« Depuis 10 ans, on perçoit à travers les entretiens téléphoniques un changement de mentalité des divers intervenants et une avancée dans la prise de conscience de la réalité du viol et dans la prise en charge des victimes. » Pour les responsables de Viols-femmes-informations, l'attitude des professionnels du social, de la santé et de la justice semble donc évoluer dans le bon sens. Même si c'est de façon assez inégale. En effet, ce changement « est très net chez les travailleurs sociaux et les éducateurs qui, d'ailleurs, ont été les premiers à demander des journées de formation sur les agressions sexuelles », alors que la prise de conscience est moins importante chez les médecins et les enseignants « qui pourraient être pourtant les premiers confidents des enfants et des adolescents ». Chez les psychothérapeutes, elle se manifeste également, quoique de façon « plus lente et avec des courants divers [...]. Même des thérapeutes de formation analytique semblent vouloir sortir de l'enfermement dans la théorie freudienne et quitter le silence d'une “neutralité bienveillante” afin d'entendre et de croire la réalité des faits exprimés par les victimes au lieu de s'intéresser seulement à leur vécu, sans distinguer les faits réels des fantasmes. [...]Nous avons vu aussi une évolution dans l'accueil de la police et dans les hôpitaux. Tout ce qui peut favoriser la double démarche médecin/police répond à notre demande, telle que l'initiative de l'utilisation de l'enregistrement par vidéocassette pour les enfants afin de ne pas répéter les auditions. De même, la création de nouveaux centres d'urgences médico-judiciaires paraît indispensable, dans la mesure où le personnel reçoit une formation adéquate et où les victimes pourraient trouver dans le même lieu des antennes de la police et du bureau d'aide aux victimes ».
Pourtant, en dépit de ces progrès, le parcours des victimes de viol reste souvent très pénible. « Quand la victime a décidé de porter plainte, son attente est intense par rapport à la justice et sa déception à la mesure de cette attente. » Or, « l'instruction est particulièrement mal vécue : la victime se sent interrogée comme une coupable ou bien pas interrogée du tout et envoyée directement à l'expert psychiatrique pour une expertise qui ressemble plutôt à une expertise de crédibilité de la parole de la femme et d'évaluation de sa fragilité antérieure au viol, plutôt qu'à une évaluation des dommages subis, conséquences du viol ». Cette souffrance supplémentaire est-elle inévitable ? « Il est évident que personne n'est au-dessus des lois et que la justice doit faire son travail et ne pas condamner sans preuves », répondent les permanentes. Cependant, précisent-elles, « il est tout aussi évident que les inégalités entre les sexes, la discrimination et la domination que subissent les femmes de la part des hommes, ne peuvent être niées. Des stéréotypes ancrés dans les mentalités entraînent la banalisation du viol et permettent d'occulter les faits douloureux décrits par les femmes et d'en faire une lecture en leur défaveur ». Aussi, « [...] il nous est apparu urgent de montrer comment, dans les faits, les hommes violeurs développent un discours justificatif où l'usage de la force, du pouvoir et de la domination est donné comme conforme à la loi naturelle. [...] Il est important de redire que le principe d'égalité entre les sexes, reconnu dans les lois de la République, doit être appliqué dans les faits, spécialement en ce qui concerne les violences sexuelles et leur traitement social, afin que cessent ces processus de victimisation créant une “fracture sociale” ».
(1) Cette permanence a été créée en 1986, avec le soutien des pouvoirs publics, par le Collectif féministe contre le viol : 9, villa d'Este - 75013 Paris - Tél. 01 45 82 73 00.