Les fonctionnaires de police ont-ils raison de dénoncer « le manque de suivi » des jeunes délinquants par la justice ? La première phase de l'étude de l'IHESI, menée dans les commissariats de quatre circonscriptions de Seine-Saint-Denis, souligne en effet « le sentiment d'impuissance qui anime les policiers face à la délinquance persistante et la démotivation qui en découle ». Or, constatent les chercheurs, dans une seconde partie, il est en réalité très « difficile pour les jeunes d'échapper au système judiciaire ». C'est le principal enseignement de l'analyse minutieuse qu'ils ont effectuée des 665 mises en cause établies par la police de ce département, en 1992-1993, concernant 139 jeunes délinquants « réitérants ». Ces derniers, uniquement des hommes, avaient moins de 25 ans au moment de l'enquête (un tiers avait moins de 18 ans à la fin de 1993) et avaient fait l'objet d'au moins trois procédures policières au cours des deux années (le plus souvent pour vol).
Premier résultat : le tiers des mineurs mis en cause a été jugé par le tribunal pour enfants, soit après audience en chambre du conseil, soit directement sur renvoi du magistrat instructeur. 58,5 % de ces jeunes ont été sanctionnés par une peine pénale, dont 8 peines de prison ferme, 28 de prison avec sursis, 4 avec sursis partiel et 21 autres condamnations (amende, TIG...). Le tribunal pour enfants n'a procédé qu'à une seule admonestation. Par ailleurs, dans 14,1 %des cas, l'audience s'est déroulée en chambre du conseil. Celle-ci a procédé à 14 admonestations et 4 remises aux parents, dont 2 assorties d'une mesure de liberté surveillée. Enfin, 37,7 % des affaires concernant des mineurs ont été classées, sachant qu'il s'agissait assez fréquemment de classements dits « actifs » ou « conditionnels ». Autres chiffres : le tiers des majeurs a été jugé sur comparution immédiate, 86 % ayant été condamnés à une peine pénale, dont 27,7 % à de la prison ferme et 47,5 % à de la prison avec sursis. Enfin, parmi ceux convoqués par officier de police judiciaire (22,3 % du nombre total des majeurs), 90,9 % ont été condamnés à une peine pénale, dont 20 % à de la prison ferme et 51,7 % à de la prison avec sursis. Ainsi, le « sentiment d'impunité de ces jeunes délinquants exprimé par les policiers » renverrait surtout au manque de retour d'information dans les commissariats, et non à l'inaction des magistrats.
Les chercheurs se sont également intéressés à la trajectoire, à la fois collective et individuelle, des membres d'un réseau de jeunes délinquants de Seine-Saint-Denis. Ainsi, observent-ils, « les actes de délinquance commis en groupe sont plutôt le fait d'adolescents de même génération. Lorsque ceux-ci deviennent adultes, l'activité délinquante de groupe diminue ». Un constat qui peut s'expliquer de plusieurs façon : soit ces jeunes agissent plus isolément devenus adultes, soit leur délinquance devient moins visible, soit ils se déplacent dans d'autres départements, soit, enfin, ils ne commettent plus d'actes délictueux. C'est cette dernière hypothèse que privilégient la plupart des professionnels (magistrats, éducateurs de SEAT, fonctionnaires de police...) interrogés au cours de l'enquête. Autrement dit, « la délinquance des jeunes persiste, mais les jeunes délinquants ne persistent pas systématiquement ». Explication : « La délinquance de groupe de jeunes serait propre à la période adolescente et agirait comme un réel mode de socialisation, certes négatif, mais néanmoins structurant. »
(1) Suivi des trajectoires judiciaires d'une population de jeunes délinquants réitérants - IHESI : 19, rue Péclet - 75015 Paris - Tél. 01 53 68 20 50.