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Quand les AS bousculent leurs pratiques

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Le centre social de Teisseire-Malherbe, à Grenoble, a lancé une étude-expérimentation en 1994, afin d'améliorer les conditions de travail des assistants sociaux de polyvalence et de mieux répondre à l'attente des usagers.

1994-1995, au centre social Teisseire-Malherbe (1), dans le sud de Grenoble : les six assistants sociaux en polyvalence de secteur, dont un est employé par la caisse d'allocations familiales (2) et les cinq autres par le conseil général de l'Isère, entament une remise en question en profondeur de leurs pratiques professionnelles. Leur champ d'intervention, ce sont deux quartiers : Teisseire, d'une part, une cité HLM de 1 205 logements et plus de 3 400 habitants, avec un taux de chômage de 29 % en 1990, des actifs occupant surtout des emplois précaires, non qualifiés et mal rémunérés, et de nombreux ménages vivant de prestations sociales comme le RMI ou l'AAH. Au total, 80 % des habitants sont suivis par le service social. Malherbe, d'autre part, est surtout composé de maisons individuelles et d'immeubles, et regroupe plus de 5 000 habitants issus principalement des classes moyennes, moins concernés par les actions du centre social.

Au début des années 90, le constat des assistants sociaux  (AS) est accablant : « Les permanences étaient surchargées, les délais de réponse de plus en plus longs, explique Hélène Sibue, assistante sociale, chef de la circonscription de Grenoble-Est. Les usagers interpellaient les assistants sociaux et voulaient être reçus immédiatement. Celui qui parlait le plus fort passait le premier. » De plus, certaines personnes cumulant les handicaps, les actes sociaux se multipliaient dans l'urgence, sans qu'une prise en charge de fond puisse être menée à bien. « Certains habitants de Teisseire jetaient leur courrier, ou bien l'amenaient sans l'ouvrir au centre social. D'autres recevaient des notifications de la CAF mais ne se déplaçaient pas, se contentant de l'apporter aux AS. Et ceux-ci n'avaient pas le temps ni les moyens de développer l'autonomie des usagers. » Au fil des années, le centre social devient un lieu de services banalisé, entretenant l'assistanat des usagers... et un sentiment de culpabilité très fort chez les assistants sociaux qui n'espèrent plus le moindre résultat de leurs actions. « Nous recevions tout le monde, sans tri préalable, ajoute Paul Goimard, l'un des assistants sociaux. Nous pouvions rester une heure avec une personne qui n'en avait finalement pas besoin, et moins de temps avec une autre qui aurait mérité plus d'attention de notre part. » Le malaise est tel que les assistants sociaux finissent par partager le sentiment d'exclusion des usagers, ils se sentent inutiles et abandonnés, sans aucune distance vis-à-vis de leur mission.

Réflexion et action

En 1992, après une réunion avec leurs employeurs - le conseil général et la CAF -, les assistants sociaux et Hélène Sibue décident de lancer une « étude-expérimentation », conjuguant la réflexion et l'action. Elle se déroule d'avril 1994 à décembre 1995, et s'accompagne de 11 journées de formation assurées par l'Ecole supérieure de travail social (Paris). « Celle-ci nous a apporté des outils méthodologiques et un regard neutre sur nos pratiques », précise Hélène Sibue. L'objectif étant d'améliorer le service aux usagers et les conditions de travail des assistants sociaux :il s'agit alors moins d'une question d'augmentation de moyens que d'un changement des pratiques professionnelles. Au cours de leurs réunions, les assistants sociaux bâtissent des hypothèses de travail, qu'ils confrontent avec les dossiers des usagers afin d'étudier leur faisabilité.

Dès le mois de mai 1995, commence l'expérimentation de nouveaux modes d'intervention. Trois grands axes sont retenus : la polyvalence de catégorie  deux types de réponses en fonction de la nature de la demande des usagers : un traitement social immédiat et un traitement social intensif  et enfin une permanence destinée à répondre aux urgences.

Le choix de la polyvalence de catégorie s'appuie sur plusieurs constats : « Auparavant, la polyvalence était happée par le RMI et par des réponses spécifiques aux personnes isolées, explique Hélène Sibue. Nous souhaitions revaloriser l'axe familial et la prévention de l'exclusion. » Pour ce faire, deux équipes d'assistants sociaux sont constituées. Quatre AS prennent en charge les ménages avec enfants mineurs, ce qui permet d'intensifier les interventions auprès des familles, et deux seulement traitent les demandes des ménages sans enfant mineur, car le travail de suite est moins important. Cette séparation s'explique en fait par l'existence de deux réponses institutionnelles différentes, selon que les ménages ont des enfants mineurs ou non : les dispositifs sont différents, le partenariat n'est pas le même. « En polyvalence, il est impossible de maîtriser parfaitement tous les dispositifs, souligne Marielle Barthélémy, l'une des assistantes sociales. Désormais, nous connaissons mieux les réponses à apporter et les partenaires extérieurs, comme les éducateurs, l'ASE ou la PMI. Eux n'ont plus que quatre référents, l'information est moins diluée. » Tous les assistants sociaux de Teisseire-Malherbe insistent cependant sur le fait qu'ils ne sont pas devenus des spécialistes : « Nous nous adressons à un certain type de populations, mais face à elles, nous restons des généralistes, souligne Paul Goimard. Il s'agit d'une vraie polyvalence de catégorie, avec une prise en charge globale des personnes. C'est indispensable, ne serait-ce que si l'on change un jour de lieu d'exercice. »

Traitement social immédiat ou intensif

Quant à la dichotomie entre le traitement social immédiat et le traitement social intensif - qui concerne, cette fois-ci, l'organisation du service -, il suppose un travail préalable de « filtrage » des demandes des usagers :le rôle de la secrétaire médico-sociale est donc primordial. A elle d'éviter un « encombrement » inutile du centre social. « Il y a des catégories d'usagers et des problèmes pour lesquels nous sommes plus compétents que d'autres, précise Hélène Sibue. Finalement, la secrétaire repositionne les AS sur leurs missions : si un jeune cherche un emploi, il est immédiatement adressé à l'animateur local pour l'emploi. Lorsque quelqu'un recherche un logement, la secrétaire lui fournit la liste des offices HLM. Mais elle doit également repérer si cette demande n'en cache pas une autre, qui relève des AS. » A charge alors pour elle de fixer un rendez-vous à l'usager, soit en traitement intensif, soit en traitement immédiat. Dans ce dernier cas (aide financière ponctuelle, demande d'orientation et d'information, accès au FSL), l'usager n'a pas affaire à un AS référent. S'il revient plusieurs fois - sept permanences ont lieu chaque semaine sur rendez-vous -, il rencontrera chaque fois un AS différent. Une façon, selon Hélène Sibue, de « replacer la réponse apportée comme étant l'émanation d'une institution et non comme un service rendu. La relation individuelle est porteuse d'assistanat, car l'usager revient voir'son" AS dès qu'il a un problème et il attend tout de lui ». Un tel mode de fonctionnement suppose que le dossier de l'usager soit rempli tour à tour par différents assistants sociaux : rigueur et bonne entente au sein de l'équipe s'imposent. « Nous sommes désormais habitués à ce que chacun regarde le travail effectué par les autres », remarque Marielle Barthélémy. En revanche, le traitement social intensif suppose une prise en charge sur le long terme avec, cette fois-ci, un référent attaché soit aux ménages sans enfant mineur, soit aux ménages avec enfants mineurs. Les moyens mis en œuvre sont destinés à régler un problème immédiat - comme une dette de loyer - et à accompagner l'usager vers davantage d'autonomie. Une véritable contractualisation est prévue entre lui et l'assistant social.

La distinction entre l'immédiat et l'intensif permet de mieux cerner les priorités et de consacrer le temps qu'il faut à chaque problème posé. Du coup, les AS sont plus disponibles et retrouvent la distance nécessaire vis-à-vis du travail effectué.

Dernier cas de figure : l'urgence, c'est-à-dire la réponse donnée le jour même, grâce à une permanence assurée chaque jour par un AS différent. « Les professionnels détestent l'urgence, remarque Hélène Sibue. L'usager est souvent agressif, et la secrétaire n'est pas forcément à l'aise face à une situation de grande détresse. Cette solution rassure tout le monde, car l'urgence est prise en compte et réglée tout de suite. »

Un modèle non transposable

Concrètement, cette nouvelle organisation de la polyvalence a permis de raccourcir les délais de réponse de trois semaines à dix jours environ. Les AS ont le sentiment de mettre en œuvre des solutions cohérentes et appropriées à la demande de l'usager, ce qui, ajouté au travail en équipe, diminue largement le stress des uns et des autres. Hélène Sibue ne parle pas pour autant de panacée : « En polyvalence, il n'existe pas une méthode, tout dépend de la situation locale et surtout des individus. Le modèle mis en place ici n'est pas transposable ailleurs car il repose sur le désir de chacun de s'y investir. Il a été conçu par ces AS-là, pour ces AS, dans un contexte social donné. »

Surtout, il a fallu faire admettre tous ces changements aux usagers, notamment la perte d'un référent en traitement social intensif et urgent. Pour certains, cela est allé sans mal, d'autant qu'ils sont les premiers à mettre en avant le raccourcissement des délais. Pour d'autres, minoritaires, cela a été plus difficile. D'ailleurs, les personnes souffrant de troubles mentaux gardent un AS référent afin d'éviter tout traumatisme.

S'il est difficile de dresser un bilan, notamment en termes d'amélioration de l'autonomie des personnes, les travailleurs sociaux du centre social de Teisseire-Malherbe s'estiment surtout soulagés : « Ce dispositif a renforcé la cohésion du groupe, souligne Paul Goimard. C'est très formateur car nous sommes obligés d'échanger continuellement sur nos pratiques. En même temps, nous devons veiller à rester nous-mêmes, à ne pas uniformiser nos réponses dans des catégories toutes prêtes, à jongler entre une petite spécialisation et notre volonté de rester généralistes. »

Hélène Sibue souligne sa satisfaction devant le travail accompli : « De nombreuses réflexions sont menées sur la polyvalence, mais elles s'arrêtent souvent au stade du constat, car il y a beaucoup de turn-over chez les AS. C'est très difficile de travailler sur le long terme. Ici, j'ai le sentiment que nous y sommes parvenus. »

Anne Ulpat

ISÈRE : UNE CHARTE SUR LA POLYVALENCE

L'étude-expérimentation du centre social Teisseire-Malherbe, cofinancée par la CAF et le conseil général, n'est pas une expérience isolée dans le département de l'Isère. En effet, en 1995, l'Etat, le conseil général, les CAF de Grenoble et de Vienne et la MSA ont signé une charte sur la polyvalence destinée à mieux définir les objectifs de celle-ci. « Cette réflexion nous a paru indispensable en raison de l'aggravation de la précarité », souligne Marie-Colette Lalire, sous-directrice des circonscriptions d'action sociale à la direction de la santé et de la solidarité basée à Grenoble (3). Cette initiative a surtout permis de redéfinir le travail effectué entre les différents partenaires et d'établir des priorités, le conseil général se recentrant, par exemple, sur la protection de l'enfance et l'insertion. L'appui des institutions est sans doute pour beaucoup dans l'aboutissement de l'étude-expérimentation de Teisseire-Malherbe, même si Marie-Colette Lalire insiste sur le fait qu'il ne s'agit pas là de transformer les pratiques sociales mais de trouver des modalités de fonctionnement mieux adaptées à l'environnement social actuel.

Notes

(1)  Centre social Teisseire-Malherbe : 115, avenue Jean-Perrot - 38100 Grenoble - Tél. 04 76 25 49 63.

(2)  CAF - Circonscription d'action sociale de Grenoble-Est : 11, rue Emile-Zola - 38100 Grenoble - Tél. 04 76 85 07 84 - Fax : 04 76 85 07 83.

(3)  Direction de la santé et de la solidarité : 17-19, rue Commandant-L'Herminier - BP 1096 - 38022 Grenoble cedex 1 - Tél. 04 76 60 38 38.

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