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Des agents d'ambiance renouent le dialogue

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Plusieurs villes de France font appel à des médiateurs afin de réguler les conflits susceptibles d'éclater dans les transports ou dans la rue. C'est le cas à Beauvais, dans l'Oise.

Depuis le 19 août 1996, deux agents d'ambiance sont employés par le réseau des transports urbains de Beauvais  (TUB), dans l'Oise. Michel Aberkane et Karim Rahoui, 30 ans, ont une mission à la fois simple et complexe : ils sillonnent la ville en bus ou à pied, et interviennent dès que la tension monte - entre une bande de jeunes et un chauffeur de bus ou, dans la rue, entre un adolescent et des adultes - afin de désamorcer la situation et éviter qu'elle ne débouche sur un conflit ouvert. Leur outil de travail : le dialogue, essentiellement.

Pourquoi Beauvais a-t-elle eu recours à ces agents d'ambiance, comme Lille, Marseille ou Elbeuf avant elle ? Un nouveau métier est-il en train de naître, entre travail social, îlotage et médiation ? Pour prendre toute la mesure de la tâche assignée à Michel Aberkane et Karim Rahoui, il faut remonter à 1995 et se replacer dans le contexte beauvaisien de l'époque.

Le centre historique de cette ville de 56 000 habitants se trouve dans une cuvette, entourée par quatre quartiers d'habitat social qui la surplombent. « Soie-Vauban, Notre-Dame-de-Thil, Saint-Jean et Argentine réunissent des populations défavorisées, d'origine immigrée pour la plupart, et touchées par le chômage, précise Anne Morin-Pellet, chargée de la mission prévention au sein du conseil communal de prévention de la délinquance (CCPD)   (1). Les conduites délinquantes sont le fait d'enfants de plus en plus jeunes, de 10-12 ans, et d'adolescents. Elles se traduisent surtout par des dégradations d'équipements publics. » De plus, la population, et en particulier les jeunes, se déplace très souvent en bus entre les quatre quartiers, ou bien entre chaque quartier et le centre-ville. Les incidents tendent à se multiplier entre certains adolescents et des chauffeurs de bus, et vont de la simple agressivité jusqu'à des insultes, en passant, plus rarement, par des coups. « Un de nos agents a eu un arrêt maladie de trois mois, en 1995, après avoir reçu un coup de poing : elle venait simplement de demander son titre de transport à un jeune », témoigne Michel Passetemps, responsable des transports urbains, qui ajoute : « Il y avait des conflits qui éclataient, mais aussi un sentiment d'insécurité qui grandissait, au sein de la population, même s'il n'était pas toujours justifié. Dès qu'une bande de jeunes apparaissait, les gens avaient peur. »

Une formation pour les chauffeurs...

Or, le conseil communal de prévention de la délinquance possède, entre autres missions, celle d'intervenir dans les lieux dits sensibles tels que les centres commerciaux et les bus. Anne Morin-Pellet, récemment arrivée, décide d'appliquer les textes au pied de la lettre et de se saisir du problème avant qu'il ne s'aggrave. Elle propose aux dirigeants du TUB de faire appel à des agents d'ambiance. « Nous sommes allés à Elbeuf, en Seine-Maritime, où une expérience similaire existe déjà. Là-bas, nous avons surtout appris qu'il était illusoire de lancer toute initiative sans l'accord total des chauffeurs de bus, ce qui nous a tous confortés dans l'idée de former préalablement les agents de conduite du TUB. »

La formation menée par l'association Irrhis Consultants (2) a pour objectif de les aider à « gérer les conflits », en leur exposant, dans un premier temps, les problématiques sociales et psycho-sociologiques propres aux quartiers en difficulté, puis en leur faisant rejouer des situations de crise à l'aide de jeux de rôle et de vidéos. Parallèlement, Anne Morin-Pellet implique les différents partenaires du CCPD : les associations de quartier, d'aide aux toxicomanes, de prévention de l'alcoolisme, la police municipale, les travailleurs sociaux... « Plusieurs réunions ont eu lieu afin que tous prennent connaissance de cette action. C'était également une façon de présenter le tissu social beauvaisien aux chauffeurs : nous leur avons parlé très concrètement du réseau associatif de la ville, des problèmes sociaux auxquels il est confronté et des réponses mises en œuvre. En fait, les agents du TUB ne connaissaient pas du tout la vie des quartiers. »

A l'issue de la formation, qui s'est déroulée, de mars à juin 1996, auprès de 38 chauffeurs de bus, la majorité d'entre eux accepte l'idée que la société CAB, qui gère le TUB, embauche deux agents d'ambiance. Passer par ces derniers pour faire retomber la tension - plutôt que par les chauffeurs de bus -est en fait un gage de neutralité. Tout comme il était impensable de faire appel à des policiers en tenue, de l'avis même de Michel Locatelli, responsable de la police municipale : « C'est vrai que l'îlotage remplit une fonction de prévention, mais nos agents ne connaissent pas tous les quartiers, et puis la seule vue de l'uniforme tend à exacerber les conflits. »

A partir de ce constat, le recrutement des agents d'ambiance devient déterminant : leur mission doit être acceptée et bien comprise par tous. Et une fois de plus, Anne Morin-Pellet va faire appel à tous les partenaires sociaux des quartiers. « La formation des chauffeurs avait créé une réelle dynamique qu'il ne fallait pas laisser retomber. » La mission prévention a donc réuni, à nouveau, les associations et les travailleurs sociaux, la justice et la police, afin que chacun soit partie prenante.

« Non seulement nous avons été informés mais, surtout, nous avons été associés : les conseils de chacun - sur le profil des agents d'ambiance - étaient écoutés et pris en compte, en fonction de l'expertise qu'il avait du terrain, de son quartier », explique Jean-Claude Descamps, responsable de l'association de quartier UTILE (3). Anne Morin-Pellet apporte une précision importante : « A Beauvais, le CCPD est un lieu de réflexion, mais aussi de décision. Nous disposons d'un budget de 600 000 F, et nous générons 3 MF d'activités. Or, dans d'autres villes, les CCPD en restent souvent au stade de la réflexion. Je me sentais donc assez solide pour lancer un vrai partenariat sur le terrain. »

En tout cas, au sein du réseau mis en place, tout le monde tombe vite d'accord pour recruter deux hommes âgés environ de 30 ans, communicatifs mais suffisamment matures pour trouver la bonne distance... Des « grands frères », comme on a pu les appeler en région parisienne, capables de faire preuve d'autorité sans prendre partie pour les uns ou pour les autres. Anne Morin-Pellet formule une autre exigence : pas de contrat emploi-solidarité, pas de « petit boulot » ni de CDD, mais un contrat à durée indéterminée : « Il ne s'agit pas d'un job que l'on fait avant de retrouver un'vrai" travail. C'est un métier qui demande une certaine qualification. »

... et pour les médiateurs

Karim Rahoui et Michel Aberkane suivent d'ailleurs une formation en alternance, encore aujourd'hui, une semaine par mois, afin d'apprendre leur métier de médiateur. Cet enseignement se déroule au sein du groupe Via Transports, auquel appartient la société CAB. Ce centre d'apprentissage apprend la conduite aux chauffeurs, mais il s'est également spécialisé dans la formation des agents d'ambiance depuis plusieurs années. « On nous enseigne le droit, explique Michel Aberkane, mais nous apprenons également à rester neutres, à argumenter nos propos.» Car leur tâche va bien au-delà de la régulation douce des conflits : ils rassurent, par leur présence, la clientèle, ils l'informent, et ils participent à de multiples manifestations organisées dans le centre-ville et les quartiers : matchs de foot, concerts de rap... Lorsqu'un adolescent traîne dans les rues, ils le signalent à l'établissement scolaire et se rendent auprès des parents pour discuter. « De plus, nous faisons remonter des informations à la direction de la CAB, qui comprend mieux les conditions de travail des chauffeurs », précise Michel Aberkane.

Un travail en réseau

La réussite de l'expérience beauvaisienne réside aussi sans doute dans le travail en réseau qui ne s'est jamais arrêté, comme l'explique Jean-Claude Descamps : « Nous servons de relais entre les agents d'ambiance et notre quartier : nous les présentons aux jeunes, aux autres associations, aux institutions, aux travailleurs sociaux. Eux savent qu'ils peuvent compter sur nous. C'est un vrai maillage, une solidarité interquartiers qui fonctionne et qui, de ce fait, améliore la vie locale. » Même constat du côté de la police municipale : « Nous intervenons quand la situation est plus grave. Les agents d'ambiance savent quand nous appeler, et nous, nous ne les utilisons pas comme des'indics ", si bien que chacun sait exactement où est sa place », précise Michel Locatelli.

Il n'y a pas eu d'agression de chauffeurs de bus à Beauvais depuis août 1996. Pourtant, la tâche des agents d'ambiance semble à la fois dérisoire et terriblement ambitieuse. Après tout, les deux hommes passent leur temps à parler, à raisonner les jeunes, à communiquer avec eux. Mais par cette simple parole et par leur seule présence, on leur demande de recréer du lien social, de remédier à ce que l'on appelle désormais un « déficit de communication ». « Les gens ne se parlent plus, résume Saïd Boudaoud, membre du CCPD et propriétaire d'un bar du centre-ville. Moi, quand je suis témoin d'un incident, j'interviens, j'essaie de calmer le jeu. Aujourd'hui, les adultes n'osent plus faire cela, ils ont peur des jeunes. Les agents d'ambiance font marcher leur propre réseau de jeunes, ils sont respectés par tout le monde. Et puis cela marche bien parce que nous ne sommes pas dans une très grande ville. »

Jean-Claude Descamps acquiesce : « On en arrive à recréer institutionnellement des fonctions sociales qui existaient auparavant naturellement. Est-ce une faillite des travailleurs sociaux ? Je ne le crois pas. Nous sommes simplement en train de trouver de nouvelles solutions, de nouveaux métiers afin de nous adapter à l'évolution des problèmes sociaux actuels. » Selon Françoise Michaux, responsable de l'association socio-culturelle Argentine (4), le travail social s'inscrit dans une démarche globale, alors que les agents d'ambiance s'adressent à chaque individu. Chacun ne joue donc pas sur le même terrain. « Il est évident que les animateurs sociaux ou les assistantes sociales n'interviennent pas à chaque instant de la vie d'un individu. Et puis c'est une question de moyens : nous n'avons pas les moyens de mener une politique sociale digne de ce nom. »

Par définition, la mission qui incombe aux deux agents d'ambiance est forcément limitée : ils ne vont pas résoudre, à eux deux, tous les problèmes de mal-être et de délinquance de Beauvais. Ils ne sont que les maillons d'une chaîne plus grande, constituée de tous les travailleurs sociaux, mais aussi des médiateurs sociaux et pénaux, mis en place par le CCPD. « Ces médiateurs sont également là pour régler les problèmes de voisinage ou faciliter les liens entre les citoyens et la justice », précise Anne Morin-Pellet. Celle-ci envisage aujourd'hui de faire appel à deux nouveaux agents d'ambiance, en contrat emploi-ville cette fois-ci, qui seraient chapeautés par Karim Rahoui et Michel Aberkane.

Anne Ulpat

Notes

(1)  Un terrain pour une initiative, des loisirs, une éducation : 14, allée des Tilleuls - 60000 Beauvais - Tél. et fax : 03 44 45 02 43.

(2)  Argentine : 8, avenue de Bourgogne - 60008 Beauvais cedex - Tél. 03 44 05 64 96 - Fax : 03 44 05 73 25.

(3)  Un terrain pour une initiative, des loisirs, une éducation : 14, allée des Tilleuls - 60000 Beauvais - Tél. et fax : 03 44 45 02 43.

(4)  Argentine : 8, avenue de Bourgogne - 60008 Beauvais cedex - Tél. 03 44 05 64 96 - Fax : 03 44 05 73 25.

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