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Au carrefour de l'individuel et du collectif, une fonction à redéfinir

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Depuis une dizaine d'années, au-delà de la prise en charge individuelle, les délégués à la tutelle aux prestations familiales s'orientent vers des actions collectives, voire communautaires. Ce qui interroge les pratiques professionnelles.

« Le projet de loi de cohésion sociale rappelle que les travailleurs sociaux doivent favoriser l'accès des personnes en difficulté aux droits, à la santé, à l'éducation et au logement. Or, la tutelle aux prestations familiales s'inscrit parfaitement dans cette logique, puisque le délégué à la tutelle gère les problèmes quotidiens des familles. Reste à savoir comment il peut s'inscrire dans tous les dispositifs sociaux qui existent aujourd'hui. » A travers ce constat, Laurent Passavant, président du Carrefour d'échange technique sur la tutelle  (CETT) et directeur de l'Association départementale de tutelle des Côtes-d'Armor (1), pose en fait une double interrogation : quelle est la place, aujourd'hui, des délégués à la tutelle par rapport à celle qu'occupent les autres travailleurs sociaux ?Où commence et où s'arrête leur mission ?Deux questions qui ont été débattues lors des journées d'étude du CETT à Paris (2).

En effet, le contexte économique et social de ces dernières années provoque une évolution des pratiques professionnelles des délégués. La complexité des problèmes (financiers, sociaux, relationnels...) rencontrés par une même famille, la multiplicité des dispositifs sociaux et l'évolution actuelle du travail social poussent, depuis une dizaine d'années, certains délégués à aller au-delà de la relation individuelle avec les parents.

Des entretiens collectifs

Ainsi, quatre déléguées de l'UDAF de la Loire (3) reçoivent désormais les mères de famille en groupe, sans avoir supprimé pour autant les entretiens individuels : tous les 15 jours, deux déléguées animent une réunion de deux heures en compagnie de femmes placées sous tutelle aux prestations familiales  (TPF). Le nombre de participantes varie entre deux, six et douze personnes. « La plupart des familles sur lesquelles s'exerce une mesure de TPF sont dans un isolement social complet, elles sont incapables de s'exprimer, de faire des démarches administratives », explique Catherine Barou, l'une des quatre déléguées à la tutelle à l'origine de cette démarche. « Nous voulions instaurer un lieu d'échange, où la déléguée représente la loi mais pas l'autorité, de façon à ce que la famille ne soit pas placée dans une situation de soumission. Et ce, en poursuivant le même objectif que lors des entretiens individuels : l'acquisition progressive de l'autonomie et la fin de la mesure. » Pour ce faire, différents sujets pratiques sont évoqués lors des réunions : comment remplir une déclaration de revenus, lire les formulaires administratifs... Ce sont certes des sujets qui peuvent être abordés en entretien individuel, mais le groupe crée une dynamique : « Les femmes s'aident entre elles. Car une fois qu'elles sont informées, elles sont capables d'aller dans les administrations et d'en ramener des renseignements concrets qu'elles transmettent ensuite aux autres au cours des réunions. Ainsi, l'acquisition de l'autonomie n'est plus une injonction de notre part, elle devient une expérience vécue. »

Déléguée à la tutelle pour l'UDAF du Lot-et-Garonne (4), Astrid Donnette-Fayolle s'est, quant à elle, intéressée aux loisirs des enfants dont les parents sont soumis à une mesure de TPF dans la ville de Tonneins. A partir d'un constat : les activités d'été proposées par la CAF ne correspondaient pas aux besoins des enfants de 10 à 14 ans. Laissés à eux-mêmes, ceux-ci adoptaient des comportements pré-délinquants. « Il fallait monter un projet leur permettant de suivre des activités qui leur plaisent, en utilisant leurs capacités, en les valorisant », explique Astrid Donnette-Fayolle. Car, pour cette professionnelle, les loisirs ne sont en fait qu'une « porte d'entrée » pour effectuer un travail plus global auprès de ces enfants. « Il est utile de traiter toutes les carences dont ils souffrent, en les sensibilisant, par exemple, aux questions de prévention de santé. »

Pendant une semaine d'été en 1995 et 1996, 12 enfants ont bénéficié d'activités de loisirs, le tout étant financé par l'UDAF et la CAF, avec l'aide logistique du comité départemental de prévention pour la santé (distribution d'affiches et de brochures) et du service municipal des sports. Les enfants ont participé à des activités sportives et éducatives (visite d'une ferme, d'un musée), ainsi qu'à des jeux centrés sur l'hygiène alimentaire et la santé. « Certaines familles ont également participé, en animant un atelier de cuisine par exemple, raconte la déléguée. Nous souhaitions que ces enfants et ces parents, en participant à la vie du groupe, se réapproprient leur citoyenneté. »

En faisant appel à différents partenaires, comme la CAF, le comité de prévention pour la santé ou le service municipal des sports, Astrid Donnette-Fayolle souhaitait « mettre différents savoirs en commun ». Car, selon elle, « les délégués à la tutelle ne peuvent pas se borner à gérer le budget des familles, sans se préoccuper des problèmes de violence ou de santé des enfants ». Un sentiment partagé par Béatrice Benoît, déléguée à la tutelle à l'UDAF de la Loire : « Nous devons sortir de notre carcan et nous tourner vers d'autres travailleurs sociaux. Pour mettre nos compétences en commun, mais aussi pour mieux aider les familles. De cette façon, lorsqu'une mesure de tutelle touche à sa fin, nous n'abandonnons pas les parents. Nous pouvons les orienter, par exemple, vers une conseillère en ESF. »

C'est aussi l'avis de Catherine Seradin, déléguée à la tutelle dans les Côtes-d'Armor, dont le travail s'intègre dans un projet de développement social urbain. « A l'initiative de l'office HLM, des groupes de travail ont été constitués, dont un sur l'insertion sociale et économique, auquel j'ai participé. J'ai été sollicitée parce que je connais les familles depuis dix ans. Ce groupe comprenait également des assistantes sociales, des représentants de la mission locale pour l'emploi et de l'ANPE, un travailleur social de l'office HLM et un animateur de centre social. » Ce partenariat a débouché sur la mise en place, d'octobre 1996 à octobre 1997, d'un chantier d'insertion des femmes du quartier du Roudouroux à Guingamp, afin d'aménager une aire de jeux pour les enfants de 2 à 8 ans. Il s'agit de resocialiser ces femmes qui, isolées et sans travail, ont perdu tout repère, jusqu'aux rythmes réguliers des repas. « Ma contribution a consisté à choisir, parmi les femmes dont j'ai la charge dans le cadre d'une mesure de tutelle, celles qui pouvaient suivre ce chantier », précise Catherine Seradin. Finalement, une seule a pu y accéder dans le cadre d'un contrat emploi-solidarité.

Renforcer l'identité du délégué

Le résultat peut paraître mince au bout de deux ans d'investissement professionnel dans ce projet. D'autant que d'autres délégués à la tutelle s'interrogent : la profession n'est-elle pas en train de perdre sa spécificité ? En effet, le travail en partenariat ne risque-t-il pas d'écarter le délégué de ses missions définies par son mandat ? « Je pense que la mise en place de partenariats renforce au contraire notre identité de délégué, répond Catherine Seradin. Dans un groupe de travailleurs sociaux, nous apportons notre propre connaissance des familles, notre expertise. De plus, nous comprenons mieux la façon dont chaque travailleur social fonctionne, chacun ayant ses contraintes, sa logique administrative propre. Nous orientons donc les familles vers des services sociaux que nous connaissons mieux. »

Astrid Donnette-Fayolle, quant à elle, rappelle volontiers que le mandat des délégués à la tutelle est très vaste, ce qui est une chance pour les professionnels. « La charte de l'UNAF précise que les UDAF assument des actions à caractère social, éducatif et économique en direction des familles », souligne-t-elle. « Le mandat nous assigne une mission générale, ajoute Laurent Passavant. A nous de définir, sans complexe, les stratégies et les moyens que nous souhaitons mettre en œuvre pour la remplir. »

Pour Didier Chefneux, responsable de l'activité tutelle aux prestations sociales dans le Rhône, il n'en reste pas moins vrai que les délégués à la tutelle doivent prendre garde à bien définir leurs compétences par rapport à celles des autres travailleurs sociaux : « Dans le Rhône, nous en étions arrivés à instruire des dossiers RMI. Il nous a donc fallu revoir le rôle des uns et des autres. Mais au-delà de ce débat, je me demande si les délégués ne sont pas tout simplement en quête d'identité, car ils se sentent peu connus et peu reconnus. »

Anne Ulpat

UNE FORMATION À REVOIR

Une vaste enquête lancée par le ministère des Affaires sociales s'intéresse à « l'évolution des pratiques et [aux] transformations de la professionnalité des délégués ». Le premier volet de l'étude est quantitatif. Des questionnaires ont été adressés aux DDASS et visent à mieux cerner la profession : nombre des délégués à la tutelle aux prestations familiales et majeurs protégés, diplômes d'origine, date d'obtention du certificat national de compétence  (CNC), nombre et nature des mesures suivies par chaque délégué, etc. Le deuxième volet est qualitatif. Confié au cabinet FORS, il est mené dans trois départements, les Côtes-d'Armor, le Vaucluse et le Nord, et s'intéresse aux contenus proprement dits des missions des délégués : la charge de travail, la part prise entre la fonction gestionnaire et la fonction éducative, la pertinence des textes par rapport à l'évolution des pratiques... Enfin, troisième et dernière partie de l'enquête, menée par la DAS : la formation. Pour l'instant, la fonction de délégué à la tutelle aux prestations sociales est ouverte aux assistantes sociales, aux conseillères en économie sociale familiale, aux éducateurs spécialisés et aux travailleuses familiales. Or, il semble que le mode d'obtention et le contenu des formations ne soient plus adaptés aux besoins et aux parcours des professionnels. En effet, Marie-France Besnard, conseillère technique à la DAS et membre du comité qui pilote l'ensemble de l'enquête, pointe au moins deux anomalies : « Pour l'instant, le CNC n'est pas validé par des épreuves. Il s'agit d'un diplôme délivré à tous, sans qu'il y ait un contrôle de l'acquisition des compétences. Or, une formation qualifiante doit être validée. » En outre, le contenu de la formation semble aujourd'hui inadapté car elle s'adresse à un public trop hétérogène : « Certains professionnels se présentent au CNC au bout d'un an de pratique, d'autres au bout de cinq ans, d'autres encore au bout de dix ans. Or, cela n'a plus aucun sens dans le cadre d'une formation d'adaptation. » Pour l'instant, cependant, « aucune réforme n'est en cours », souligne Marie-France Besnard, puisque les résultats de cette vaste enquête ne seront connus qu'en juin prochain. De la même façon, pas de réforme en préparation du côté du ministère de la Justice, mais une réflexion en interne sur l'évolution de la fonction tutélaire et sur l'adéquation entre le contenu du mandat et la réalité des pratiques professionnelles.

Notes

(1)  Carrefour d'échange technique « tutelles aux prestations familiales »  - Association départementale de tutelle : BP 2235 - 22022 Saint-Brieuc cedex 1 - Tél. 02 96 78 84 00.

(2)  Journées d'étude sur l'action collective dans le cadre des tutelles à prestations familiales des 13 et 14 mars 1997 - La Sève : 74, rue La Fontaine - 75016 Paris - Tél. 01 42 88 22 73.

(3)  UDAF de la Loire : 2, rue Buisson - 42021 Saint-Etienne cedex - Tél. 04 77 43 24 60.

(4)  UDAF du Lot-et-Garonne : 7, rue Roger-Johan - BP 219 - 47006 Agen cedex - Tél. 05 53 69 37 37.

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