les dispositions de la circulaire s'appliquent jusqu'à l'entrée en vigueur des nouveaux textes législatifs.
Le titre de séjour délivré est en principe une carte de séjour temporaire (ou un certificat de résidence d'un an pour Algérien), portant la mention « salarié » si le demandeur manifeste l'intention d'occuper un emploi.
Le fait que l'étranger demandeur ait été précédemment l'objet d'un arrêté de reconduite à la frontière ne fait pas obstacle à l'instruction de sa demande. S'il a fait l'objet d'une mesure judiciaire d'interdiction du territoire, la délivrance du titre de séjour suppose que celle-ci ait été préalablement sollicité et que l'intéressé ait obtenu de la juridiction compétente le relèvement de cette interdiction.
Enfin, les préfets devront informer les services sociaux afin qu'un suivi adéquat des familles concernées soit effectué dans de bonnes conditions.
(1) Voir ASH n° 1986 du 30-08-96.
(2) Voir ASH n° 1901 du 17-11-94.