Recevoir la newsletter

PLAIDOYER POUR LES TRAVAILLEUSES FAMILIALES

Article réservé aux abonnés

Michelle Mignon est travailleuse familiale. Elle déplore les restrictions budgétaires qui entraînent soit le chômage (ce qui est son cas), soit la déqualification d'une profession dont elle défend la place incontournable dans l'accompagnement des familles en difficulté.

«  [...] Notre diplôme ne nous a pas simplement préparées à faire le ménage et à garder des enfants pendant l'absence de la mère. Même si ce genre d'intervention contribue à préserver l'équilibre de la famille afin de permettre à la femme un épanouissement professionnel en même temps que familial, notre qualification est de plus en plus sollicitée dans l'accompagnement des familles en difficulté, au domicile dans les tâches quotidiennes et en lien avec la vie sociale. En ce moment où il est question de "fracture sociale ", de lutte contre l'exclusion, de démantèlement du lien social, d'actions de proximité, l'actualité prouve chaque jour que la société a plus que jamais besoin de nous, travailleuses familiales.

« Dans une complicité ménagère, éducative, cette professionnelle de la famille est mieux placée pour entendre le message de l'usager au moment le plus inattendu. En lien avec une équipe de travailleurs sociaux, elle complète de façon concrète leur travail : elle prépare l'action de l'assistante sociale, contrôle ou aide à l'application des prescriptions médicales, prolonge le travail de la puéricultrice, accompagne celui des psychologues ou sensibilise, rassure l'usager vis-à-vis de ces démarches  elle peut aussi être l'interlocutrice avec l'école, lien entre parents et enseignants et précieuse alliée des éducateurs au quotidien. [...]

« Que se passe-t-il donc ? Les structures de prévention et protection de l'enfance, les structures de protection sociale, faute de crédits, n'envisagent plus de nouvelles créations de postes. Les départs en retraite ou les cessations d'activité pour raisons personnelles ne sont pas remplacés, notamment à la caisse d'allocations familiales. De plus, la nouvelle politique de restrictions économiques de la sécurité sociale impose des contraintes budgétaires plus importantes  par exemple, dans le cadre des interventions préventives des naissances prématurées ou à l'occasion de l'aide lors de naissances multiples, la réduction du nombre d'heures prises en charge diminue les charges sociales, certes, mais aussi le travail, au détriment de la qualité.

« Les associations d'aide à domicile connaissent de plus en plus de difficultés financières : le coût horaire de la travailleuse familiale pèse sur la gestion si les subventions ne suivent pas, et compte tenu de la baisse incessante du pouvoir d'achat, il ne permet pas aux familles modestes de se faire aider  les interventions diminuent ou sont plus brèves. Quant aux familles démunies, elles ne peuvent être prises en charge par les structures d'aide sociale que dans la limite du budget accordé par ces caisses. [...]

« Pendant mes stages professionnels, j'ai vu certaines collègues contraintes au chômage technique  pourtant j'ai entendu beaucoup de refus d'intervention faute de personnel disponible, "d'heures budgétaires ", et une participation personnelle dépassant les possibilités financières des familles demandeuses.

« Alors, dans la course aux subventions, ces associations d'aide à domicile sont plus souvent concurrentes que solidaires. [...] Par ailleurs, pour des raisons de gestion, certaines pratiquent plutôt l'embauche de personnel formé en alternance, payé au SMIC. Elles semblent ne faire appel aux professionnelles diplômées, immédiatement opérationnelles, que pour remplacer le personnel en congé de maternité, maladie ou sabbatique. [...] Une part de marché est ainsi disponible à des structures mandataires qui risquent de s'éloigner de l'éthique sociale en faveur d'une rentabilisation de la crise économique. Or ce personnel, formé en cours d'emploi, dans des conditions difficiles, souvent seul face aux problèmes du terrain, ne fait pas toujours une longue carrière dans ce métier.

« On risque d'aboutir ainsi à un fonctionnement en rotation rapide des emplois (comme s'il s'agissait de stocks de marchandises ou de force de travail), créant une situation qui permet de payer au SMIC la majorité du personnel, malgré les plaintes des usagers qui ont une mauvaise perception de la travailleuse familiale. Ce phénomène tend à discréditer la profession. En effet, ce métier demande de la maturité personnelle et, en plus d'une solide formation, seul le temps apporte une véritable maturité professionnelle.

« Cette pratique est préjudiciable à la profession car, d'une part, elle aboutit à envoyer sur le terrain, au moins pendant deux ans, des personnes insuffisamment formées, plutôt perçues comme aides-ménagères. D'autre part, par manque de préparation, notamment au niveau de l'écoute et de l'analyse de situation, il y a risque de passer à côté de problèmes dont il est difficile d'évaluer les conséquences à plus long terme. Enfin, la pratique du "dépannage quasi intérimaire" est inadaptée au travail relationnel. Dans ce domaine, le succès dépend de la qualité du suivi  on ne joue pas avec l'humain ! Lors d'un stage, j'ai personnellement été témoin d'une situation où une jeune travailleuse familiale s'est trouvée démunie. Notre approche notamment en psychologie de l'enfant, en sociologie de la famille et des différentes cultures, notre travail en communication, m'ont permis de désamorcer une situation de violence et de suggérer une attitude visant à "travailler" sur une relation mère-enfant. La jeune collègue n'avait à sa disposition que les outils de son héritage personnel (jugement, culpabilité, lieux communs d'une morale étriquée)   pas un instant il n'a été question de la souffrance affective de l'enfant et de la mère. Derrière un incident apparemment banal, on pouvait pressentir un problème plus profond simplement du fait de l'ampleur de la réaction. [...]

« Le chemin que j'ai entrepris dans le métier de travailleuse familiale, malgré une brièveté indépendante de ma volonté, m'a montré à chaque instant comment des familles perpétuent des situations de misère faute d'accompagnement ou bien reproduisent indéfiniment des schémas qui, en raison de l'évolution rapide de la société, tendent à conserver, sinon augmenter les risques de marginalisation. [...] »

Michelle Mignon 115, av. Foch - 94100 Saint-Maur -Tél. 01 42 83 78 99

Tribune Libre

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur