Les ménages surendettés sont de plus en plus fragiles, économiquement et socialement. Le constat n'est malheureusement pas nouveau. Or, s'il demeure globalement efficace, le dispositif de lutte contre le surendettement institué par la loi du 31 décembre 1989 (dite loi « Neiertz » ), modifié en août 1995 (1), paraît relativement « mal préparé » à prendre en compte les publics les plus en difficulté. C'est le constat préoccupant que dresse l'Observatoire national de l'action sociale décentralisée (ODAS) (2) dans l'étude Travail social et surendettement, réalisée à la demande du ministère de l'Economie et des Finances, qu'il vient enfin de rendre publique. Objectif : évaluer le « poids » des personnes en voie de précarisation dans les situations de surendettement et rechercher des solutions en lien avec le secteur social. Partant des données déjà disponibles, l'ODAS a enquêté dans trois départements (Alpes-Maritimes, Savoie et Yvelines) afin de mesurer, au plus près, les difficultés rencontrées par les commissions de surendettement face aux ménages en situation précaire et d'évaluer, en vue de l'améliorer, la qualité de leur collaboration avec les services sociaux.
Depuis 1989, près de 500 000 dossiers ont été déposés devant les commissions de surendettement. A l'origine, pour le législateur, il s'agissait surtout de répondre au problème posé par les particuliers disposant de revenus stables mais ayant engagé des dépenses inconsidérées. Or, actuellement, les commissions de surendettement sont de plus en plus sollicitées par des ménages touchés par le chômage et qui, du fait de la baisse brutale de leurs revenus, ne peuvent plus faire face à leurs dépenses courantes. Des chiffres ? Sur l'ensemble du territoire, entre 1990 et 1993, les situations de surendettement liées au chômage sont passées de 24 % à 43 %. Depuis, cette évolution se serait encore aggravée. Autre caractéristique des ménages surendettés : ils sont de plus en plus isolés. Ainsi, toujours en Savoie, entre 1993 et 1995, les séparations et divorces sont passés de 7 % à 13 % parmi les causes principales de surendettement. Le dispositif de traitement du surendettement paraît donc aujourd'hui déstabilisé, même si, souligne l'ODAS, l'efficacité du système demeure généralement reconnue.
Néanmoins, s'inquiètent les rapporteurs, si ce dispositif « peut permettre à des ménages de passer une étape difficile sans glisser dans la précarisation », c'est à condition de disposer de ressources suffisantes et stables. Ce qui est loin d'être toujours le cas aujourd'hui. Et comme les modifications apportées à la loi Neiertz interdisent de rejeter un dossier pour insuffisance de revenu, les commissions voient se multiplier les situations de surendettement « de plus en plus inextricables ». Par exemple, dans le département de la Loire, en 1995, la capacité de remboursement des ménages surendettés aurait été négative dans 32 % des cas et inférieure à 500 F dans 41 %. Face à ce dénuement, les plans de redressement financier peuvent-ils encore être efficaces ? Et comment aider ces ménages à ne pas couler définitivement ?
« Une seule perspective peut être entrevue : celle d'une plus forte articulation du dispositif de traitement du surendettement avec l'ensemble des dispositifs d'action sociale en vue d'un traitement global des problèmes d'exclusion », répond l'ODAS, précisant aussitôt que cette articulation est encore « très aléatoire, tant en ce qui concerne l'accompagnement social que l'insertion ». Première difficulté : le « déficit de coopération » entre les commissions de surendettement et les services sociaux. Même si de nombreux dossiers sont déposés à l'instigation des travailleurs sociaux, ceux-ci sont en effet souvent assez sceptiques sur l'efficacité du dispositif. Ainsi, dans les Alpes-Maritimes, « on affirme n'y avoir recours qu'exceptionnellement et en désespoir de cause ». De même, dans les Yvelines, on convient du caractère peu adapté du système pour les publics de l'action sociale. Dans ce département, comme dans celui de la Savoie, on travaille d'ailleurs depuis déjà plusieurs années à renforcer son efficacité (3).
Toujours est-il que les travailleurs sociaux, au premier rang desquels les assistantes sociales de secteur, ne souhaitent guère, selon l'étude, s'impliquer davantage dans le traitement du surendettement, de crainte d'alourdir encore leur charge de travail. Il est vrai qu'ils interviennent déjà sur d'autres dispositifs (FSL, RMI...) sans réels moyens supplémentaires. Autre problème : le « déficit d'articulation » des commissions de surendettement avec les dispositifs d'insertion, notamment le Fonds de solidarité logement (FSL). Ainsi, s'il existe une certaine coordination entre les deux systèmes, celle-ci « est souvent assez limitée dans son contenu ». Conséquence : même si le renforcement de la coopération entre les services sociaux et les commissions de surendettement est « généralement perçu comme nécessaire », il reste à trouver les modalités et moyens de sa mise en œuvre. Pour l'observatoire, le premier stade de ce rapprochement consisterait à mettre en place une « observation partagée ». Autrement dit, une mise en commun, avant toute décision, des informations des différentes structures (commissions de surendettement, services sociaux, FSL, associations de consommateurs, CAF...). Concrètement, les auteurs du rapport préconisent une « exploitation normalisée des formulaires de demandes » afin de disposer de données comparatives aux niveaux local et national, et la création d'un « fichier de suivi » permettant de mieux cerner les risques d'échec des plans de redressement. A terme, ils espèrent ainsi instaurer un « échange contractualisé d'informations » associant les commissions, le secteur social et le monde associatif en vue d'analyser régulièrement les évolutions du public et de proposer les adaptations nécessaires.
Deuxième étape : renforcer la collaboration entre les commissions de surendettement et les travailleurs sociaux. Pour la phase d'instruction des dossiers, actuellement confiée à la Banque de France, les rapporteurs proposent d'affecter un conseiller en économie sociale et familiale (CESF) à chaque commission. Celui-ci serait chargé de gérer les contacts avec les institutions et les autres travailleurs sociaux. Par ailleurs, au stade de la délibération, un représentant des institutions sociales du département pourrait assister, sans voix délibérative, aux travaux de la commission. Enfin, lors de l'élaboration du plan proprement dit, la commission ferait en sorte, conformément à la circulaire du 28 septembre 1995 (4), de laisser « une meilleure disponibilité financière » aux ménages surendettés. Plusieurs outils sont d'ailleurs à sa disposition pour cela : réduction des taux d'intérêt à 0 %, report de certaines dettes, moratoire à long terme (jusqu'à cinq ans) et renouvelable, réduction du capital restant dû... La contrepartie des efforts ainsi consentis par les créanciers serait l'inscription de ces mesures dans un plan d'accompagnement social global. « L'évolution du dispositif dans ce sens permettrait de plus d'atténuer l'intérêt du débat sur la faillite personnelle (5) dans une société peu encline à accepter cette forme de stigmatisation des individus », insiste l'ODAS.
Ce décloisonnement entre les traitements économique et social du surendettement pourrait amener les professionnels de l'action sociale à réorienter leurs efforts dans deux directions, considèrent les rapporteurs. Ainsi, dans le domaine de la prévention, ils pourraient « jouer un rôle plus actif », comme dans les Yvelines où les circonscriptions d'action sociale ont organisé une exposition itinérante sur le thème du surendettement et où des CESF ont réalisé une brochure Consommation et surendettement destinée à leurs collègues assistants sociaux. De même, l'accent pourrait être mis sur le suivi social individuel. Certes, la loi ne prévoit pas un suivi systématique des ménages bénéficiant d'un plan de redressement. Et « ce choix n'est pas remis en cause », précise d'emblée l'ODAS. Cependant, insiste-t-il, « le succès des plans des personnes en grande difficulté dépend pour partie du soutien qui peut leur être proposé » dans leur mise en œuvre. Même si, dans la très grande majorité des cas, les services sociaux assurent déjà, de fait, un tel suivi, faut-il en formaliser les modalités ? Pour l'observatoire, une contractualisation offrirait l'intérêt de responsabiliser et de mobiliser les personnes en grande difficulté. Mais, reconnaît-il, « cette question s'inscrit dans le cadre du débat plus général sur la réorganisation des services sociaux et l'harmonisation des interventions des nombreuses institutions impliquées dans ce domaine ».
Reste à savoir, finalement, dans quelle mesure le rapport ne surestime pas la faculté d'intervention du travail social face à des situations financières très critiques. « Le constat que dresse l'ODAS sur la précarisation des publics est juste, réagit Nicolas Brun, chargé du dossier surendettement à l'Union nationale des associations familiales (UNAF), mais il faut bien comprendre que quand une famille n'a plus rien, l'accompagnement social, quelle que soit sa qualité, ne peut pas y changer grand-chose. D'ailleurs, les travailleurs sociaux ne représentent qu'un chaînon du système, même s'il est important. Et il est dommage de ne pas avoir pris en compte le rôle des associations de consommateurs qui tentent de faire un véritable travail de prévention, en dépit de la baisse de leurs subventions. » Autre regret : face au problème de société que constitue le surendettement, « le rapport n'envisage pas toutes les solutions possibles. Y compris les plus radicales comme la faillite civile qui n'est certes pas la panacée du fait de ses conséquences très lourdes. Mais il est clair qu'en termes de coût économique et social, permettre à une famille de repartir à zéro peut être plus efficace que de mobiliser un dispositif lourd et complexe ».
Autre point de vue : celui de Claudette Raynal, présidente de la commission spécialisée ESF d'Unites. « En matière de surendettement, beaucoup de conseillères regrettent de ne pas pouvoir travailler de façon plus étroite avec les commissions. En réalité, ce sont parfois leurs employeurs qui sont réticents à ce qu'elles s'impliquent davantage dans le dispositif. » Une volonté qui se heurte, en outre, au manque de moyens humains. « Déjà, pour le RMI, l'allocation devait être liée à un véritable accompagnement social. Ce qui, dans la réalité, est loin d'être le cas compte tenu de l'ampleur de la tâche. Dans ces conditions, on voit mal comment les travailleurs sociaux pourraient, en plus, garantir le suivi social des personnes surendettées. » Enfin, remarque-t-elle, « dans certains cas, la possibilité pour les familles de se déclarer en faillite civile permettrait de ramener les créanciers à un plus juste sens de leurs responsabilités. Cette mesure devrait toutefois être bien encadrée et rester exceptionnelle car, après tout, payer ses dettes, c'est aussi s'inscrire socialement ».
Jérôme Vachon
(1) Voir ASH n° 1953 du 15-12-95 et n° 1954 du 22-12-95.
(2) Rapport disponible à l'ODAS : 37, boulevard Saint-Michel - 75005 Paris - Tél. 01 44 07 02 52 - 95 F. Ce rapport a été élaboré par un groupe de travail composé des services sociaux des trois départements concernés, de la direction de l'action sociale et de la direction de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes.
(3) Voir ASH n° 1992 du 11-10-96.
(4) Voir ASH n° 1951 du 1-12-95.
(5) La faillite civile, ou personnelle, n'existe pas actuellement en droit français, sauf en Alsace-Moselle pour des raisons historiques. Il s'agit de la possibilité, pour un particulier, de demander à la justice l'annulation de l'ensemble de ses dettes lorsqu'il n'est plus en mesure de les honorer. Conséquences : la liquidation des biens et la publication du jugement dans la presse.