« Depuis cinq ans, de nombreuses journées de formation ont été organisées pour les assistantes maternelles-familles d'accueil sur le thème de “l'accueil de l'enfant séropositif” grâce à un partenariat entre les organismes privés ou publics de formation professionnelle (CNFPT, CEAS, UFCV), les services de l'aide sociale à l'enfance des cinq départements de la région Languedoc-Roussillon et l'équipe hospitalière spécialisée du CHU de Montpellier. Les objectifs de la formation se situent sur deux axes : permettre aux assistantes maternelles d'accéder à une information sur la maladie, les soins et la prise en charge nécessaire, les implications psychologiques pour ceux qui en sont atteints et pour leurs accompagnants créer un espace de réflexion collective où les modalités et la spécificité de cet accueil peuvent être évoquées. Ainsi, les interrogations, les craintes et les représentations sont abordées, reformulées pour être mises à distance et démystifiées. Dans l'optique des formateurs, comme pour tous ceux qui ont déjà réfléchi aux orientations dans la recherche des familles et aux critères de sélection, l'accueil d'un enfant séropositif pour le VIH doit toujours correspondre à une décision personnelle de l'assistante maternelle et de son conjoint. Lorsque l'accueil se fait sans préparation, des dysfonctionnements graves ont pu être observés, dans l'équipe de travailleurs sociaux et la famille d'accueil, pouvant aboutir au rejet de l'enfant dans un climat de suspicion et d'agressivité mutuelles. »
« Quel bilan dresser de cette formation ? La grande majorité des assistantes maternelles stagiaires n'avaient pas encore été confrontées directement à des personnes atteintes par la maladie. Quelques-unes avaient eu des contacts dans leur entourage, ou leur profession, avec des adultes touchés par le sida. Deux d'entre elles ont pu témoigner d'un accueil concernant, à chaque fois, une fratrie de deux enfants. Une autre avait perdu une belle-fille de la maladie, ce qui l'avait motivée à accomplir cette formation pour devenir famille d'accueil. Par ailleurs, un nombre non négligeable avait réalisé des accueils d'enfants nés de mères consommatrices de drogues intraveineuses, d'enfants atteints de maladies chroniques ou de handicaps sévères, ou en situation de deuils parentaux. Même si elles ne désiraient pas s'impliquer directement dans ce type d'accueil, presque toutes se sentaient démunies à propos de l'information des adolescents issus de familles en grande précarité ou exprimaient des inquiétudes suscitées par le comportement à risque de certains parents dont les jeunes enfants leur étaient confiés. Elles attendaient donc avec impatience les réponses aux questions suivantes : le service (de l'ASE) nous informera-t-il de la séropositivité d'un enfant avant ou même au cours de l'accueil ? Avons-nous le droit de savoir ?Quels sont les risques de contamination pour nous et pour les enfants vivant sous notre toit ? Quelles sont les précautions à prendre ? Avec qui pouvons-nous partager l'information ? Nos grands enfants qui participent souvent avec nous au travail d'accueil peuvent-ils être mis au courant ? Avons-nous la possibilité de demander qu'un test de dépistage soit réalisé si nous avons un doute quant à un risque d'infection pour les enfants accueillis ? Comment informer et inciter les adolescents à réduire les risques, à pratiquer un dépistage ? Quels sont les premiers signes de la maladie chez les enfants ? Un enfant séropositif peut-il devenir séronégatif ? Que dire à l'enfant s'il est malade, comment lui parler de ses parents, de leur maladie, de leur décès ? Sommes-nous capables d'accompagner un enfant jusqu'à sa mort ? Et si nous nous sentons disponibles, avons-nous le droit d'imposer cela à nos propres enfants ou à notre conjoint ?Quelles en seront les conséquences sur notre famille élargie, nos propres parents âgés (moins tolérants...) ? »
« Le travail sur les représentations montre que tout au long de la séance de formation sont présentes à l'esprit des angoisses très fortes concernant la souffrance, la peur de la contamination et l'insoutenable idée de la mort d'un enfant qui vous serait proche. »
« Ces formations apparaissent aux assistantes maternelles comme un lieu où peut émerger une parole autour des implications de l'accueil d'un enfant au sein d'une famille. Du fait de la connotation péjorative du discours social sur ceux qui sont porteurs de cette maladie, y compris les enfants, la solidité et la cohésion familiale face au jugement et au regard de l'environnement sont fréquemment évoquées. La difficulté de garder le secret vis-à-vis de l'entourage familial immédiat est replacée dans le contexte plus large de tout accueil concernant un enfant en grande difficulté :maltraitance, abus sexuel, conduites addictives ou pathologie mentale de la mère. Le devoir de discrétion, s'il doit être toujours rappelé, est très vite compris et respecté par les assistantes maternelles dans un souci de professionnalisme de plus en plus revendiqué, et surtout dans l'intérêt bien compris des enfants accueillis. Cependant, le regret que le conjoint, pourtant directement impliqué dans les accueils, ne puisse participer aux journées de formation est souvent exprimé. Outre les avantages certains qu'en tireraient les enfants accueillis, issus de familles où l'image paternelle est souvent dévalorisée ou absente, une telle mesure permettrait, en tout cas, de rétablir l'équilibre dans une profession beaucoup trop féminisée ! »
« La question du secret professionnel met en lumière la place que les assistantes maternelles occupent lors des concertations et le type de relations, conflictuelles ou harmonieuses, qu'elles entretiennent avec l'équipe de travailleurs sociaux. La revendication d'être “au plus près de la réalité quant à l'éducation des enfants confiés” se heurte parfois à l'impression d'une non-prise en compte de leur parole et de leur mise à l'écart des décisions. La crainte de découvrir la séropositivité d'un enfant au cours d'un accueil, ou celle d'être tenue dans l'ignorance par le “service”, est alimentée par des rumeurs concernant l'application trop rigoureuse du secret professionnel, alors qu'elles assument les responsabilités de substitut parental et jouent un rôle essentiel dans les soins aux enfants malades. Le malaise est d'autant plus grand que le discours des équipes peut être contradictoire. Car souvent, les travailleurs sociaux qui devraient les soutenir n'ont pas bénéficié d'une formation spécifique et ont pu montrer des attitudes rigides ou manquant de cohérence. Il est indispensable que l'ensemble des équipes socio-psycho-éducatives soient également formées afin d'être à l'écoute des personnes qui vivent quotidiennement avec l'enfant, dans le respect des places et des compétences de chacun. »
« Les relations de la famille d'accueil avec les parents de l'enfant dépendent des motivations sous-jacentes de l'accueil. Celui d'un enfant séropositif est parfois vécu comme la réparation d'une injustice faite à l'enfant par la société mais aussi par les parents qui l'ont mis au monde et contaminé... Le reproche si souvent exprimé vis-à-vis du désir d'enfant des femmes séropositives doit être retravaillé en le replaçant dans le contexte du pari sur la vie que toute femme accomplit dans sa maternité, a fortiori celles qui sont hantées par l'angoisse de leur propre mort. Dans le cas d'un placement judiciaire, les relations de la famille d'accueil avec la famille de l'enfant ne sont pas très différentes de celles dont les assistantes maternelles ont déjà l'expérience. Pour les accueils-relais, à l'occasion d'une aggravation de l'état de santé de la mère ou de graves difficultés socio-économiques, la formation insiste sur la nécessité de permettre le plus longtemps possible la poursuite des liens mère (-père-) enfant et de soutenir la mère dans sa fonction maternelle. L'objectif est de fournir à l'enfant un lieu de sécurité affective et matérielle qui pourrait l'aider à aborder les périodes douloureuses des hospitalisations et du deuil de ses parents. »
« Avec l'évocation de la mort de l'enfant, le stage permet d'aborder le sujet le plus délicat , tabou extrême de notre culture. Le risque de la mort d'un enfant lors d'un accueil, les mots pour dire la mort de la mère ou du père, la préparation de la famille et l'accompagnement de l'enfant lui-même en fin de vie provoquent toujours une émotion intense. Un espace de parole est offert par ce petit groupe homogène, où la souffrance peut s'exprimer discrètement et être soutenue dans l'écoute mutuelle et le respect accordé au désarroi d'une collègue. »
« Une présentation commentée des dessins d'enfants atteints par la maladie (1) permet, en se gardant d'interprétations trop précises, d'entrevoir les possibilités d'investissement ludique jusqu'au stade avancé de l'infection, de mesurer le savoir implicite de certains enfants qui pourtant sont, d'après leurs parents, “censés ne rien connaître de leur état” et d'approcher d'un peu plus près les émotions et les désirs exprimés par l'enfant au travers de la tonalité sombre ou joyeuse de ses productions graphiques. »
« L'interrogation sur la capacité de la famille à aborder l'accompagnement d'un enfant en fin de vie renvoie les assistantes maternelles à ce qui a soutenu leur engagement professionnel qu'elles formulent ainsi : “Désir de faire grandir un enfant, de le conduire vers la vie et non vers la mort.” La perte d'un enfant résonne comme une crainte insupportable mais toujours présente. L'évoquer au cours de ces formations souligne la nécessité d'une parole de reconnaissance de la douleur psychique et d'un travail de deuil personnel, qui ne pourra se faire à long terme qu'à travers le soutien d'une équipe. Le témoignage de celles qui avaient déjà réalisé ce type d'accueil a été sur ce point particulièrement important, car une des conditions de leur réussite venait de la présence à leurs côtés d'une équipe psychosociale soutenante et structurée, partie prenante des difficultés qu'elles avaient rencontrées. Le fait que les formateurs se présentent impliqués dans la prise en charge médicosociale des enfants, garantit aux assistantes maternelles le soutien ultérieur personnalisé qu'elles ressentent comme absolument nécessaire pour faire face à l'aggravation de la maladie de l'enfant. »
« Au cours des années, une évolution dans les préoccupations s'est produite insensiblement. En 1996, les assistantes maternelles se préoccupent moins des dangers d'une éventuelle “contagiosité”, sont plus au courant des différents modes de transmission (sauf l'allaitement maternel, qui suscite toujours la surprise !). Elles ont amorcé le dialogue avec leurs adolescents sur la sexualité et les comportements à risque (contrairement à leurs conjoints qui semblent encore avoir beaucoup de mal à le faire) et leur ont, à l'occasion, proposé des préservatifs. Elles appliquent les règles d'hygiène mais ne sont pas encore au clair sur le port des gants qu'elles imaginent, à tort, obligatoire en toutes circonstances. Elles sont plus sensibles à la nécessité de la discrétion par rapport à leur famille élargie. »
« Leurs interrogations portent plus fréquemment sur la réalité quotidienne de la maladie, la vulnérabilité des parents, la difficulté du dialogue avec l'enfant malade ou endeuillé, l'accompagnement dans la phase avancée de la maladie. »
Joëlle Nicolas et Marie-Laure Roman PÉDIATRE ET PSYCHOLOGUE Attachées au service de pédiatrie III Hôpital A. de Villeneuve - 34295 Montpellier cedex 5 -Tél. 04 67 33 66 00.
(1) Publiée dans la brochure Accueil de l'enfant séropositif (voir ASH n° 1981 du 28-06-96).