« Il semblerait que les travailleurs sociaux soient peu ou mal informés sur la question homosexuelle et particulièrement sur l'homo-parentalité et que également, faute de références, ils aient du mal à aborder le sujet. Cette méconnaissance nous paraît préjudiciable car on a pu observer qu'il est souvent plus difficile d'aider les familles en difficulté s'il y a une composante homosexuelle pour un ou plusieurs de ses membres.
« Ainsi, B., réservée, hautaine, placée depuis de nombreuses années, lance avec défi à propos du couple que forme son père avec un autre homme : 'Vous savez bien la situation ! "Elle ne veut pas en dire plus. Devant son attitude, il nous est difficile de poursuivre. Notre réserve pourrait être vécue par cette jeune comme une marque de respect, s'il n'y avait pas, latent, tout ce poids de sous-entendus, de culpabilité encore aggravée par le fait que l'information n'a pas été donnée par la famille, mais rendue publique par le signalement. Le père n'a jamais répondu aux invitations de venir rencontrer l'équipe.
« J.-P. est la caricature que certains aiment se faire de l'homosexuel. Efféminé, apprenti coiffeur à l'époque de son placement, il avait cependant la réplique incisive qui lui évitait de canaliser sur lui la violence des garçons du groupe. Tout au plus subissait-il une ironie malveillante. Avec un sourire, il niait devant tous son homosexualité. Défense légitime, bien sûr, mais en protégeant son intimité, J.-P. laissait penser à l'éducateur qu'il s'agissait de résistances à parler de ses difficultés familiales. Tout aussi légitimement, l'éducateur pensait qu'une bonne psychothérapie pourrait l'aider à les vaincre. [...] J.-P. répondait invariablement : 'Je me sens parfaitement bien, je n'ai pas besoin de parler, et les psy je les envoie tous se faire... ! " Généralement, la porte claquait en guise de conclusion d'entretien.
« Non, J.-P. n'allait pas si bien et cette surenchère verbale qui le protégeait efficacement dans ses relations sociales ne lui permettait pas de faire le tri entre son orientation homosexuelle et la problématique familiale qui justifiait son placement. On peut faire l'hypothèse que son homosexualité reconnue normale, plutôt même banale, choix de vie envisageable, nous aurait certainement permis d'acquérir un crédit à ses yeux. On peut penser que l'homosexualité abordée dans une relation emphatique était le test, la porte d'entrée pour travailler avec lui ce qui l'avait amené à un placement. Souhaitons qu'il le fasse seul.[...]
« Il reste à se poser la question :pourquoi l'homosexualité dérange-t-elle ? De quoi les travailleurs sociaux sont-ils garants par leur silence ? Les valeurs judéo-chrétiennes sont-elles toujours aussi fortes ? Sans doute, mais on constate que la morale chrétienne n'est plus la référence, quand elle ne fait pas sourire [...]. La société nous impose-t-elle une norme familiale PME (père, mère, enfants) pour se survivre à elle-même ? Alors pourquoi accepte-t-elle les familles monoparentales et pas les couples homosexuels demandeurs d'enfants ? Les enseignants, les éducateurs ont-ils peur de l'image d'abuseurs d'enfants que donnent d'eux les médias actuellement ? C'est l'arbre qui cache la forêt, et il serait nécessaire que les travailleurs sociaux réagissent pour conserver leur crédibilité. Pour conclure, vous pourriez trouver paradoxal que je signe ce texte par un pseudonyme. Alors, c'est que vous n'avez pas encore bien pris toute la mesure du problème. »
(1) Chiron - APGL : c/o Centre gay et lesbien - 3, rue Keller - 75011 Paris - Tél. 01 46 34 16 17.