Depuis une dizaine d'années, on assiste à la multiplication des lieux « de parole », « d'échange », « d'espaces ressources ou santé », de « points d'information » (1)... Autant de dispositifs où il est question d'écoute. Mais que s'agit-il d'entendre ? Et dans quel but ? L'écoute a-t-elle une fonction thérapeutique ou ne sert-elle, finalement, qu'à combler le déficit de dialogue des institutions... ? Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'au-delà de la diversité des expériences, la notion d'écoute reste floue et imprécise. Aussi, désireuse de soutenir elle aussi des lieux de ce type, la Mission de prévention des toxicomanies du conseil général de Seine-Saint-Denis a voulu clarifier le concept. Elle a mené une étude exploratoire sur 21 dispositifs (régions Rhône-Alpes et agglomération toulousaine Provence-Alpes-Côte d'Azur et Languedoc-Roussillon Nord-Pas-de-Calais). C'est la synthèse de cette première enquête nationale sur les lieux d'écoute, axée plus spécifiquement sur leur rôle en matière de prévention de la toxicomanie, qu'a rendu publique, le 28 avril, la DAS (2).
Premier constat : hormis quelques structures focalisées sur la prévention de l'usage de drogues, l'ensemble des expériences s'orientent vers une prévention généraliste. Elles s'intéressent avant tout aux conduites à risques (tentatives de suicide, fugues, consommations de produits toxiques, délinquance...). Remettant en cause la légitimité d'une prévention spécifique des toxicomanies, les intervenants perçoivent plutôt celles-ci comme « l'une des facettes parmi d'autres des conduites de l'adolescent ». Pour traiter le mal-être et la souffrance des personnes et garder leur confiance, ils préfèrent même esquiver le sujet de la drogue lors des entretiens. Ne l'abordant, en général, qu'avec les professionnels ou des parents inquiets du comportement de leurs enfants. Par ailleurs, ces structures évitent de recevoir des toxicomanes dépendants et les orientent vers les structures spécialisées. Quoi qu'il en soit, tous les lieux d'écoute pointent « l'insuffisance de prise en charge » des conduites à risques par les interlocuteurs habituels : manque de dialogue autour des consommations de toxiques, mauvaise gestion des suites des tentatives de suicide, des fugues...
Mais l'intérêt central du rapport est de tenter de saisir la complexité même de la fonction d'écoute. Une pratique variable qui, en raison de son caractère encore expérimental, reste « difficile à objectiver », souligne Pierre-A. Vidal-Naquet, coordonnateur de l'étude. D'abord, qui écoute ? Selon les objectifs visés, les acteurs peuvent être des professionnels de l'écoute (psychologues), des travailleurs sociaux dans le cadre de leur fonction de suivi socio-éducatif, des accueillants non spécialisés, des bénévoles, voire des usagers... Les professionnels de l'écoute précisent d'ailleurs avoir une pratique « décalée » par rapport à leurs homologues. « J'ai une espèce de pratique intermédiaire [...]. Je ne suis pas en position thérapeutique », souligne ainsi cette psychologue.
Si certaines structures « attendent » leur public, d'autres vont le chercher par le biais d'un travail de terrain. Mais toutes adoptent le principe d'une médiation entre le jeune et l'intervenant. Ainsi, au Point relais écoute de Béziers, la psychologue invite les différents acteurs à la contacter en présence du jeune et à faire la démarche avec lui, considérant que donner une adresse ne suffit pas. Ce qui pose la question de l'identification du problème, le lieu d'écoute faisant finalement « le tri ». D'où le risque, souligné par certains, que les partenaires extérieurs y voient « une solution de facilité » et soient tentés d'adresser toute personne sans essayer auparavant de trouver des solutions de droit commun. L'étude pointe ainsi le paradoxe de ces lieux dont l'existence pourrait « contribuer à diminuer l'efficacité du réseau sanitaire et social ».
Parmi les difficultés de l'écoute : lever les résistances des jeunes, venus parfois sur le conseil d'autrui, à être là. D'où l'importance du premier accueil pour enclencher une relation, préciser le rôle du lieu, de l'intervenant, poser le principe de l'anonymat... L'accrochage des jeunes pouvant également venir de la présence sur le terrain des intervenants ou de leur passage dans les espaces où ils circulent. Ensuite, il faut maintenir la relation par une définition plus précise du contenu de l'échange et du rythme. Certaines structures négocient ainsi avec le jeune un protocole de travail, principalement axé sur les entretiens, sans convocation, mais avec une proposition de rendez-vous en fonction des disponibilités et de l'urgence du problème. Selon les lieux, les interventions sont limitées ou non dans le temps. Mais, sauf exception, les lieux d'écoute ne visent pas à stabiliser durablement une clientèle. Ce qui peut être contradictoire avec le temps nécessaire à l'établissement de relations de confiance.
Si, dans tous les dispositifs, la fonction d'écoute et d'accueil est centrale, son statut varie, relève le rapport. Certains l'ont ainsi conçue comme « intégrée » à d'autres services. Ainsi à Accueil, écoute et médiation (Lyon), elle est indissociable des actions d'insertion considérées comme prioritaires dans la prévention des toxicomanies. C'est à partir de propositions concernant l'emploi, la formation, la santé que les éducateurs occupent une position d'écoute. Certaines structures, s'affichant comme des lieux de vie et s'apparentant à « des salles d'attente améliorées » autour d'un café, proposent même une écoute diffuse et informelle. Quitte à la compléter par des entretiens plus approfondis avec l'équipe médico-sociale. Quoi qu'il en soit, lorsque l'écoute est « intégrée », les intervenants cherchent à apporter une aide personnalisée en resituant son bénéficiaire dans son milieu de vie et, le cas échéant, en tentant d'agir sur ce dernier. Il ne s'agit pas ici d' un moment « parenthèse » dans la trajectoire de vie. Et si l'écoute peut déboucher sur le renvoi des personnes vers d'autres structures, ce n'est pas toujours le cas. Car souvent, le dispositif offre un processus complet de prise en charge.
A l'inverse, d'autres structures conçoivent l'écoute comme une « prestation » qui s'insère dans le réseau sanitaire et social. Par exemple, le Point d'écoute à Villeurbanne est défini comme « un maillon intermédiaire » entre « le terrain et les structures spécialisées des milieux hospitaliers, judiciaires, etc. ». L'usager y vient « en transit » pour un moment identifié d'écoute et pour une prise en charge limitée dans le temps.
A cette distinction autour du statut de l'écoute, s'ajoute celle sur ses finalités. Au-delà de l'objectif de réduire la souffrance de l'usager, que vise-t-elle ? La plupart du temps, il s'agit, analyse le rapport, d'une écoute « orientée », c'est-à-dire destinée principalement à rétablir du lien social en agissant sur l'individu et ses capacités d'insertion. Ce qui renvoie à une difficulté majeure liée à « la saturation éventuelle des autres dispositifs avec lesquels ces structures sont en réseau ». Qu'advient-il des personnes lorsque leur passage dans le lieu d'écoute ne suffit pas à réenclencher une dynamique d'insertion et que les institutions spécialisées ne peuvent les accueillir ? De fait, elles sont renvoyées dans l'exclusion, constate Pierre-A. Vidal-Naquet. « Dans ces cas, les lieux d'écoute ne parviennent pas à assurer une meilleure régulation des flux dans le réseau sanitaire et social. » Ils cherchent alors à agir sur celui-ci avec des moyens limités. « Ce n'est qu'au cas par cas qu'ils parviennent à ouvrir les filières de réintégration dans le système de droit commun. » C'est ainsi que, faute de pouvoir inscrire la prise en charge dans la durée, ces dispositifs ne parviennent pas toujours à répondre au mal-être des jeunes. Et ne servent parfois qu'à « temporiser », n'hésite pas à confier une intervenante.
C'est pourquoi, dans quelques dispositifs, l'écoute n'a aucun projet, si ce n'est la réduction de la souffrance de l'usager. Qualifiée alors d' « inconditionnelle » par le rapport, elle s'installe, se poursuit, même en l'absence d'issue, et s'apparente à un accompagnement. « Je les écoute seulement. Le fait de les écouter sans jugement, sans chercher à obtenir quelque chose d'eux, ça marche », indique ainsi ce responsable. En fait, il s'agit ici de proposer « à des individus en situation de décrochage social et de repli individuel, des formes de sociabilité et de socialité suffisamment attractives et conviviales pour leur permettre une amorce d'insertion ici et maintenant », précise l'auteur de l'étude. Ce qui n'empêche pas ces lieux d'être, eux aussi, confrontés à une difficulté. Celle de la concurrence, parfois très forte, avec d'autres formes d'associations qui proposent sur le mode mafieux, cette fois, des possibilités d'insertion sociale et de regroupements identitaires (certains réseaux islamistes ou de trafics, par exemple...).
Néanmoins, qu'ils se présentent sous la forme d'espaces relais ou communautaires, les lieux d'écoute souvent ne se bornent pas à intervenir auprès des jeunes en souffrance. Ils cherchent aussi à toucher leur entourage familial. Les professionnels de l'écoute peuvent d'ailleurs être mobilisés, au cas par cas, comme personnes ressources par les personnels d'autres institutions. Enfin, tous les lieux s'inscrivent dans une logique de réseau. Ce qui les oblige à « définir une déontologie commune » avec leurs partenaires et peut donner lieu, parfois, à des négociations difficiles...
Isabelle Sarazin
La Parenthèse à Romans (Drôme) Situé au cœur de Romans, le point d'écoute La Parenthèse est intégré à l'espace santé de la ville. Il vise « la prévention des toxicomanies, des maltraitances, des violences des conduites suicidaires ». Destiné aux adolescents, jeunes adultes, à leurs parents et aux personnes qui relèvent de structures de soins comme les toxicomanes, il tente d'offrir « un temps entre parenthèses pour que s'élabore une parole » par le biais d'un soutien personnalisé ou d'un travail de groupe. Avec éventuellement une orientation vers d'autres professionnels à la clé. Les jeunes sont reçus en général sur rendez-vous par la psychologue, qui anime également un réseau partenarial.
Top départ à Roubaix (Nord) Né à l'initiative d'un groupe de parents en 1992, Top départ est centré à l'origine sur l'accueil et l'écoute de jeunes qui connaissent des difficultés de toute nature. Pourtant, fréquenté en majorité par des toxicomanes, il a acquis rapidement la réputation d'être une structure spécialisée. Au rez-de-chaussée, des bénévoles assurent un premier accueil et offrent une « écoute informelle ». Tandis que les permanents (infirmière, éducateur, psychologue) engagent un « travail » basé sur l'écoute au premier étage. Les personnes (18-32 ans) viennent par le bouche à oreille ou sont adressées par des intervenants sociaux.
L'Espace santé jeunes à Salon-de- Provence (Bouches-du-Rhône) Créé en 1993 par la volonté de professionnels de la santé physique et mentale, c'est un espace de consultation, d'information, de prévention, de dépistage et de soins. C'est également un lieu ressource en personnel varié (médecins hospitaliers, assistantes sociales, conseillères conjugales assurant des vacations) et d'écoute généraliste sur les questions de santé au sens large. Un éducateur spécialisé assure le premier accueil des jeunes (13-25 ans) et organise ensuite l'orientation en interne. L'une des clés du fonctionnement du dispositif :l'existence du réseau.
(1) Encouragés d'ailleurs par la circulaire du 14 juin 1996 relative à la mise en place des lieux d'accueil pour les 10-25 ans. Voir ASH n° 1981 du 28-06-96.
(2) Dans le cadre de journées techniques DDASS et DRASS sur les jeunes en voie de grande marginalisation. « Lieux d'écoute et prévention primaire des toxicomanies » - Centre d'étude et de recherche sur les pratiques de l'espace (CERPE).