« Le CRC est un syndicat ouvert et peu bureaucratique qui reste à construire. C'est ça qui nous intéresse. » Pour Cécile Harel, éducatrice spécialisée en AEMO, dans les Hauts-de-Seine, la fédération nationale santé-sociaux Coordonner-rassembler-construire (CRC) (1) n'est pas une organisation comme les autres. C'est, en partie, pour cette raison qu'elle a créé, en septembre dernier, une section syndicale CRC - dont elle est devenue la déléguée - avec une dizaine d'autres salariés de son association. « Ça faisait un moment que nous y pensions. Plusieurs d'entre nous étaient ou avaient été à la CFDT santé-sociaux. Mais nous étions de plus en plus mal à l'aise avec les positions défendues par Nicole Notat et opposés au rôle que l'on veut faire jouer aujourd'hui aux travailleurs sociaux », explique-t-elle. Un malaise qui culmine, d'abord, avec le mouvement social de novembre et décembre 1995 (2), puis, quelques mois plus tard, avec l'affaire des sans-papiers de Saint-Bernard. « Ces événements nous ont secoués et donné envie de bouger. » D'autant, poursuit-elle, que son association, qui compte environ 90 salariés répartis sur plusieurs services, venait de vivre une restructuration plutôt « douloureuse ». « En tout cas, ça n'est certainement pas un réflexe de peur qui nous a poussés à nous syndiquer. C'est plutôt la volonté de nous réapproprier les choses et de dire ce qui se passe dans notre secteur », poursuit la déléguée syndicale.
Cette détermination se traduit par des objectifs multiples : défendre les conditions de travail des salariés, tenter de préserver le « contenu technique » du travail social et participer au débat national sur les orientations politiques et économiques. Quelques mois après sa création, la section semble avoir plutôt réussi son implantation. En effet, aux dernières élections des représentants du personnel, elle a remporté quatre sièges au premier tour. Et ceci en dépit de l'opposition tardive de la section CFDT santé-sociaux, contestant la représentativité du CRC.
La création de cette section CRC n'est pas un fait isolé. En effet, ces derniers mois, la fédération a enregistré la constitution de six syndicats départementaux, dans la Somme, l'Oise, l'Aveyron, l'Auvergne, le Gard et l'Hérault. Et elle affirme être désormais présente dans 24 départements et regrouper, environ, 2 500 adhérents (dont 10 à 15 % dans le secteur social). Pour Marie-Thérèse Patry, sa secrétaire fédérale, ce regain d'intérêt des travailleurs sociaux pour le syndicalisme s'enracine dans les grèves de 1995. « Au niveau du social, il y a eu, à ce moment-là, une forte mobilisation. Il existait déjà un petit noyau de militants très combatifs. Mais, là, on a vu apparaître des groupes de travailleurs sociaux, non seulement dans la bataille sur le plan Juppé mais, aussi, dans la lutte des sans-papiers, dans les marches d'AC! et dans les actions en faveur des sans-logis. »
Depuis, se réjouit-elle, il n'est pas rare que des professionnels du social contactent le CRC (ou SUD, dont le sigle possède une plus forte notoriété). Parfois, comme à Toulouse, ce sont des syndiqués CFDT qui souhaitent changer de fédération. Mais, dans la plupart des cas, il s'agit de salariés qui veulent créer de toutes pièces une section. Leurs motivations ? « Il y a d'abord le manque de dialogue dans l'entreprise et l'absence de combativité des syndicats en place », analyse Marie-Thérèse Patry, mais, aussi, des raisons liées à l'inquiétude des professionnels sur l'avenir de leur secteur. « Les travailleurs sociaux ont analysé le mouvement de décembre comme un tournant dans les politiques sociales. Toucher à la protection sociale, c'est remettre en cause les principes de 1945, en particulier la solidarité. Les gens se disent qu'ils ne peuvent plus rester dans leur coin et qu'il faut qu'ils s'organisent. »
Dans ces conditions, pourquoi les candidats ne s'adressent-ils pas, en priorité, aux syndicats des confédérations, solidement implantés et bien organisés ? « Probablement parce qu'ils ne répondent pas à leurs attentes alors que nous proposons un syndicalisme différent », répondent les permanents du CRC. « Pour nous, précisent-ils, le syndicat doit redevenir un outil au service des salariés. Autrement dit, il ne doit être ni bureaucratisé ni institutionnalisé. Dans les confédérations, on a le sentiment que tout est décidé en haut. Et ça, les gens n'en veulent plus. En outre, nous refusons de nous laisser enfermer dans un jeu des négociations avec les patrons et les pouvoirs publics. Et nous n'avons pas de liens avec les partis politiques. » Principaux mots d'ordre du CRC :démocratie interne et fédéralisme. « Les syndicats mènent leur politique de manière autonome. De toute façon, vu sa taille, l'appareil fédéral n'a pas la prétention de tout contrôler », plaide Patrick Alloux, secrétaire fédéral . Autre spécificité du CRC : les liens étroits qu'il tisse avec certains collectifs, en particulier le Collectif social unitaire (CSU), créé à Paris il y a plus d'un an (3). Une pratique qui lui permet de toucher des non-syndiqués et des adhérents d'autres organisations. Quitte à leur fournir une aide logistique, comme c'est le cas pour le CSU et la Concass. Une logique de réseau, plus que d'appareil, qui paraît d'ailleurs séduire un certain nombre de travailleurs sociaux. Quant aux accusations de manipulation, parfois formulées, la fédération les rejette, objectant que les collectifs sont autonomes. « Notre objectif, c'est de participer au débat et pas que les gens viennent obligatoirement chez nous. Evidemment, nous souhaitons qu'un maximum de salariés soient syndiqués. Et si c'est au CRC, tant mieux. »
Pour des raisons historiques et idéologiques, le CRC travaille depuis longtemps avec SUD. Leurs locaux se trouvent d'ailleurs à la même adresse. Ainsi, s'il existe une toute jeune fédération SUD collectivités territoriales (regroupant notamment des syndiqués des services sociaux départementaux), il a été convenu, entre les deux organisations, que les syndicats sanitaires et sociaux relèveraient, en priorité, du CRC. Cependant, affirme Patrick Alloux, « il n'est pas question de nous fondre dans une confédération SUD. Nous sommes séparés et nous entendons le rester ». Le CRC n'en étudie pas moins la possibilité d'accoler le sigle SUD au sien (CRC-SUD ou l'inverse). La décision pourrait être prise, en juin, lors de son congrès. Pour Marie-Thérèse Patry, cette démarche n'est pas contradictoire avec l'autonomie proclamée par sa fédération. « SUD n'est pas un sigle magique mais il symbolise un autre type de syndicalisme. Il est porteur d'une dynamique et est assez largement connu. Ce qui n'est pas le cas du CRC. » Par ailleurs, les liens entre les deux organisations pourraient encore se resserrer avec l'adhésion (actuellement à l'étude) du CRC au « Groupe des 10 » (4).
Face à cette relative hausse de la cote de SUD et du CRC dans le secteur social, les principales fédérations ne paraissent guère inquiètes. Et elles ne se privent pas de minimiser le phénomène. En particulier la CFDT santé-sociaux où, bien que l'on s'en défende, on est encore loin d'avoir soldé le contentieux historique avec le CRC. « Ce qui nous oppose fondamentalement, c'est que nous ne sommes pas, comme eux, dans une logique de contestation systématique », indique son secrétaire fédéral, François Chérèque. « Par exemple, poursuit-il , sur les congés trimestriels, pour pouvoir faire des propositions négociées, nous souhaitons une mise à plat du système. Eux exigent l'extension des congés trimestriels au secteur adulte en refusant toute discussion. » Le CRC ne risque-t-il pas de faire de l'ombre à la CFDT santé-sociaux ? « C'est très marginal », rétorque François Chérèque, arguant que sa fédération ne s'est jamais aussi bien portée. « Nous avions 38 000 adhérents en 1988. En 1995, nous en comptions 60 000, dont environ 25 % dans le secteur social », annonce-t-il, satisfait. Avant de contre-attaquer en accusant SUD, et par rebond le CRC, d'être « la tête de pont » de la Ligue communiste révolutionnaire dans le mouvement syndical. « La LCR est un mouvement hyper-minoritaire dans la société et qui leurre les gens sur le plan syndical », proteste-t-il. Cette appartenance idéologique ne semble pourtant pas perturber, outre mesure, les militants du CRC et de SUD. « Nous ne craignons pas particulièrement le'gauchisme ". On peut travailler avec des gens de toutes tendances, à condition d'être sur la même longueur d'onde », estime ainsi Cécile Harel.
S'il est nettement moins critique que son homologue CFDT, Gérard Fuchs, secrétaire général de l'Union fédérale de l'action sociale CGT, se montre, en revanche, tout aussi sceptique sur la démarche du CRC. « Je ne suis pas sûr qu'il représente réellement une nouvelle forme de syndicalisme. En fait, il n'y a pas grand-chose de nouveau. La plupart de ses syndicats se sont installés sur les débris de la CFDT. Et, à leur tête, on trouve des vieux chevaux de retour du CREM, de la CFDT et, parfois, de chez nous. » Force lui est cependant de reconnaître qu'il existe certaines convergences entre l'UFAS et le CRC. Ainsi, leurs militants se sont-ils retrouvés, côte à côte, sur le dossier des congés trimestriels, lors de l'occupation des locaux de la commission paritaire de la convention collective de 1966 (5). Il refuse cependant de parler de concurrence entre les deux organisations, laissant entendre qu'il n'y a pas de comparaison possible. « En trois ans, nous avons connu un renforcement de 30 % du nombre de nos syndiqués. Et nous dépassons aujourd'hui les 4 100 adhérents. » Gérard Fuchs nie en outre tout contact au niveau fédéral, tout en admettant que « l'unité d'action est possible à la base, au niveau des syndicats ».
Même si le CRC est loin d'être en mesure, en l'état actuel des choses, de concurrencer les principales fédérations du secteur sanitaire et social, celles-ci ne cachent pas qu'elles n'aimeraient guère le voir participer à un regroupement de syndicats autonomes (autour du Groupe des 10, par exemple) qui aboutirait, de fait, à la création d'une sixième confédération syndicale. Sur cette question, l'unanimité est sans faille. « Nous sommes opposés à une nouvelle fragmentation du paysage syndical. Il y a déjà assez de divisions entre les cinq confédérations », réagit Gérard Fuchs. Un point de vue partagé par François Chérèque, pour qui « il y a assez de place dans les organisations syndicales actuelles pour que tous les courants de pensée puissent s'exprimer ». La route vient d'ailleurs d'être partiellement barrée aux syndicats autonomes pour les élections professionnelles de la fonction publique (6). Et, faisant bloc, les confédérations ont tenté, en vain, d'obtenir un monopole de candidature au premier tour des élections prud'homales. Des grandes manœuvres qui n'empêchent pas le CRC d'annoncer son intention de déposer un dossier de représentativité afin de pouvoir participer aux négociations sur la convention collective de 1966.
Jérôme Vachon
La fédération nationale des syndicats santé-sociaux Coordonner-rassembler-construire s'est constituée, en avril 1989, à la suite de la dissolution, par la CFDT santé-sociaux, de la plupart de ses syndicats franciliens. Une mesure drastique prise en raison des profonds désaccords qui opposaient, depuis déjà longtemps, les responsables de la fédération à ses syndicats d'Ile-de-France. Ces derniers avaient notamment soutenu la coordination des infirmières et dénoncé, publiquement, la signature des accords Evin par la CFDT santé-sociaux.
(1) CRC : 23, rue de la Mare - 75020 Paris - Tél. 01 43 49 28 18.
(2) Voir ASH n° 1954 du 22-12-95.
(3) Voir ASH n° 1973 du 3-05-96.
(4) Le Groupe des 10 est une organisation qui rassemble plusieurs syndicats autonomes : SNABF, SNACCRF, SNAPCC, SNJ, SNMSAC, SNUDDI, SNUI, SPASET, SU, SUD CAM et SUD PTT.
(5) Voir ASH n° 2006 du 17-01-97.
(6) Voir ASH n° 2007 du 24-01-97.