Le 13 mars, deux jours avant la fin de la trêve hivernale sur les expulsions et avant la manifestation contre ces dernières organisée le 22 mars à Paris par plusieurs associations (1), La fondation Abbé Pierre pour le logement des défavorisés a rendu son rapport annuel sur L'état du mal-logement en France (2). L'occasion d'attirer à nouveau l'attention sur l'exclusion du logement dont est victime un nombre croissant de personnes. Les chiffres sont d'ailleurs significatifs : 200 000 personnes en France seraient sans abri et 1 570 000 mal logées 2 800 000 seraient hébergées par des parents ou amis et 470 000 en logements de substitution.
Dans une première partie, l'étude met l'accent sur les témoignages du public des « mal-logés ». Autant de « vies en miettes » qui mettent en évidence la répétition des processus marqués par la succession des crises traversées : ruptures familiales, isolement, problèmes financiers, itinérance... Les plus défavorisés disent se heurter notamment à la « surdité institutionnelle » et au verrouillage des circuits des HLM. En effet, les occupants en titre d'un logement insalubre ne sont pas prioritaires et les errants sont jugés « incapables d'autonomie ». Pour une grande partie des responsables de l'immobilier social, « la pauvreté est une maladie dont il faut d'abord guérir pour prétendre accéder à un logement ». Le constat est sans appel : la pauvreté aboutit à un double paradoxe. D'un côté, elle est source d'exclusion du logement dont l'accès, pour les bailleurs, est largement lié à la solvabilité des ménages de l'autre, elle entraîne des discriminations liées aux « gages de bonne citoyenneté » que doivent produire les personnes qui recourent à un soutien institutionnel. L'accompagnement social et pédagogique dérivant, parfois, en un contrôle social difficile à supporter.
Les conditions d'habitat continuent de s'améliorer et, « pourtant, la précarité et l'instabilité refont surface », s'inquiètent les rapporteurs. Ceux-ci notent ainsi qu'une partie toujours plus grande de la population ne trouve pas de logement : en particulier les jeunes (50 % des personnes rencontrées par les associations ont moins de 30 ans), les personnes en situation de rupture familiale (le nombre de foyers monoparentaux est sur-représenté parmi les demandeurs de logement) et les familles nombreuses... Autant de situations, « entre rétrogradation résidentielle et parcours circulaires dans des formes d'habitat transitoires », qui témoignent de la difficulté des ménages fragilisés à « retrouver le sens de trajectoires ascendantes ». Et à accéder à un logement social ordinaire de droit commun. Tout se passe, souligne le rapport, comme si l'absence de solution stable de logement pour les plus fragiles provoquait une multiplication des réponses en termes d'habitat et de statut précaires. « La chaîne du logement ne s'alimente plus vers le haut mais vers le bas. »
Ce constat alarmant n'est guère modulé par l'analyse de la situation en Europe, où l'on compte 15 millions de personnes mal logées obligées de vivre dans des lieux surpeuplés et de qualité médiocre. 2,7 millions d'entre elles seraient réduites « à faire une tournante » entre les amis, les parents, les chambres meublées et les services d'assistance. 400 000 seraient expulsées chaque année de leur logement. Si les situations sont certes contrastées, certains pays (Belgique, Danemark, Finlande, Luxembourg, Pays-Bas, Suède) ayant réussi à mettre en œuvre des mesures de prévention et d'autres (Allemagne, Grande-Bretagne, Irlande et France) s'en tenant davantage à des programmes d'urgence, on assiste néanmoins à un durcissement général. Dans l'ensemble des Etats, la tendance est au « désengagement de l'Etat » et à « une déréglementation du marché du logement », est-il relevé.
Face à cette situation, les associations jouent « un rôle important dans la production d'une offre immobilière pour les personnes en difficulté ». Et elles tendent à développer « des réponses qui s'enchaînent », relèvent les rapporteurs qui évoquent notamment la gamme des interventions mises en place, allant des ateliers de recherche de logement et des agences immobilières à vocation sociale aux boutiques de solidarité. Néanmoins, le rapport relève les réticences manifestées à l'égard des associations dès lors qu'elles s'engagent dans une action immobilière, au-delà de l'accompagnement social et de la médiation. Or celles-ci « ne doivent-elles pas être reconnues comme des partenaires à part entière, des opérateurs immobiliers d'un type nouveau ? », s'interroge la fondation Abbé Pierre.
Quant à l'action menée par les pouvoirs publics en 1996, elle a porté avant tout sur l'urgence et les solutions à court terme, jugent les rapporteurs. Si, dans ce domaine, « des progrès importants ont été faits », ils soulignent néanmoins que le plan d'urgence risque d'aboutir à « la constitution d'un secteur débranché du logement social, un logement parking », et la nécessité, pour les sans-abri, de « développer un réseau d'accueil de jour sans déshumaniser les structures ». Mais là où les réactions sont très réservées, c'est à l'égard du projet de loi de cohésion sociale. Prolongeant les propos de Michel Carvou, son délégué général (3), la fondation déplore la réduction de l'intervention financière de l'Etat en matière de logement (diminution des aides sociales, désengagement au niveau du financement du logement social...). Des mesures, souligne-t-elle, qui montrent une concentration des aides sur « le segment très social » du logement, qu'il s'agisse de logements d'insertion ou d'hébergement d'urgence. Alors que rien n'est prévu pour assurer l'accès des populations au logement ordinaire. « Un million de logements locatifs privés à loyer très bas ont disparu entre 1985 et 1995 ». Aussi la fondation insiste-t-elle sur la nécessité de « développer le logement durable » en rompant avec « la logique de l'urgence ». Elle propose ainsi de réformer la loi Barre de 1977 et de l'intégrer dans une loi globale d'action publique pour l'aide à l'habitat, mais également de « muscler » le projet de loi de cohésion sociale.
(1) Parmi celles-ci : Droit au logement, APEIS, AC!, Emmaüs France, ACDL, CGL, CNL, CSF, CGT, SAF...
(2) Fondation Abbé Pierre pour le logement des défavorisés : 53, boulevard Vincent-Auriol - 75013 Paris - Tél. 01 53 82 80 30 - 72 F.
(3) Voir ASH n° 2013 du 7-03-97.