A l'issue de la première conférence sur la famille, qui s'est tenue à Matignon le 6 mai 1996, cinq groupes de travail avaient été mis en place avec pour mission de faire des « propositions concrètes pour la mise en œuvre d'une politique familiale globale, cohérente et efficace » (1). Après six mois de réunions et de multiples auditions, leurs travaux ont fait l'objet de nombreuses propositions dont une soixantaine ont été reprises dans le rapport final du comité de pilotage, présidé par Hélène Gisserot, procureur général près la Cour des comptes, intitulé Pour une politique globale de la famille, et remis officiellement, le 6 février, à Jacques Barrot et Hervé Gaymard. Destiné à préparer la prochaine conférence sur la famille, qui devrait se tenir à Matignon dans la première quinzaine de mars, ce document ne se veut pas « une simple synthèse » des différentes réflexions, « mais s'est efforcé de dégager des lignes directrices fortes et de les mettre en perspective ». C'est ainsi qu'après avoir dressé un état des lieux juridique, démographique, financier et institutionnel de la politique familiale, le comité de pilotage dégage« trois principes fondateurs sur lesquels le gouvernement devrait mettre l'accent ». Lasolvabilisation des familles, tout d'abord, l'idée retenue étant de concevoir les prestations comme une compensation de ressources dont le versement est destiné à assurer l'égalité de niveau de vie entre les personnes qui ont des enfants à charge et les autres. Ensuite sont mises en avant, la prise en compte de la durée de vie familiale et la nécessité de mettre en cohérence les mesures et législations ponctuellesde telle sorte qu'elles ne viennent pas entraver la vie familiale.
Un rapport qui suscite des réactions mitigées de la part des associations familiales et des organisations syndicales. Pour Familles de France, « ces propositions ne reflètent en rien la demande des familles mais sont la copie conforme des désirs du gouvernement ». L'UNAF, au contraire, souligne« l'intelligence » du rapport, même si « elle ne saurait se contenter d'un simple redéploiement » budgétaire concernant les prestations familiales. Pour la Confédération nationale des associations familiales catholiques, les mesures préconisées« vont dans le bon sens », mais n'en sont pas moins « insuffisantes », tandis que la CFTC estime, pour sa part, « qu'il ne sera pas possible d'en rester là ».
Constatant la « difficulté de cerner les contours d'une politique familiale et de l'évaluer », le comité de pilotage a retenu la proposition de créer un code de la famille spécifiqueregroupant les textes aujourd'hui éparpillés dans différents codes, tels celui de la famille et de l'aide sociale ou le code civil.
S'il ne s'est pas prononcé pour l'institution d'un secrétariat d'Etat - les expériences passées ayant montré que ces structures traitaient de la famille de façon connexe ou accessoire, rendant leurs actions inopérantes -, le comité de pilotage estime, en revanche, qu'une « réelle volonté politique » devrait se traduire« à tout le moins » par lacréation d'un comité interministérielplacé auprès du Premier ministre et s'appuyant sur un réseau de hauts fonctionnaires dans tous les ministères. L'activité de cette instance ferait l'objet d'un rapport tous les deux ans au Parlement.
Un observatoire de la famillepourrait également être mis en place. Réunissant entre autres des personnalités venant du mouvement familial, du monde de la recherche, de l'Insee, de l'administration de la sécurité sociale, il serait chargé « de déterminer un indice du coût de l'enfant et d'établir de façon contradictoire la réalité du coût de la politique familiale et les éléments à prendre en considération pour ce faire ». Ses travaux feraient également l'objet d'une communication au Parlement.
Sans prôner un modèle familial, mais tout en reconnaissant la nécessité de conforter les droits attachés au mariage (particulièrement en ce qui concerne le conjoint survivant), les groupes de travail se sont rejoints pour considérer que le fait générateur de la politique familiale est la présence d'un enfant, les mesures mises en œuvre s'attachant dès lors à consolider les liens parents-enfants. Dans cette optique, il est proposé de remettre un livret d'informations sur les droits et devoirs conjugaux et parentauxlors de la publication des bans ou lors d'une demande de certificat de concubinage, deréhabiliter la déclaration de naissancequi devrait être réalisée simultanément par les deux parents lorsque le couple n'est pas marié et s'accompagnerait d'une information sur la filiation et l'autorité parentale dans la famille naturelle. En amont, le comité de pilotage se prononce pour le suivi au collège de cours d'éducation à la viedans la perspective de la fondation d'une famille et de l'exercice des missions parentales.
Le renforcement des liens entre les membres d'une même famille implique également, pour le comité,« de développer la prise en compte de la dimension famille à tous les âges et dans toutes les circonstances de la vie ». Dans cet esprit, les propositions énoncées concernent l'amélioration des modes de garde des enfants avec, pour les enfants scolarisés, la création d'internats de villesusceptibles de les accueillir pour des séjours limités en cas d'indisponibilité familiale momentanée ou le développement des services de proximité notamment à l'initiative des comités d'entreprise.
Afin de prévenir et accompagner les difficultés familiales, l'accent a été mis entre autres sur laformation des travailleurs sociauxpour l'orienter davantage sur la prévention des risques familiaux et la mise en place de réseaux de solidarité, sur le développement de l'audition des enfants au cours des instances judiciaires ou encore sur la médiation familiale.
S'agissant des familles monoparentales, il est proposé detransformer l'allocation de parent isolé(API) en un complément du RMI, pour favoriser l'insertion professionnelle de ses bénéficiaires, et de maintenir provisoirement le bénéfice de l'API en cas de reprise d'une vie de couple, dès lors qu'il y a respect du contrat d'insertion.
Conscient notamment de la situation présente de la branche famille (12, 7 milliards de déficit en 1996, 8 milliards attendus en 1997), le comité de pilotage a toutefois « refusé la fatalité de contraintes financières qui ne pourraient être desserrées que par la diminution du nombre d'enfants et de familles » et a entendu « adopter une approche pragmatique des problèmes ». Reprenant l'option retenue par le groupe d'études sur les prélèvements obligatoires, présidé par Dominique de la Martinière (2), les experts ont proposé de s'orienter vers une cotisation patronaleassise non sur le salaire mais calculée sur la valeur ajoutée.
Mais surtout, le comité suggère des redéploiements budgétaires. Parmi ceux-ci, le recentrage de l'allocation de logement sociale attribuée aux étudiants ou encore l'engagement d'une réflexion sur le cumul de certains dispositifs d'aide à la garde de jeunes enfants(AGED, AFEAMA) avec la réduction d'impôtpour l'emploi d'un salarié à domicile. S'il estime que les allocations familiales ne doivent pas être soumises à l'impôt sur le revenu, le comité considère, en revanche, que l'imposition des prestations ayant le caractère de revenus de substitution, comme l'allocation parentale d'éducation, peut être envisagée, à condition toutefois que la branche famille puisse bénéficier de cette ressource. Sans remettre en cause les quelque 28 prestations familiales - « ce qui pourrait pénaliser telle ou telle catégorie de familles parmi les moins favorisées » -, le comité prône leur simplification technique, étant entendu qu'elle implique également une volonté politique. Au total, selon les experts, une dizaine de milliards pourraient ainsi être dégagés.
La compensation des charges familiales peut s'articuler autour de trois priorités : la mise en cohérence des aides à la petite enfance, l'allégement des normes de fonctionnement des établissements de garde et la mise en œuvre rapide des dispositifs de la loi famille de 1994 s'agissant de l'aide aux grands enfants à charge de leur famille (versement des allocations familiales dans un premier temps jusqu'à 20 ans notamment). Sur ce dernier point, il faut s'assurer, souligne le comité, de la cohérence entre les mesures en faveur des grands enfants et la création d'un statut de l'étudiant, actuellement en préparation au ministère de l'Education nationale (3). Il est également préconisé de simplifier les aides au logement et d'aboutir à la fusion intégrale des barèmes fondés sur le taux de participation des ménages« sans se borner à la fusion projetée des seuls barèmes de l'APL 1 et de l'APL 2 » (voir ce numéro).
Principal enseignement issu des travaux des ateliers sur ce thème, la nécessité « d'inscrire la politique familiale dans le cycle de la vie familiale, pour mieux répondre aux besoins des familles selon le moment », qui conduit à un aménagement du temps de travail. A cette fin, il est proposé de déconnecter le congé parental d'éducation, et les allocations qui l'accompagnent, de la seule période de la petite enfance pour instaurer un« chèque temps parental »sous forme d'un droit de tirage ouvert, par périodes fractionnées ou non, jusqu'à la fin de la scolarité obligatoire de l'enfant dans la limite de 3 ans. En cas d'utilisation par le père, une bonification pourrait être attribuée. Ce chèque parental serait, selon ses promoteurs, de nature à favoriser l'emploi à temps partiel, le temps libéré étant compensé par une allocation servie en proportion.
Par ailleurs, les partenaires sociaux pourraient être invités à étudier les moyens de développer les horaires variables ou encore de favoriser l'usage du compte épargne temps comme support de congés pour motifs familiaux, notamment pour la prise en charge de personnes âgées en liaison avec la création de la prestation spécifique dépendance (4).
S'agissant de l'attribution de l'allocation parentale d'éducation (APE), le comité propose de distinguer entre la naissance du deuxième et du troisième enfant, réservant l'APE de rang 2 aux parents qui interrompent une activité professionnelle, voire d'en durcir les conditions d'accès, et en supprimant, au contraire, toute référence à une activité professionnelle antérieure pour le versement de l'APE de rang 3.
Autre préconisation du comité pour inscrire la politique familiale dans la durée, compléter l'aide donnée en temps par une aide nouvelle en capital. Une telle aide pourrait prendre la forme d'un « compte bloqué » pendant une durée minimale de quelques années au terme de laquelle la famille retrouverait l'usage des sommes correspondantes éventuellement par anticipation, en vue d'un investissement d'ordre familial à déterminer (achat d'un logement, constitution d'un fonds de retraite, bonification du « chèque temps parental »...).
Si les familles exercent déjà spontanément et largement la solidarité entre leurs membres,« encore faut-il qu'elles puissent disposer de mécanismes appropriés leur permettant de faire de cette entraide l'instrument d'une sécurité durable », explique le comité. D'où la proposition de mettre en place un « Fonds de solidarité familiale » dans lequel, à la manière des tontines, des réserves financières seraient constituées pour prévenir certains risques sans que les bénéficiaires soient déterminés à l'avance. Le comité a également retenu l'idée selon laquelle, en cas de cessation d'activité d'un conjoint, des points de retraite complémentaire de l'autre conjoint puissent lui être octroyés. •
(1) Voir ASH n° 1974 du 10-05-96.
(2) Voir ASH n° 1978 du 7-06-96.
(3) Voir ASH n° 2009 du 7-02-97.
(4) Voir ASH n° 2008 du 31-01-97.