A en croire les médias, le pouvoir des psys ne serait pas loin d'envahir nos vies quotidiennes. Tel n'est pas apparemment le sentiment des psychologues qui exercent dans les institutions sanitaires et sociales. Au moment où, pourtant, le discours politique use et abuse de l'élargissement de la fracture sociale, où l'administration s'alerte sur la souffrance psychique des populations précarisées, où l'aide psychologique se « vend » facilement dans les nouveaux dispositifs d'action sociale et de santé publique (sida, toxicomanie), on pourrait légitimement supposer que l'exercice en institution soit, pour les psychologues, un créneau porteur. Ce n'est pas le cas. D'autant plus peut-être que les institutions - et parfois les psychologues eux-mêmes - ont du mal à cerner leur rôle et leur fonction auprès des usagers et/ou de l'équipe. Chacun alors se façonne une pratique à sa mesure, selon ses propres credos théoriques, son expérience et la demande institutionnelle (1).
Contrairement à ce que l'on pourrait croire, le boom démographique de cette jeune profession s'est arrêté au milieu des années 80. On compte environ aujourd'hui 5 000 psychologues équivalent temps plein (ETP) exerçant en institution qui, pour beaucoup, ont troqué leurs compétences en psychométrie (à base de tests) contre une démarche clinique, souvent en référence à la psychanalyse. Celle-ci irrigue aujourd'hui de nombreux secteurs, y compris dans les entreprises publiques et privées. Mais curieusement, remarque Patrick Cohen, membre du Syndicat national des psychologues (SNP) et directeur du Centre de recherches et d'intervention psychologiques (CRIP) à Marseille (2), « il y a une dichotomie entre le pouvoir soi-disant exorbitant que nous exerçons et l'absence de la profession dans les lieux de décision ». En raison d'une formation universitaire découplée de la réalité, de pratiques cloisonnées et aussi de missions et de statuts clairement définis.
Pourtant, la position de cadres qu'ils occupent, le plus souvent sans fonction hiérarchique, et dont ils se prévalent fréquemment, pourrait servir de repère. Pas si simple, prévient Me Virginie Hurson, avocate spécialisée dans le contentieux de la profession. Le code du travail ne définit pas le statut de cadre. Le psychologue est néanmoins inscrit comme tel dans les conventions collectives de 1951 et 1966, les plus utilisées, mais aussi dans celle de la Croix-Rouge. D'autres, comme celle de l'Ucanss ou des organismes de formation, sont franchement moins explicites. La jurisprudence de la Cour de cassation a fourni des critères d'appréciation (autonomie technique et indépendance professionnelle, marge d'initiative et de responsabilité, fonction de surveillance et de commandement) qui, ajoutés à la prise en compte du diplôme, du titre (protégé) et du code de déontologie refondé en 1996, aident à plaider dans un sens favorable aux professionnels lorsqu'un employeur leur refuse ce statut. « Le psychologue, à mon sens, n'a généralement pas une fonction d'encadrement. C'est un cadre de conception technique, reprend Me Hurson, ce qui ne le soustrait pas, évidemment, à l'obligation hiérarchique. » Autre contentieux, indique l'avocate, le fameux tiers temps dérogatoire qui, dans la convention de 1966, laisse aux psychologues 15 heures par semaine pour faire de la recherche, s'informer ou se documenter. Diversement utilisé du côté professionnel et critiqué par les employeurs, il est sévèrement remis en cause actuellement par les organisations patronales qui voudraient le supprimer ou le faire effectuer au sein de l'institution. Or, « ce tiers temps est un gage de leur indépendance professionnelle sur lequel les praticiens devraient être vigilants », estime Me Hurson qui reconnaît aussi que le laxisme de certains a pu discréditer, ces dernières années, l'ensemble de la profession.
Abus qui sont sans doute partiellement impartis à l'absence de définition des missions attribuées au psychologue dans les institutions. Une question qui divise les praticiens. « Pendant des années, les institutions du secteur de l'enfance inadaptée ont recruté des psys sur une fonction, sans s'intéresser au contenu qui n'était jamais ou rarement négocié. Les employeurs n'étaient pas vraiment demandeurs. Nous avons essuyé les plâtres. J'ai dû me forger ma place toute seule. Puis mon poste a été défini progressivement avec les autres professionnels », analyse Eliane Jacomelli, psychologue à l'IME Les Marronniers, à Marseille. « A la suite de la publication des annexes XXIV, nous nous sommes fait aider par des intervenants extérieurs. » Pour Alain Bogliolo, psychologue et directeur de l'IME Bel Estello, au Pradet (Var), il y aurait risque de dérive dangereuse à définir a priori l'intervention du psychologue en institution. Mais le projet institutionnel, lui, doit être clairement défini pour que le psychologue y fasse sa place. A lui de savoir s'il l'accepte. A la Fondation Barthelon (Toulon), qui accueille des cas sociaux, la psychologue a été recrutée sur une mission définie par une fiche de poste, autre façon pour l'institution de prendre position.
« La fiche de poste n'a pas de sens, sauf si l'on est recruté expressément pour faire de l'institutionnel, ou de la thérapie », avance pour sa part Véronique Saclier, psychologue aux Violettes à Marseille, foyer qui reçoit des adultes polyhandicapés. « Quant à la fiche de poste-protection, je n'y crois pas. Si, lors d'un changement de direction, le psychologue n'est plus dans la ligne idéologique de l'institution, fiche de poste ou pas, il sera remercié. » D'autant plus que l'austérité budgétaire contraint bon nombre d'entre eux à n'assurer que quelques heures de vacation par semaine, situation précaire qui force ainsi les institutions au « bricolage » technique et pédagogique.
Entre thérapie ou soutien de l'équipe, les fonctions remplies par les professionnels ne sont pourtant pas aussi manichéennes. Beaucoup s'interrogent sur leur positionnement au-dedans ou au-dehors de l'établissement, sur leur intégration à l'équipe ou leur position de tiers extérieur et, de là, sur la meilleure façon d'exercer leur art à la fois auprès de l'institution, des équipes et des usagers. Le consensus, ici, s'opère en négatif sur le premier cumul. Travailler sur le cadre institutionnel apparaît à une majorité incompatible avec le soutien, par exemple, d'une équipe ou l'écoute des usagers. Moins tranchée en revanche, la question de savoir si un cadre salarié d'une institution peut assurer une fonction thérapeutique auprès des usagers et le soutien d'une équipe. « Ne peut-il y avoir déplacement de la fonction vers l'institution au détriment de l'usager ? », s'interroge Bernard Alligier, directeur de l'association marseillaise Séréna.
« Le psychologue est tout à fait qualifié pour exercer une fonction de psychothérapeute en restant au sein de l'institution à condition que celle-ci soit bien cadrée le tiers temps lui permet d'avoir un recul suffisant pour pouvoir être, si nécessaire, un référent tiers pour l'équipe et ne pas la laisser s'enfermer dans des processus défensifs », analyse Françoise Caron, maître de conférences en psychologie clinique à Aix-Marseille après une carrière sur le terrain en psychiatrie adulte et en pédopsychiatrie. La position est certes difficile, voire paradoxale, parfois même fragile. Il n'est pas rare que le psychologue serve de bouc émissaire à des équipes elles-mêmes en difficulté sur le plan professionnel ou institutionnel, estime-t-elle. Mais il n'est pas rare aussi que « le psychologue étant analyste, usurpe une place qui n'est pas la sienne, rencontrant ainsi les attentes imaginaires de l'équipe : on aboutit parfois à des confusions effrayantes où le psychologue se croit en cure avec l'équipe ! » Si ce dernier a une formation analytique, rien ne l'empêche - au contraire - de s'en servir dans sa pratique personnelle pour comprendre la souffrance et faire émerger la parole. Ce que confirme Eliane Jacomelli qui, forte de sa formation analytique, estime offrir « une écoute aux adolescents des Marronniers en opérant, d'autre part, un travail de régulation avec l'équipe », sans être toutefois le thérapeute ni des uns ni des autres.
A contrario, Jean-Jacques Santucci cumule les fonctions de psychologue clinicien trois demi-journées par semaine et de directeur adjoint de l'Association méditerranéenne de prévention des toxicomanies à Marseille (3). « Il me faut la réalité du terrain pour éviter d'avoir une vision trop administrative. » Dans l'ensemble, l'exercice s'avère difficile. Il va même jusqu'à assister aux réunions d'équipe. « Je suis là au même titre que mes collègues : en tant que praticien. Je prends moi aussi le risque d'être en supervision. Je considère donc que je peux participer comme les autres à ce travail collectif. » Mais en revanche, il évacue la possibilité pour les psychologues en général d'effectuer, à la fois, un travail de régulation auprès d'une équipe « qui exige d'être neutre » et un travail clinique avec les usagers dont il est amené à discuter en équipe. « On ne peut pas être dedans et dehors il faut choisir. Sinon, comment avoir la distance nécessaire ? » « L'important, c'est de ne pas tomber dans des enjeux de pouvoir, propres à toutes les institutions et... aux personnes qui les font », ajoute, lucide, Véronique Saclier. Mais n'y a-t-il pas aussi des enjeux de pouvoir entre la place que s'octroie le psychologue et celle détenue par les médecins, psychiatres le plus souvent ? Surtout lorsqu'ils exercent une responsabilité institutionnelle et hiérarchique ? « Souvent, dans l'imaginaire des patients et même des professionnels, on nous attribue un'pouvoir ", synonyme d'une forme de toute-puissance dont il faut que l'on se défausse pour commencer à travailler », note le docteur Marie Lépine, l'un des rares psychiatres présents à cette journée. Si le psychologue peut exercer « un rôle de sentinelle dans ses relations avec le médecin », la position du psychiatre n'est pas forcément simple. En raison parfois du cumul des fonctions - responsabilité institutionnelle, hiérarchique et mise en œuvre du projet thérapeutique - qui risque d'en faire un « gestionnaire », au détriment de sa compétence thérapeutique.
Mais au-delà des querelles de chapelle sur les appuis théoriques qui cloisonnent la profession de psychologue, il aurait, selon Véronique Saclier, « intérêt à en appeler à l'éthique, de façon à faire respecter le droit de chacun à s'exprimer et à être entendu. Je le dis en tant que citoyenne et en tant qu'analyste : si un membre du personnel donne une gifle à un résident parce qu'il est à bout, cela peut se travailler. S'il répète son geste, il faut lui signifier que la gravité de son acte n'est plus tolérable et le dire ». Ce que d'autres collègues ne feraient pas forcément.
D'où la nécessité d'une ossature minimale commune dans la formation pour résister « aux caprices personnels » des praticiens, n'hésite pas à dire ce psychologue. D'une plus grande rigueur, d'une méthodologie rigoureuse qui fait actuellement défaut à la profession, complète Patrick Cohen. Voire d'une plate-forme méthodologique qui fasse référence, sans pour autant en appeler à la création d'un ordre rejeté par une majorité d'organisations professionnelles. Il en est grand temps. Devant l'évolution de processus générateurs d'une désespérance individuelle et collective massive, les psychologues doivent être présents sur la scène sociale. Le SNP l'a compris. Prochain chantier : un Livre blanc sur l'utilité sociale de la profession.
Dominique Lallemand
(1) Rencontre organisée par l'Uriopss PACA à Aix-en-Provence le 25 mars 1997.
(2) SNP : 40, rue Pascal - 75013 Paris - Tél. 01 45 87 03 39. CRIP : 38, rue Raphaël - 13008 Marseille - Tél. 04 91 76 28 40.
(3) Association méditerranéenne de prévention des toxicomanies : 19, rue de la République - 13002 Marseille - Tél. 04 91 56 08 40.