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Vers un service social aménageur d'insertion ?

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Le service social polyvalent doit devenir « un aménageur local d'insertion » , défend le sociologue Philip Mondolfo dans son dernier ouvrage (1). Jusqu'où et comment ? Débat contradictoire avec Carole Dane, assistante sociale, ex-présidente de l'ANAS.

Actualités sociales hebdomadaires  : Vous plaidez pour que le service social polyvalent devienne une sorte de fédérateur et d'aménageur local d'insertion ? Philip Mondolfo  : Ce que je constate, c'est que le RMI a généré des moyens et des dispositifs d'insertion éclatés et peu cohérents. D'où la nécessité de fédérer et d'articuler ces moyens - dont l'anarchie constitue un véritable gaspillage - pour donner sens à l'insertion. C'est pourquoi je propose que la polyvalence évolue vers un service social d'aménagement local dont la mission serait de travailler au repérage des moyens et à leur coordination sur le terrain. Et qu'elle se situe donc clairement du côté de l'insertion sociale mais aussi économique et professionnelle. Je crois en effet, hormis la question des contraintes institutionnelles, que les assistants sociaux de secteur sont tout à fait prédisposés à évoluer vers l'organisation de l'offre locale d'insertion. Ils ont une tradition d'étude des besoins collectifs et de coordination à l'échelle du travail social, notamment par le biais des circonscriptions. En outre, ils ont aussi à travers l'exercice quotidien et complexe de la polyvalence une expérience, même si elle reste limitée, du partenariat. Carole Dane  : C'est vrai que les notions d'aménagement et de développement local deviennent des notions centrales pour l'action sociale aujourd'hui. L'Association nationale des assistants de service social, lors de son 50e congrès, a ainsi mis en évidence qu'insertion et développement économique sont intimement liés  (2). Le mouvement est d'ailleurs déjà à l'œuvre dans certains départements, même s'il faut sans doute l'amplifier. C'est ainsi que certains services sociaux ont engagé des actions avec les acteurs économiques, ici avec les groupements d'employeurs pour l'insertion et la qualification, là avec les chambres de commerce... Néanmoins, si les assistants sociaux peuvent avoir vocation à jouer ce rôle de fédérateur, et le jouent déjà pour certains, ils ne sont sûrement pas les seuls. Il ne faut pas oublier que dans le système politico-administratif actuel, les élus et les représentants de l'Etat ont aussi des rôles à jouer. P. M.  : Effectivement, le service social n'a pas de monopole sur la question. N'empêche que c'est pour lui un enjeu vital : s'il n'intègre pas cette dimension de l'insertion, j'ai peur qu'il ne se condamne d'une certaine manière et qu'il ne rétrécisse son action parce qu'il est en concurrence aujourd'hui par le haut et par le bas. Outre le développement des nouveaux métiers, on voit déjà arriver des personnes formées dans les IUT et certaines sections d'AES qui occupent des postes d'agents d'insertion... ASH : Il y aurait donc un enjeu de survie pour la profession ? C. D.  : Méfions-nous des formulations. En parlant d'enjeu, il ne faudrait pas oublier et dévaloriser les fonctions plus classiques du travail social qui sont elles-mêmes en train d'évoluer. C'est ainsi que les rôles plus traditionnels concernant la famille, la PMI, la protection de l'enfance, l'accès aux droits participent également à la lutte contre l'exclusion... Dans certains services par exemple, la PMI est l'occasion d'engager une réflexion avec les familles sur le rôle parental et s'inscrit réellement dans une visée préventive. Pour moi, cette dimension d'aménagement local est un enrichissement de ce qui existe et même un retour sur l'histoire. En effet, certains courants du travail social sont très attachés au développement local  de même, certains services sociaux comme ceux des caisses d'allocations familiales et de la mutualité sociale agricole ont de fortes traditions en la matière. Tout cela forme un tout : les politiques traditionnelles classiques, familiales et les politiques d'aménagement doivent s'enrichir et se renforcer mutuellement sur le territoire. ASH  : A trop mettre l'accent sur l'aménagement local et l'insertion, ne risque-t-on pas effectivement de faire l'impasse sur les autres dimensions du service social ? P. M.  : Il est évident que, dans mon esprit, il ne faut pas abandonner les missions traditionnelles. Il faut au contraire travailler à articuler les deux dimensions. C'est d'ailleurs la question essentielle. Mais encore une fois, je crains qu'en raison de la tendance lourde du service social liée à sa tradition, sa culture, son histoire, sa composition majoritairement féminine, l'on veuille le recentrer à nouveau sur les tâches dites classiques. Et que l'on évite de se poser la question centrale aujourd'hui du travail et du développement local. A mon avis, si on ne met pas l'accent momentanément sur la dimension d'aménagement et de développement local, la profession risque de rater le coche. C. D.  : Je suis d'accord sur ce point : la question essentielle aujourd'hui, c'est le travail. Et je fais partie de ceux qui voudraient que les travailleurs sociaux s'impliquent davantage dans la lutte pour l'emploi, s'investissent par exemple plus à fond dans les plans locaux d'insertion par l'économique, les chantiers écoles... Mais les professionnels sont dans l'ensemble divisés sur le rôle à avoir en la matière. Certains assistants sociaux iraient très loin dans les actions visant directement l'insertion professionnelle alors que d'autres privilégieraient davantage l'accompagnement social afin de préparer les personnes à l'emploi. Il y a là, me semble-t-il, un vrai débat. ASH  : A quelles conditions le service social peut-il entrer davantage dans le champ de l'insertion ? P. M.  : La première a trait aux représentations que les élus ou les acteurs de l'environnement mais également les assistants sociaux ont de la profession. Celle-ci est encore identifiée à un service réparateur attaché à redistribuer des ressources. Il faut sortir de cette image et de la pratique qui en découle. Car qu'est-ce qu'on entend dire chez les assistants sociaux polyvalents ? Qu'ils n'ont pas assez de moyens. Mais ils ne se posent pas la question de comment faire autrement, comment construire ces moyens. Or, il faut penser autrement la question des moyens plutôt que de demander toujours plus de ressources à distribuer. Cela passe, en partie, par une refonte de la formation initiale et permanente des assistants sociaux. En attendant, le RMI ouvre, à mon avis, la possibilité d'élargir et de recomposer l'ancrage culturel du service social généraliste en le plaçant du côté de la valorisation des ressources et, finalement, de la création de richesses. C. D.  : Je pense qu'il est difficile de dresser des généralités sur les représentations professionnelles. Sur le terrain, on s'aperçoit qu'elles sont extrêmement hétérogènes aussi bien chez les professionnels que chez les décideurs. Il y a de grandes disparités dans les pratiques selon les départements, voire au sein d'un même département. Par exemple, dans les Yvelines où je travaille, de nombreux assistants sociaux ont proposé et initié des projets ayant un volet insertion professionnelle. Et nous avons entamé une réflexion en profondeur pour travailler davantage avec les autres directions du conseil général et mieux articuler l'action sociale et économique sur le département. Je crois que, depuis la décentralisation, le mouvement de déconcentration et le RMI, de nombreux exemples montrent que les travailleurs sociaux ont su, presque du jour au lendemain, changer leurs pratiques. ASH  : Comment, néanmoins, bousculer les dernières résistances ? P. M.  : Il est également nécessaire d'œuvrer dans les institutions et auprès des partenaires de l'environnement pour qu'ils attendent autre chose du service social que la simple réparation. Cette dimension stratégique dépend non seulement du travail institutionnel que sauront mener les assistants sociaux, mais aussi et surtout de l'action de la hiérarchie. Une action que celle-ci ne mène pas toujours, faute de compétence mais aussi parce que la fonction hiérarchique est mal considérée et peu attractive statutairement. On constate une désertion, voire un refus des assistants sociaux d'occuper les postes d'encadrement qui restent difficiles à pourvoir. Il y a là un enjeu vital à opérer, une espèce de déstigmatisation de l'encadrement. En effet, la passivité d'une profession face aux changements est en partie liée à un affaiblissement des compétences d'animation au sein du groupe professionnel. C. D.  : Là aussi, il est difficile de généraliser. Je crois qu'il y a un réel effort pour repenser l'encadrement qui est en route dans certains départements. J'ajoute que là où l'insertion marche le mieux, c'est là où justement les cadres sociaux jouent pleinement leur rôle et où les travailleurs sociaux ont une vraie autonomie technique. Il semble y avoir une corrélation entre l'efficacité de l'insertion et la capacité de l'encadrement. Ce qui signifie que, dans certains départements, les assistants sociaux ont complètement investi les postes d'encadrement et les assument avec la légitimité qui est la leur. C'est-à-dire que les responsables de circonscription ont bien perçu les rapports entre insertion et développement local et savent se positionner vis-à-vis des décideurs politiques, des élus et des administratifs. Quant aux difficultés de recrutement, il faut là aussi nuancer. Dans les Yvelines, il y avait ainsi 20 postes de responsables d'espaces territoriaux dans le cadre de la réorganisation de la polyvalence. Il y a eu plus de candidats que de postes offerts. ASH  : Comment les professionnels peuvent-ils concilier leurs missions traditionnelles et celles de l'insertion ? P. M.  : Les missions traditionnelles d'assistance (écoute, médiation, soutien...) et d'insertion ont toujours été, d'une certaine manière, l'objectif du service social. Mais la question centrale aujourd'hui, face au développement massif de la pauvreté, c'est celle de l'industrialisation de l'action sociale. C'est-à-dire sa capacité de passer d'un traitement artisanal à un traitement de masse qui reste humain et sur mesure. Comment faire ? La solution empruntée de plus en plus par les départements est celle de la spécialisation des acteurs de la polyvalence dans un registre ou un autre (insertion, petite enfance, accueil...). Cette tendance me semble conduire à une régression parce qu'on risque de retomber dans l'ornière des interventions spécialisées des années 50 et de saucissonner les personnes. Ceci m'amène à dire qu'il faut tendre vers l'articulation, sur un même poste, des deux espaces d'intervention que sont l'assistance et l'insertion. Mais cela suppose d'une part que l'assistant social devienne une sorte de chef d'orchestre pilotant l'ensemble des actions d'insertion et apprenne à faire fonctionner le jeu partenarial élargi, encore trop limité, à mon avis, à la sphère du travail social. D'autre part, cela implique une nouvelle organisation du travail afin que le professionnel puisse continuer à agir sur un volet plus traditionnel. On n'a pas encore suffisamment réfléchi à cette question. Mais il y a là, me semble-t-il, des réserves de productivité importantes à exploiter. C. D.  : J'estime personnellement qu'il est tout à fait possible de réunir au sein d'un même poste l'animation de projets collectifs, l'aménagement local et des fonctions dites plus traditionnelles. D'ailleurs, beaucoup de collègues le font déjà sur le terrain. Mais cela suppose bien évidemment qu'un certain nombre de conditions soient réunies. Il faut effectivement davantage d'ingénierie au niveau de l'organisation et des méthodes de travail. Cela exige aussi que la fonction ait été pensée dans le cadre du projet de service afin de tenir compte de la masse de travail. Mais cela suppose que les professionnels aient été formés et soient volontaires pour cette fonction. Maintenant, est-ce toujours souhaitable ? Je crois qu'il n'y a pas de modèle unique, comme le montre d'ailleurs la multiplicité des schémas de réorganisation de la polyvalence dans les départements en fonction des dynamiques locales. Selon les services, je pense ainsi qu'une certaine spécialisation des tâches peut être une bonne solution, si celle-ci a été négociée entre l'équipe et l'institution. Propos recueillis par Isabelle Sarazin

Notes

(1)  Philip Mondolfo dirige la formation assistant social de l'université Paris-Nord. Il vient de publier l'ouvrage Repenser l'action sociale - Voir ASH n° 2008 du 31-01-97.

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