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La DDASS du Val-d'Oise s'engage

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Face à la souffrance psychique des personnes précarisées, la DDASS du Val-d'Oise a créé une commission « Exclusion sociale et santé mentale ». Et impulsé une dynamique.

Ici et là, des initiatives extrêmement diverses se multiplient pour développer des lieux d'écoute permettant d'entendre la souffrance psychique des personnes en situation d'exclusion. Un mal-être à la frange du sanitaire et du social qui, comme l'a mis en évidence le rapport Lazarus (1), bute trop souvent sur le dialogue de sourds entre psychiatres et travailleurs sociaux. Mais au-delà de ces expériences récentes et souvent isolées, peu de départements ont pris réellement le problème à bras-le-corps. C'est dire l'intérêt de la démarche engagée dans le Val-d'Oise, qui va d'ailleurs dans le sens des recommandations du rapport Patris (2) et des orientations du programme d'action pour le renforcement de la cohésion sociale (3).

Dans ce département, dès 1995 la DDASS (4) a mis en place, dans le cadre de la commission départementale de santé mentale et à la suite de l'élaboration du schéma d'organisation de la psychiatrie, une commission « Exclusion sociale et santé mentale ». Composée de psychiatres, de représentants de la DDASS, d'un conseiller général, de quelques intervenants sociaux, cette instance vise à impulser une réflexion cohérente autour des articulations à établir entre la psychiatrie et les dispositifs sociaux accueillant les publics en grande précarité. « Ce qui n'était guère évident au départ, car le milieu psychiatrique avait très peur d'être sollicité par le secteur social pour des problèmes ne relevant pas du soin psychiatrique », se souvient le président de la commission, Jacques Piant, médecin chef de psychiatrie infanto-juvénile au centre hospitalier de Gonesse. Aussi, « dans un premier temps, il s'agissait déjà de permettre aux intervenants des deux champs, deux mondes qui s'ignorent le plus souvent, de se connaître », se souvient Jean-Luc Brière, directeur départemental des affaires sanitaires et sociales. C'est ainsi que la commission se réunit tous les mois autour de thèmes précis (RMI, relations entre psychiatrie et travail social...) avec les intervenants sociaux concernés. Des rencontres destinées à expliquer les logiques des uns et des autres, mais aussi à dépasser les a priori respectifs. Et qui peuvent déboucher sur des opérations concrètes. Par exemple, à la suite de celle consacrée aux liens entre la santé mentale et les centres d'hébergement, la DDASS a adressé une lettre aux chefs des services de psychiatrie les invitant à développer les collaborations avec ces structures. Et surtout, elle les informait avoir réservé des crédits (à hauteur de 48 000 F par hôpital) pour financer des vacations de psychiatres dans les centres d'hébergement.

Des consultations avancées...

La commission intervient donc comme un lieu de rencontre, de mise en réseau et d'incitation à l'action. Et la dynamique est engagée, estime Jean-Luc Brière. « L'idée de la collaboration psychiatrie-travail social est passée et des liens concrets commencent à se nouer sur le terrain. Il faut maintenant avoir une vision d'ensemble des expériences existantes et se fixer des modalités d'évaluation afin de pérenniser et de reproduire celles qui marchent. »

En fait, cette commission s'inscrit dans le prolongement d'une réflexion déjà engagée par la DDASS sur le nécessaire décloisonnement du sanitaire et du social. Ainsi, dès 1994, celle-ci avait recruté un médecin de santé publique afin d'aider les services instructeurs du RMI à mieux appréhender les problèmes de santé des populations sur la ville nouvelle de Cergy-Pontoise. Et, à la suite de réunions organisées localement par celui-ci entre les intervenants de psychiatrie et les travailleurs sociaux et d'un long travail de réflexion, est née l'idée de créer des consultations avancées dans des structures accueillant les publics exclus. C'est ainsi que depuis quelques mois, une psychologue, recrutée par la fédération de psychiatrie de l'hôpital de Pontoise (5), intervient dans quatre lieux de passage de ces populations. A l'Abri de nuit de Cergy-Village et à l'antenne du Secours catholique de Pontoise, il s'agit surtout d'établir une présence, de créer des relations de confiance avec une population majoritairement SDF, pouvant déboucher éventuellement sur des entretiens individuels. Sinon, à la Maison des associations de Pontoise et à la Maison de quartier de Cergy-Saint-Christophe, la psychologue assure des consultations plus classiques, recevant sur rendez-vous, et à leur demande, les personnes orientées par les services sociaux ou les associations. Objectif de cette écoute spécialisée :permettre à des publics qui n'iraient jamais consulter un service de psychiatrie, assimilé souvent encore à l'asile, d'exprimer leurs difficultés psychologiques  évaluer leur demande et les orienter, s'il y a lieu, vers une structure de soins.

L'expérience, lancée au départ à titre expérimental sur des crédits DDASS mais aujourd'hui pérennisée, n'en est encore qu'au défrichage, aux dires mêmes de ses promoteurs. Néanmoins, un premier constat apparaît. Globalement, les personnes reçues présentent des troubles anxieux, dépressifs, liés souvent à des problèmes d'alcoolisme ou de toxicomanie. Très peu relèvent de soins psychiatriques lourds. « Beaucoup d'entre elles, notamment les SDF, sont en perte d'identité. Elles ont surtout besoin de parler, d'être reconnues et de sortir de l'anonymat des circuits administratifs. La mise en mots de leur détresse est importante. Je me situe un peu comme le réceptacle de leur parole », témoigne Marie-France Jacquemain, la psychologue.

Dès le départ, le cadre de travail avec les travailleurs sociaux a été clairement défini, notamment eu égard à la question du secret professionnel. S'il n'est bien évidemment pas question de trahir la parole des usagers recueillie au cours des entretiens, il est important néanmoins de pouvoir rendre compte du suivi des situations aux professionnels. « Ce qui pose d'ailleurs des problèmes de liaison faute de ne pouvoir toujours disposer d'un téléphone dans les structures où je suis, explique Marie-France Jacquemain. Or, dans certains cas, il me paraît important de joindre l'assistante sociale pour la rassurer, lui dire si l'usager est venu et si son orientation était adaptée. Il faut pouvoir conserver un cordon. » Mais ces consultations, qui jouent l'interface entre la psychiatrie et le social, ne sont qu'un maillon d'un travail de réseau mené plus en amont. C'est ainsi que des groupes de parole se réunissent régulièrement aux circonscriptions de Cergy et de Pontoise avec des membres de l'équipe de psychiatrie (éventuellement la psychologue) et les travailleurs sociaux. C'est là que ces derniers peuvent demander informations, conseils et exposer leurs difficultés face aux troubles psychiatriques, comportements de violence ou d'agressivité de certains publics qu'ils rencontrent. Et c'est là qu'il y a un réel dialogue et partage de l'information, non pas sur des cas individuels, mais au travers de l'exposé de cas généraux.

Des réunions dans l'ensemble très appréciées par les travailleurs sociaux. « Cela permet de désamorcer certaines situations angoissantes », reconnaît Françoise Delarue, responsable de la mission insertion Vexin-Ville nouvelle du conseil général. Quant aux consultations avancées, elles ont l'intérêt, estime-t-elle, de « casser les murs » de l'hôpital psychiatrique. « Alors qu'auparavant les travailleurs sociaux avaient beaucoup de mal à être entendus par les équipes de secteur, aujourd'hui la coordination est plus facile. Et cela leur apporte un énorme soutien. » Il n'en reste pas moins que cette expérience d'écoute a ses limites. Notamment auprès des populations étrangères présentant des troubles mentaux, qui restent difficiles à atteindre. « Ce type d'écoute est-il adapté ? Ou ne faudrait-il pas envisager des médiateurs interculturels ? », suggère Françoise Delarue.

... aux points santé

Autre expérience soutenue par la DDASS, celle des quatre points santé mis en place depuis trois ans. C'est ainsi que celui de la mission locale de Sarcelles/Villiers-le-Bel (6) a été ouvert en octobre 1994 pour favoriser l'accès des jeunes à la santé et à leurs droits. Les visites médicales faisaient, en effet, couramment émerger leur souffrance physique et psychique. Elles mettaient notamment en évidence, chez beaucoup d'entre eux, un profond malaise exprimé au travers de leurs tentatives de suicide, de leurs conduites à risques, voire de leur état dépressif ou de leur sentiment d'effondrement... Deux psychologues reçoivent les jeunes qui viennent de leur propre initiative ou sur l'orientation du conseiller technique de la mission locale, de l'assistant social de secteur ou d'autres intervenants. L'objectif de cette écoute est clairement posé : « Il s'agit d'abord de donner le droit à une plainte d'exister. Et, à partir de là, de favoriser une dynamique de soins en l'articulant avec le projet social et professionnel du jeune au sein de la mission locale », explique Xavier Gassmann, psychologue et coordonnateur du projet. La santé - et notamment la récupération des droits sociaux - est donc envisagée comme le point de départ à la reprise de confiance en soi, préalable indispensable à toute démarche d'insertion. Mais cet accompagnement en vue d'une autonomisation n'est possible que grâce au travail en réseau avec différents partenaires : les conseillers techniques de la mission locale bien sûr, mais aussi les assistants sociaux de la Cramif (qui interviennent directement au point santé par des permanences), ceux du secteur, les structures de soins, les centres d'hébergement... Financé au départ sur des crédits de la DDASS, de la politique de la ville et de certaines communes, le poste du coordonnateur est, depuis 1996, rattaché au service de psychiatrie infanto-juvénile de l'hôpital de Gonesse. Ce qui permet d'intensifier ses collaborations avec cet établissement et de renforcer le travail de jointure entre le sanitaire et le social.

Mais aborder les questions de santé au sein d'un organisme social suppose, là encore, d'avoir clarifié les zones de partage d'informations des différents intervenants. Aussi, outre les réunions de concertation mensuelles avec les principaux partenaires internes et externes, depuis peu, des réunions sont organisées au sein même de la mission locale. Celles-ci visent à permettre aux psychologues et aux conseillers techniques d'aborder ensemble, dans la limite du secret professionnel, les situations des jeunes. « Cela permet d'éviter aussi les incompréhensions ou les clivages qui pourraient naître de l'absence de dialogue et du sentiment des conseillers techniques que nous faisons de la rétention d'information, explique Xavier Gassmann. En outre, il ne s'agit pas de faire de l'écoute pour de l'écoute. Celle-ci n'a de sens qu'articulée au projet social. »

Au sein de la mission, l'avis est d'ailleurs plutôt positif. « L'expérience du point santé renforce notre rôle d'observatoire local des jeunes en difficulté en intégrant la dimension santé. Laquelle n'émergeait pas dans la relation entre le conseiller technique et le jeune, car ce dernier n'en parlait pas », explique le directeur adjoint, Kader Belmokhtar. Il est sûr que le point santé, parce qu'il n'est pas un lieu stigmatisant, répond à un besoin grandissant : à chaque permanence, les listes d'attente s'allongent. Maintenant jusqu'où faut-il aller ? « D'un point de vue matériel, nous ne pourrons pas continuer à faire face à l'augmentation des demandes, souligne ce responsable. En outre, n'y a-t-il pas un risque de surdimensionner l'action santé par rapport aux autres approches au sein de la mission locale ? », s'interroge-t-il. Autant de réflexions qui renvoient à des questions de fond : jusqu'où faut-il multiplier les lieux d'écoute qui ne sont, finalement, que la conséquence d'un chaînon manquant entre le sanitaire et le social ?A force de rajouter des structures intermédiaires pour suppléer l'absence de dialogue, ne risque-t-on pas encore de complexifier l'action sociale et médico-sociale ?

Isabelle Sarazin

Notes

(1)  Voir ASH n° 1926 du 12-05-95.

(2)  Voir ASH n° 1980 du 21-06-96.

(3)  Voir ASH n° 2013 du 7-03-97.

(4)  DDASS : 2, avenue de la Palette - 95011 Cergy-Pontoise cedex - Tél. 01 34 25 25 25.

(5)  Centre hospitalier René Dubos : 6, avenue de l'Ile-de-France - 95300 Pontoise - Tél. 01 30 75 40 36.

(6)  Point santé/Mission locale : 11, avenue du 8-Mai-1945 - 95200 Sarcelles - Tél. 01 34 19 66 33.

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