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Traiter l'urgence sans se presser

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La Balançoire n'est pas un hôtel moderne. Pas de télé ou de téléphone dans les chambres, les parquets grincent, l'ameublement est rustique, en bois, simple et plutôt chaleureux, les chambres assez spacieuses. Eloigné de Paris d'une trentaine de kilomètres, ce ne sont pas les VRP, commerciaux ou touristes qui s'y bousculent. Pourtant l'hôtel affiche complet. Eté comme hiver, il ne désemplit pas depuis deux ans : les neuf chambres sont louées à l'année par une association qui a pris le nom des lieux.

Au 28 de la rue Saint-Hilaire, la Balançoire (1) accueille sans critère de sélection pour un hébergement de 15 jours (2) toute personne orientée par un service social qui s'engage sur le suivi. L'équipe de la Balançoire n'assure aucune prise en charge sociale, comme précisé dans le contrat de séjour lu à la personne reçue : « Les objectifs de votre séjour seront définis avec le service social avec lequel votre admission a été décidée en partenariat avec la Balançoire. La préparation de votre sortie et le suivi de toutes vos démarches seront effectués par le service social qui vous a orienté vers cet hôtel. »

Ces principes fondateurs résument l'originalité du projet mis sur pied par les trois structures partenaires de la Balançoire : le comité de probation et d'aide aux libérés  (CPAL)   (3), l'association Drogues et Société (4) et le foyer Joly (5), CHRS. Tous trois se situent dans un mouchoir de poche entre Créteil et Saint-Maur. Tous trois étaient confrontés à un vide social quant à l'hébergement d'un public très marginalisé (sortants de prison, libérés conditionnels, TIG, toxicomanes actifs...).

Un déficit de réponses

« Nous en avions assez que'nos gens" n'aient jamais de places dans les structures d'urgence parce qu'ils étaient soi-disant les plus sales, méchants, 'ininsérables " », raconte Véronique Falanga, déléguée à la probation, secrétaire du conseil d'administration de la Balançoire. « Les usagers de drogues dépendants n'avaient accès ni à des réponses d'hébergement ni à des réponses du dispositif spécialisé toxicomanie », ajoute Philippe Lagomanzini, directeur de Drogues et Société. « Ce qui a commencé à changer avec le traitement de substitution. Nous avions des retours violents des centres d'hébergement car ils avaient le sentiment de devoir vendre leur vie pour une nuit. On a utilisé les chambres à l'hôtel, ça se passait bien, c'était donc à travailler », poursuit-il. Gil Emorine, directeur du foyer Joly, mûrissait aussi la question : « Dès 1989, je voulais transformer les critères d'admission du CHRS en supprimant l'entretien préalable. L'idée était de laisser la personne s'installer avant de discuter. » Le projet n'a pas vu le jour en raison des réticences de l'équipe éducative du centre Joly.

C'est au cours de réunions sur l'hébergement d'urgence du Val-de-Marne que ces trois partenaires décident de bâtir un projet. L'association est créée en mars 1994 ; en novembre de la même année, elle accueille les premiers clients à la Balançoire. Cet hôtel vivotait, sur le trottoir en face du foyer Joly. Le montage financier a été assez facile. « La première année, on a fonctionné sur des crédits aléatoires. Quand on a senti que la DDASS était en adéquation avec nos idées, on a demandé le statut CHRS et ainsi pu bénéficier de fonds propres », raconte Patrick Madigou, directeur du CPAL et président de la Balançoire.

L'absence d'entretien préalable est posée comme condition sine qua non du projet, un corollaire de la non-sélection. « Que fait la personne qui cherche un hébergement ? Elle tient le discours que souhaite entendre le travailleur social. Le toxicomane nie sa toxicomanie. Le travailleur social l'oriente en fonction de ce non-dit. L'accueillant reprochera au travailleur social de lui avoir menti, le partenariat sera faussé ! Faire le tour d'un client en 5 minutes c'est impossible ! », s'insurge Patrick Madigou.

Engagement de suivi du service social

L'entretien préalable et/ou répété est perçu par l'équipe de la Balançoire comme une technique inopérante, faussant la demande, aboutissant à une prise en charge souvent inadaptée et vouée à l'échec. Dans cette logique, elle pose comme second postulat l'engagement de suivi du service social ayant sollicité la structure. Le conseil général du Val-de-Marne a réagi par une lettre récusant à la Balançoire le droit de demander un tel engagement aux assistantes sociales de circonscription. Au second semestre 1996, seuls 9 dossiers sur 60 contenaient un engagement signé. La Balançoire a du mal à faire passer ce concept de l'engagement de suivi garant d'une qualité de la prise en charge. La Balançoire se veut un « lieu de ressources » où travailleur social et personne accueillie puisent le temps et la matière pour construire une sortie adaptée et réfléchie. « Mais le monde social ne favorise pas ce genre d'expériences. Les services sociaux ont l'habitude de travailler seuls », regrette Patrick Madigou. Quelles sont les conséquences de cette mésentente pour le résident ? « Si l'orienteur n'adhère pas, la personne ne sera peut-être pas relogée. Or elle quitte la Balançoire qu'elle ait ou non une solution », concède Patrick Madigou, qui ajoute que beaucoup de services adhèrent en partie et sans signer. « Je trouve cet engagement légitime de la part de l'assistante sociale. A force de nous protéger, de morceler les prises en charge, nous nous éloignons de notre rôle de travailleur social », transige une assistante sociale de circonscription.

Françoise Audebert, coordinatrice de la Balançoire, a pour mission de tisser ces liens avec les partenaires sociaux. Elle-même a eu de la peine à se situer dans ce concept : « Ici, toute la difficulté du travailleur social c'est de ne pas être interventionniste. Etre tolérant, passif mais avec intelligence ce qui n'est pas toujours évident », explique-t-elle. Françoise Audebert compense ces frustrations, ses envies de se substituer au service orienteur, en lui apportant des éléments complémentaires sur la personne, sa réceptivité au projet élaboré, ses tourments...

Quel est alors le bilan de la Balançoire ? A-t-elle permis de sortir des gens de l'urgence ? « Au service orienteur de savoir ce qu'il veut, si c'est 15 jours pour se poser, car c'est le seul'projet" de la personne, eh bien elle se pose », répond Véronique Falanga. « Entre 60 et 70 % de résidents repartent avec une solution proportionnelle à leur niveau d'insertion », étaye Françoise Audebert. « J'ai suivi un couple avec enfant en situation de désinsertion prononcée depuis cinq ans. Le séjour à la Balançoire a permis de casser leur processus d'errance pour un logement Périssol. Ils ne sont pas sortis de la galère mais ils ont fait un pas en avant », illustre une assistante sociale de Champigny. « Quand se pose un hébergement d'urgence, je n'ai pas pu mesurer le réseau familial, social, la réelle demande d'insertion. La période de 15 jours offre un temps pour mener cette évaluation. L'équipe éducative entoure et rassure la personne  je ne le trouve pas ailleurs », développe-t-elle.

La gestion de la partie hôtel est assurée par l'association. Un couple de gérants s'occupe de la partie restauration. Petit-déjeuner et dîner sont servis dans la salle qui, du matin jusque vers 18 heures, fait office de bar-restaurant ouvert à tous, sauf aux résidents  un principe posé pour que commerce et social fassent bon ménage.

Dans le livre d'or lancé par Michèle Quien, l'animatrice, les remerciements pour la bonne nourriture, la chaleur, l'accueil sympathique, imprègnent les messages plutôt longs, parfois complices. « Si on veut la réinsertion, il faut proposer un cadre qui soit le plus proche possible de la réalité », estime Patrick Madigou. Le nec plus ultra au niveau des conditions de sécurité et d'hygiène, soulève, ironique, l'hôtelier. Et de citer les pédales pour actionner les robinets dans les cabinets de toilette. A peine ouverte, la Balançoire a en effet été fermée pour non-conformité des installations.15 jours plus tard, elle rouvrait après avoir effectué les travaux exigés.

Si les riverains ont redouté l'installation d'un public en marge dans leur quartier, la cohabitation n'a pas posé de problèmes. Le mélange a priori « détonnant » de populations se gère. Même si une overdose et une tentative de suicide sont à déplorer. « Le mélange des publics est une richesse, il crée un écosystème où les notions de respect et d'échanges s'introduisent entre jeunes, vieux, hommes, femmes. Ils retrouvent un rythme de cohabitation et travaillent sur leur adaptabilité », poursuit Françoise Audebert  sans nier les tensions nées autour de la durée du séjour des uns et des autres, de l'efficacité des prises en charge selon les cas... ou certaines angoisses ressenties face à l'agressivité ou l'état de certains lors de leur arrivée.

Donner du souffle au partenariat social

Reste que le public accueilli n'est pas aussi « cassé » que prévu. « Les personnes très abîmées font moins appel aux services sociaux donc nous les recevons moins ! », avance Gil Emorine. « Aucun service ne s'engage dans la réponse aux plus dérangeants, les vieux toxicomanes, les caractériels », ajoute Philippe Lagomanzini. Une opinion partagée par Patrick Madigou : « Il est plus facile et rassurant de prendre des gens pas complètement désocialisés. »

Et les administrateurs de la Balançoire d'embrayer sur leur leitmotiv : celui du partenariat entre les acteurs sociaux pour contourner les limites, contraintes des multiples dispositifs spécifiques, et redonner du souffle aux services. « Il faut étendre les petites structures de proximité capables de recevoir n'importe qui quel que soit son problème pour lui proposer une orientation adaptée suivant les structures existantes », est convaincu Gil Emorine. « Ensemble on peut créer des paliers d'insertion durables », mais est-ce compatible avec la masse de personnes en « errance sociale »  ?, s'interroge Patrick Madigou. « La Balançoire est une ébauche de solution », conclut Gil Emorine. Une solution fragile dépendante du respect de l'engagement de suivi et de la non-sélection.

Emmanuelle Stroesser

ROBERTA

Roberta quittera bientôt la Balançoire, sans doute pour un appartement thérapeutique. Roberta a décroché de la drogue depuis deux ans. Depuis trois mois, elle est suivie par une association d'aide aux toxicomanes du Perreux-sur-Marne. Elle a fait trois centres d'hébergement sur Paris et la banlieue avec ses deux enfants de 2 et 4 ans avant qu'une chambre se libère à la Balançoire et qu'une issue durable se dessine. « On avait cherché avec mon assistante un foyer mais certains n'acceptaient pas les enfants au-dessus de 3 ans, d'autres en dessous... J'ai aussi raté une occasion. Au premier entretien, je suis arrivée en retard, je m'étais perdue  je n'ai pu aller au second entretien, un de mes enfants étant malade, et tout est tombé à l'eau », raconte-t-elle. « Les quatre premiers jours ici, Jean ne mangeait rien, ne parlait pas. L'appartement nous permettra de nous retrouver, à Jean d'avoir un équilibre en allant à l'école, à moi d'avoir plus d'espace », espère Roberta.

Notes

(1)  La Balançoire : 28, rue Saint-Hilaire - 94210 La-Varenne-Saint-Hilaire - Tél. 01 45 11 90 89.

(2)  15 jours renouvelables une fois, voire plus en transition avec un autre hébergement.

(3)  CPAL : Tribunal de grande instance de Créteil - rue Pasteur-Vallery-Radot - 94011 Créteil cedex - Tél . 01 49 81 17 41.

(4)  Drogues et Société : Centre Epice - 42, rue Saint-Simon - 94000 Créteil - Tél. 01 48 99 22 14.

(5)  Foyer Joly : 25, rue Saint-Hilaire - 94210 La-Varenne-Saint-Hilaire - Tél. 01 48 89 75 88.

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