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Jusqu'où aller dans la démarche qualité ?

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La reconnaissance de l'aide à domicile passe-t-elle par des normes de qualité ? La démarche entreprise par la FNAAFP/CSF et l'UNASSAD divise fortement.

Faut-il normaliser l'aide à domicile pour éviter qu'elle ne soit dévoyée par l'entrée dans le secteur des logiques économiques et marchandes ? Oui, affirmait François Edouard, secrétaire général de la Fédération nationale des associations de l'aide familiale populaire (FNAAFP/CSF), lors de son dernier colloque (1). « Il nous paraît aujourd'hui incontournable de parvenir à définir des règles communes qui s'imposent à tous pour éviter que n'importe qui fasse n'importe quoi sur ce secteur », indiquait-il.

Si cet appel à la normalisation est loin de faire l'unanimité, il est révélateur des profondes inquiétudes des associations d'aide à domicile. Lesquelles, après avoir été fortement déstabilisées par le développement du gré à gré suite aux différentes mesures pour l'emploi, ont vu, depuis la loi du 29 janvier 1996 relative aux emplois de services aux particuliers, leur champ s'ouvrir (sous réserve d'agrément simple ou qualité) aux entreprises (2). Sachant que, selon certains responsables de fédérations, les menaces du secteur marchand viendraient moins, dans l'immédiat, de son entrée directe dans le champ de l'aide à domicile, activité à très faible marge bénéficiaire, que de ses tentatives d'organiser le marché. Et à cet égard, le projet « City services » de la Société de développement pour l'emploi dans les services (élaboré avec la CDC et la Lyonnaise des eaux) est perçu comme « une façon de récupérer le savoir-faire associatif ». Il vise concrètement à développer des plates-formes téléphoniques départementales afin de mettre en contact le particulier et les prestataires (associations ou entreprises), qui devraient en retour reverser 5 % du chiffre d'affaires réalisé dans ce cadre.

Mais à côté des appels du pied du secteur marchand, les associations d'aide à domicile sont également sollicitées par les pouvoirs publics, par le biais notamment des services de l'Etat, pour participer localement à des structures de coordination de l'offre et de la demande. Autant d'initiatives sur lesquelles les fédérations se montrent vigilantes. Car l'enjeu actuel consiste à structurer ce nouveau marché des services à la personne, considéré avant tout comme un gisement d'emplois. Or, si les responsables des fédérations se disent prêts à s'ouvrir à une nouvelle clientèle et à diversifier leurs activités, ils entendent bien rester fidèles aux valeurs qui les ont toujours animés. Aussi depuis plusieurs années, de façon certes quelque peu dispersée, ils mènent des réflexions autour de la qualité de l'aide à domicile. L'objectif étant de parvenir à opposer à la logique marchande des emplois de proximité, la spécificité d'un métier encore insuffisamment reconnu.

Quatre principes clés

En ce sens, depuis deux ans, la FNAAFP/CSF a entrepris une réflexion sur une définition possible de l'aide à domicile. Ce qui l'a amenée à élaborer « quatre principes fondamentaux et indissociables », présentés le 27 mars, par le consultant Jean-François Boutrou. Tout d'abord, l'aide à domicile se réalise à travers un cadre de travail. Ensuite, réclamant une technique doublée d'une dimension relationnelle, elle est exercée par des professionnelles formées et ne saurait, de ce fait, être confondue avec l'exécution de tâches ménagères. Autre priorité : elle requiert un personnel d'encadrement et des responsables de secteur qui assurent « une triangulation de la relation entre les personnes aidées et l'intervenante »   ce qui permet aux conflits éventuels de se régler à travers une tierce personne. Enfin, toute intervention repose sur un projet élaboré avec les personnes qui donne sens à l'action. « Quatre éléments porteurs également de notre éthique de travail », précise Jean-François Boutrou, insistant sur la spécificité de l'intervention qui s'exerce « dans l'intimité du domicile ».

C'est à partir de cette réflexion que la FNAAFP/CSF est décidée à parvenir, au sein de l'association Domicile France constituée à l'initiative de l'Union nationale des associations de soins et services à domicile (UNASSAD)   (3), à définir des normes de qualité des prestations. Des pourparlers sont d'ailleurs engagés en ce sens avec l'Association française de normalisation (AFNOR). Certes les responsables des deux organisations reconnaissent qu'il s'agit là d'une démarche coûteuse, longue et complexe. Laquelle suppose, en effet, d'établir des référentiels de métiers extrêmement précis en concertation avec les services et les usagers. Mais l'intérêt, défendent les promoteurs, c'est que des normes de qualité, définies et contrôlées par un organisme indépendant (en l'occurrence l'AFNOR), vont bien au-delà des chartes mises en place ici et là qui ne constituent qu'un engagement moral. « L'aide à domicile pourrait être le premier service social à bénéficier d'une normalisation en France », n'hésite pas ainsi à dire François Edouard. Même s'il reste plus mesuré sur les modalités pratiques du processus. « Bien sûr, on ne pourra pas normaliser la relation en tant que telle. Mais on pourra normaliser son environnement et son cadre d'exercice », assure-t-il.

Le moins que l'on puisse dire, c'est que la démarche est loin de recueillir l'adhésion. Certes l'attraction de la normalisation, le fait d'avoir un tampon reconnu par une autorité, peut s'expliquer par son côté rassurant face à l'ouverture du marché, reconnaît le chercheur, Bernard Enjolras. Mais cela a-t-il un sens ? s'interroge-t-il. « Si l'on peut créer une norme de la production de Mac Donald car il y a une logique répétitive, ce n'est pas le cas de services où la dimension relationnelle est déterminante. » Ses propos sont fermes : « On va vers une dérive très technicienne de la conception des services, complètement inadaptée avec la logique du travail social. Imaginerait-on ainsi de créer une norme AFNOR du travail de l'assistante sociale ? » La question de la qualité, c'est d'abord « se doter d'outils d'évaluation adaptés au secteur de l'aide à domicile. Or, on sait encore très mal évaluer aujourd'hui ».

Un point de vue proche de celui de Jean-Pierre Eggermont, secrétaire général de l'Union nationale des associations générales pour l'aide familiale (4). Pour celui-ci, s'il est intéressant de travailler sur la qualité des prestations, la formation des intervenants, l'encadrement..., « on voit mal s'installer des normes AFNOR de l'intervention : qui les évaluerait ? Est-ce l'usager, le service ? Sur quels critères et avec quels moyens ? ». En outre, ajoute-t-il, l'appréciation de la qualité de l'aide à domicile, basée avant tout sur des relations de confiance, contient une dimension totalement subjective. D'où le danger d'ériger des normes qui signifieraient également « l'instauration d'une obligation de résultat ». Or, « même si on est d'accord sur le projet global, on ne peut pas reprocher à un salarié de ne pas avoir obtenu le résultat escompté ! ».

« Je m'interroge sur l'utilité d'aller dépenser des sommes fabuleuses pour se prévaloir d'une norme comme celle qu'on met sur une cuisinière électrique », juge pour sa part Patrice Lasne, secrétaire général de la Fédération nationale aide familiale à domicile (5). « Peut-on sérieusement penser que le tampon garanti par la norme X ou Y va nous apporter un afflux d'usagers supplémentaires ? Croit-on que c'est celui-ci qui va garantir à l'usager qu'il s'agit d'une'bonne" aide à domicile ? », s'insurge-t-il. Jugeant d'ailleurs « dangereux » de « s'identifier à des pratiques du secteur commercial », celui-ci plaide davantage pour une réflexion sur les pratiques. C'est d'ailleurs ce qu'a engagé sa fédération depuis quelques mois afin de parvenir à « des indications sur la façon d'opérer » et une définition du métier. L'objectif étant d'aboutir à une charte « qualité » qui serait opposable aux usagers et aux financeurs. « Ce qui est très différent d'une démarche de normalisation mise en place par des techniciens spécialisés. »

Un label GERIAPA ?

Les avis sont plus nuancés au sein de l'Union nationale des associations d'aide à domicile en milieu rural (UNAADMR)   (3), de la Fédération nationale des associations pour l'aide aux mères et aux familles à domicile (FNAAMFD)   (6) et de la Fédération nationale des aides à domicile en activités regroupées (FNADAR)   (7), membres - tout comme d'ailleurs l'UNASSAD - du Groupement d'études, de recherches et d'initiatives pour l'aide aux personnes âgées (GERIAPA). Et pour cause : ses adhérents devraient également rendre publique, le 18 juin, une charte « qualité » de l'aide à domicile mais avec l'objectif de produire un référentiel d'activités et d'aboutir à un label GERIAPA. Sachant qu'ultérieurement pourrait éventuellement être examinée la question de la validation de ce référentiel par un organisme extérieur sous une forme qui reste à définir. Aussi, les fédérations dénoncent surtout la précipitation et l'absence de concertation avec laquelle a agi Domicile France. « C'est une initiative univoque alors qu'une réflexion sur une démarche d'assurance qualité ne peut être menée qu'au niveau interfédéral », juge ainsi Jean Vernhet, secrétaire général de l'UNAADMR. « En outre, avant de pouvoir annoncer que l'on s'engage dans une démarche de normalisation, il faut d'abord que les moyens de garantir les critères de qualité soient construits sur le terrain », renchérit Elisabeth Merle, secrétaire générale de la FNADAR. Et celle-ci d'expliquer « la démarche pragmatique » menée en ce sens par sa fédération et qui a vu notamment la réalisation d'un guide du recrutement et la mise en place de formations pour les responsables de secteur. Un avis partagé par Jean Vernhet qui insiste sur la nécessité d'inciter, de sensibiliser et d'accompagner les associations à une démarche qualité. D'ailleurs l'UNAADMR, après avoir voté sa propre charte « qualité » en 1996, est en train de définir des modes d'organisation et des procédures (recrutement, suivi de la prestation, analyse de la demande) afin que les engagements se concrétisent sur le terrain.

« Il est prématuré de se poser la question d'une éventuelle normalisation de l'aide à domicile. Auparavant, il reste à valoriser tout ce qui fait la qualité des prestations associatives », juge pour sa part Michel Gaté, délégué général de la FNAAMFD. Celui-ci voit finalement, dans la concurrence, l'occasion d'un changement radical du fonctionnement des services. Lesquels doivent désormais concilier le management participatif ou par projet sans perdre de vue l'éthique associative. C'est ainsi que sa fédération expérimente depuis deux ans un projet d'entreprise associative d'aide à domicile. Objectif : amener les associations à mobiliser leurs ressources en interne pour s'engager à livrer une prestation de qualité. Si Michel Gaté reconnaît le côté quelque peu provocateur de la démarche, il s'agit selon lui de montrer que les associations sont capables de produire une offre professionnalisée et de casser l'image de « bricoleurs » et de « petits boulots » véhiculée par le CNPF. Ce qui, au-delà du débat autour de la normalisation, constitue finalement le grand enjeu des fédérations d'aide à domicile. Isabelle Sarazin

NORMALISER LES SERVICES AUX PARTICULIERS ?

L'Association française de normalisation, indépendamment de la démarche engagée par Domicile France, a signé en décembre 1996 un contrat avec la direction départementale de l'emploi et de la formation professionnelle de la Vienne afin d'étudier la faisabilité d'une normalisation des emplois de services aux particuliers visés par la circulaire du 6 août 1996. Objectif : définir une démarche qualité applicable à l'ensemble des activités (allant des activités de ménage ou de repassage... à l'aide à domicile).

Notes

(1)   « Quels critères pour une aide à domicile de qualité ? », le 27 mars 1997 - FNAAFP/CSF : 53, rue Riquet - 75019 Paris - Tél. 01 44 89 86 86.

(2)  Voir ASH n° 1969 du 5-04-96.

(3)  UNAADMR : 184 A, rue du Faubourg-Saint-Denis - 75010 Paris - Tél. 01 44 65 55 55.

(4)  UNAGAF : 28, place Saint-Georges - 75009 Paris - Tél. 01 48 78 20 56.

(5)  FNAFAD : 13, rue des Envierges - 75020 Paris - Tél. 01 43 15 12 12.

(6)  FNAAMFD : 80, rue de la Roquette - 75011 Paris - Tél. 01 49 23 75 50.

(7)  FNADAR : 103, boulevard Magenta - 75010 Paris - Tél. 01 42 85 27 14.

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